Essid aurait pu mieux faire, mais sa marge de manœuvre est limitée

Publié le Mardi 17 Mars 2015 à 17:58
Habib Essid Habib Essid a brossé hier un tableau sombre de l’état général du pays, confirmant des difficultés et des inquiétudes répétées à l’envi par ses prédécesseurs. Autant son diagnostic collait à la réalité, autant les solutions qu’il a préconisées sont en deçà des attentes et des espérances.

Dans sa première adresse au peuple, son second discours après son intervention devant l’Assemblée des représentants du peuple, le locataire de la Kasbah aurait pu mieux faire sur la forme et le fond. Il aurait pu trouver des mots plus percutants, user d’un style plus direct et plus cohérent, et s’écarter des lieux communs et des poncifs, histoire de mieux sensibiliser l’opinion publique à la gravité de l’étape.

Personne ne disconvient aujourd’hui que la Tunisie traverse une mauvaise passe. Avec une situation sécuritaire critique, une économie chancelante et des tensions sociales qui couvent. Le chef du gouvernement n’a fait que le réitérer, chiffres à l’appui, évoquant le recul des investissements, le déséquilibre persistant des finances publiques, l’ampleur des déficits, la situation difficile des entreprises publiques, ainsi que des caisses sociales, la hausse de l’inflation, le taux élevé du chômage…bref, tous les indicateurs économiques sont au rouge, sur fond d’une situation sécuritaire "fragile", où les menaces terroristes planent encore.

Face à une conjoncture aussi problématique et aussi périlleuse, il n’y pas mieux qu’un plan de sauvetage pour sortir le pays de l’ornière. Pourvu qu’il porte bien son nom, ce n’était pas, hélas, le cas hier. Si en matière sécuritaire, le chef du gouvernement a présenté comme idée neuve, une politique déjà en place ; sur le plan économique, on a eu droit pèle mêle à des projections vagues, sans objectifs quantifiables et mesurables, sur une supposée mutation vers l’économie numérique, verte ou solidaire…du déjà entendu, et un simple vœu pieux.

Essid aurait du élaborer davantage la teneur de son plan de sauvetage, en lui conférant un caractère offensif, décisif et énergique, s’agissant des mesures à prendre et des actions à mettre en œuvre, de manière à marquer la rupture tant espérée, avec les politiques menées par les gouvernements qui se sont succédé depuis la  révolution, basées sur l’improvisation, le tâtonnement et la gestion du provisoire. A la place, le chef du gouvernement a tenté de ménager la chèvre et le chou, promettant des augmentations salariales, alors que les caisses sont vides, tout à fait le contraire de ce qu’il faut faire, de l’avis des experts et économistes.  

Le chef du gouvernement n’a pas réussi lundi soir à fixer un cap, et à exposer une politique claire, avec des mesures fermes et réalisables et des objectifs précis. Il s’est borné aux généralités et aux intentions. La crainte est qu’il n’ait pu faire plus, et que le pays est dans une situation telle, que sa marge de manœuvre ainsi que  de son équipe est limitée.

La Tunisie a besoin aujourd’hui d’un plan de redressement, et de réformes profondes. Elle ne peut plus se suffire à une gestion dans l’urgence, celle qui consiste à réponde au jour le jour à des besoins ponctuels, comme c’était le cas depuis le lendemain du 14 janvier.

Un tel plan requiert des moyens, que l’Etat n’est pas sûr d’avoir à ce jour. Il a besoin d’un engagement national, impliquant le gouvernement, les partis politiques, les syndicats, les organisations nationales, et l’ensemble du peuple. Chacun est aujourd’hui en droit d’attendre des réalisations et des performances du gouvernement, mais il faut que tout un chacun soit disposé, à partir de sa position, à retrousser les manches, à contribuer à cette action de sauvetage, et à apporter sa pierre à l’édifice. Ce n’est pas l’air d’être le cas, c’est ce qui hypothèque toute volonté d’avancer et  freine tout élan de changement.

Les protagonistes publics (gouvernement, partis politiques, organisations nationales, et autres corps de métiers…) semblent évoluer – et c’était vrai pendant toutes ces années post-révolution excepté la phase d’entente politique- en vases clos, avec chacun sa propre logique, sans se soucier de celle de l’autre. Alors qu’ils devraient opérer selon le principe de vases communicants, avec une mise en commun des actions, et une approche collective dans l’appréhension des problèmes et leur règlement, avec un principal souci, celui de sauver le pays de l’enlisement et d'en préserver l’intérêt suprême.

Tout le monde semble aujourd’hui s’accommoder des mauvais comportements qui se répandent dans la société, avec une incivilité rampante, et un laxisme ambiant. Tout le monde se plaint en même temps que la situation connaisse une telle dégradation. Qui est responsable ? Qui est fautif ? Tous responsables, et tous fautifs. Tant qu’on n’essaie pas de changer nous-mêmes, la situation ne sera pas prête à changer. On pourra critiquer le gouvernement matin, midi et soir, il ne saura guère faire avancer les choses, en présence de cette démission collective, jointe à un égocentrisme corporatiste.

H.J.