Tunisie/Constitution : Tactiques et fausses concessions d’Ennahdha

Publié le Lundi 17 Juin 2013 à 20:44
Ennahdha n'a pas réellement renoncé au régime parlementaire.Le destin de la Tunisie est suspendu à la nouvelle constitution. Tant que cette loi fondamentale n’est pas discutée, votée, adoptée, promulguée et publiée, on aura l’impression de vivre dans un provisoire qui dure,  beaucoup trop quand même. Après de longs mois de débats, de controverses, d’altercations et de palabres à l’Assemblée nationale constituante, la troisième et dernière mouture du projet de constitution a été  signée le 1er juin devant les caméras. Une signature qui a suscité des grincements de dents, voire le courroux de certains députés, qui l’ont jugée précipitée, dans la mesure où le draft en question renferme des points litigieux, qui, plus est, sont en déphasage avec les accords conclus lors des dialogues nationaux, de Dar Edhiafa de Carthage et du Palais des congrès.

A la longue, ce feuilleton d’élaboration de la nouvelle constitution, avec ses multiples rebondissements, devient révoltant, voire déprimant. Déjà que la durée initiale impartie à la préparation de la nouvelle constitution censée marquer le passage de la Tunisie de la dictature à la démocratie, et jeter les bases de la deuxième République, est largement dépassée. Les prolongations se comptent par une huitaine de mois, et on semble encore loin du but ultime. Que se passe-t-il ? Pourquoi tant d’entraves, et d’atermoiements ? Est-il si compliqué d’accoucher d’une constitution qui soit le reflet de cette Tunisie postrévolutionnaire diverse et plurielle, qui soit garante des droits et des libertés, qui soit porteuse de garde-fous à même d’extirper à la racine toute résurrection potentielle de la dictature, bref qui sera à la hauteur de l’étape historique que nous vivons. Face aux successives déconvenues dont le palais du Bardo est le théâtre depuis la période postélectorale, les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à exprimer des regrets d’avoir opté pour cette voie difficile et chaotique de la constituante. Ils espèrent pouvoir faire remonter le temps pour  procéder autrement. D’aucuns se rendent compte après coup que l’amendement et l’épuration de la constitution de juin 1959 aurait fait l’affaire. D’autres trouvent qu’on aurait tout à gagner si l’on avait la présence d’esprit de confier la préparation de la constitution à des experts qui auraient rendu leur copie de pros en un laps de temps court, et avec beaucoup moins d’incohérences et de failles que celles existantes dans l’actuel produit de l’ANC. Les regrets ne servent néanmoins à rien, le mal est fait, et nous n’avons d’autre alternative que de composer avec, et de trouver le meilleur moyen pour s’en sortir.

Essayons de voir où réside le problème, et sur quoi trébuche-t-on au juste ?  Tout naturellement, l’Assemblée nationale constituante regroupe un panorama d’élus issus de familles politiques et idéologiques différentes, qui ont des conceptions et des projets dissemblables pour la Tunisie future. D’autant plus que les élections du 23 octobre 2011 n’ont pas dégagé une majorité absolue, mais un quota relativement majoritaire à Ennahdha, et des quotas plus ou moins importants pour les autres partis, ce qui a donné lieu à un hémicycle éclectique et effrité, peu ou prou  dépassé par le jeu des alliances parlementaires. Malgré cela, les désaccords entre, et au sein même des groupes parlementaires, étaient nets ; concilier les avis foncièrement inconciliables n’était pas gagné d’avance. Sauf que notre élite politique a prôné, du moins au niveau du discours,  le consensus et a appelé à réduire autant que faire se peut les discordes et à préserver l’unité et la cohésion nationale, dans cette étape cruciale et critique que traverse la Tunisie.  

L’on se rappelle tous des débats houleux qui se sont déroulés à l’ANC sur des points de désaccord majeurs, à l’instar notamment de l’inscription de la charia qui a fini par être tranchée  par un consensus autour de l’article premier de la constitution, ou de cette histoire de complémentarité homme/femme qui a provoqué un tollé et qui a fini par être remplacée par l’égalité entre les deux sexes. L’autre sujet qui a profondément divisé l’assemblée est celui du régime politique. Le parti islamiste majoritaire s’est accroché obstinément au régime parlementaire ; un choix qui était rejeté par l’ensemble des autres partis représentés à l’Assemblée. Après une interminable polémique, Ennahdha a fini par se résoudre au consensus et a accepté le régime mixte.

En y voyant plus clair, il s’est avéré que le parti de la majorité n’a pas effectivement renoncé à son régime de prédilection, puisqu’il a persisté à  dépouiller le Président de la République de tous les pouvoirs, et à investir le Chef du gouvernement de super pouvoirs. Chose à laquelle ses partenaires politiques ont opposé une fin de non-recevoir, jusqu’à ce qu’un compromis soit de nouveau trouvé pour une répartition équilibrée des prérogatives entre le tandem de l’exécutif, lors des dialogues nationaux. Normalement, les choses devraient rentrer dans l’ordre, et le projet de constitution devrait traduire l’esprit et la lettre des accords conclus. Il n’en est rien hélas.

Le déséquilibre est encore de mise dans le draft de la constitution entre les deux têtes de l’exécutif au détriment du Président de la République, ce qui a fait pousser des cris d’orfraie aux alliés et adversaires politiques d’Ennahdha, l’accusant de vouloir renouer avec le despotisme. La polémique reprend de plus belle, les travaux des commissions constitutives sont mis à mal et le processus de parachèvement de la constitution s’arrête.

A vrai dire, en lisant les articles incriminés, on trouve légitime la contestation des détracteurs du parti islamiste sur ce point précis. La question est de savoir pourquoi faire semblant d’accorder des concessions qui n’en sont pas réellement, et faire durer ce dialogue de sourds dont tout le monde est las. Ennahdha fait des tactiques, est c’est là le propre de tout parti politique, mais sur ce coup-là, il s’y méprend, car il sous-estime trop l’intelligence de ses adversaires et partenaires politiques.

Et puis, on a comme l’impression que celui qui a rédigé la constitution, a  usé d’un crayon et d’une gomme. Il n’y a qu’à lire les mesures transitoires. Celles-ci prévoient notamment que la Cour constitutionnelle n’a pas le droit de contrôler la constitutionnalité des lois qu’après trois ans (ndlr : de son entrée en fonction), et qu’aucun autre tribunal n’est habilité à vérifier la constitutionnalité des lois. Autrement dit,  celui qui aura les commandes à l’issue des prochaines élections, aura toute la latitude de mettre en place tout l’arsenal législatif qu’il souhaite, sans se soucier que ces textes de loi soient en conformité avec la constitution. La constitution, qui devra régir la prochaine période,  sera, par ricochet, quasiment suspendue pendant une période de trois ans. Nul besoin d’être un expert en droit constitutionnel pour relever le caractère irrecevable, voir incongru de ces dispositions.

Manifestement confiant en la victoire aux prochaines élections, Ennahdha semble faire trop de calculs électoralistes et caresser un règne durable sans beaucoup de tracas. Cela revient à vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Le mouvement islamiste est certes un parti populaire fort d’un important poids électoral, il n’en demeure pas moins qu’il déçoit et n’échappe pas à l’usure du pouvoir. Quant à tenter d’adapter la constitution aux besoins électoralistes et à l’envie de se maintenir au pouvoir,  ce sera la porte ouverte sur l’hégémonie qui est génératrice de dictature. Tous ces beaux discours sur la démocratie et les libertés n’auraient engagé que ceux qui y ont cru…

H.J.
 


 


 

Commentaires 

 
+7 #2 Ennahdha= malédiction
Ecrit par bolbol     18-06-2013 10:36
C'est une véritable malédiction qui s'est abattu sur la Tunisie.Je n'ai jamais vu de ma vie des gens aussi fourbes, aussi sournois.....que cette secte maudite. Ils nous prennent en ôtage croyant que cette constitution est la leur et que le pays tout entier leur appartient.Ils n'ont rien compris et ne veulent rien comprendre quitte à tout détruire sur leur passage se croyant tout permis du fait de leur victoire toute relative aux dernières élections, répétant inlassablement qu'ils n'arrêtent pas de faire des concessions, comme s'ils étaient en terrain conquis. Quel malheur pour nous et quel dommage pour notre si beau pays. Je leur souhaite autant de mal qu'ils n'en ont fait à notre patrie en seulement 2 ans!
 
 
+9 #1 La réalité que je connais
Ecrit par khammous     18-06-2013 00:12
En contact avec les petites gens je peux vous confirmer qu'ils sont nombreux ceux qui ont honte de dire qu'ils avaient voté NAHDHA
 
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