Tunisie/Agressions sexuelles : Le silence de la honte

Publié le Mardi 09 Octobre 2012 à 17:29
Selon une récente enquête de l’ONFP qui a touché 3873 femmes, dans toutes les régions de la Tunisie,  15.7% d’entre elles ont révélé avoir être victimes de violences sexuelles. 80% de ces violences ont été commises par un membre de leur famille, et sont surtout les femmes au foyer qui y sont le plus exposées.

L’Association tunisienne des femmes démocrates lance une campagne de lutte contre les agressions sexuelles à l’encontre les femmes.  A cette occasion une conférence de presse a été organisée ce matin, pour parler de la situation des femmes victimes de violences, et des répercussions sur les victimes. Le 17 octobre aura lieu un rassemblement à l'avenue Mohamed 5 à Tunis, pour protester contre le silence.

«La violence sexuelle est l’une des expressions de l’instinct primitif de l’homme, qui se donne le droit de disposer du corps de la femme comme bon lui semble, et sans avoir besoin de son consentement. C’est l’expression du patriarcat par excellence », dit Ahlem Belhaj, présidente de l’ATFD. La violence sexuelle peut se traduire par plusieurs comportements, à savoir le harcèlement sexuel, la tentative de viol, le viol, les pratiques sexuelles que la femme refuse d’avoir, mais aussi par l’incitation à la prostitution.

«Les cas retenus englobent une large tranche d’âge. Cela va du bébé de 2 ans jusqu’à la femme âgée. Nous avions déjà accompagné une dame victime de viol,  âgée de près de 70 ans», dit Ahlem Belhaj.

D’après l’expérience de l’ATFD lors d’accompagnement de femmes agressées sexuellement, souvent les victimes qui portent plainte contre leur agresseur, les premières questions qui leur sont posées sont : « Où est-ce que tu étais, tu étais avec qui, qu’est-ce que tu portais ? La victime aurait presque besoin d’une attestation de bonne conduite", déplore Ahlem Belhaj.

Elle ajoute que l’institution sécuritaire n’est pas préparée pour traiter ces cas : le système n’est pas formé pour accueillir une femme violée, et n’est pas habilité à gérer une personne psychologiquement fragilisée. «Dans l’affaire de la jeune fille qui a été violée par des agents de l’ordre, on lui a reproché le fait qu’elle n’ait pas crié…Il s’agit là d’une réaction fréquente et normale ; à cause du choc, la personne perd ses moyens, et est incapable de réagir. On l’a dans ce cas là, accusée de ne pas avoir crié. Par ailleurs, les espaces dédiés à l’écoute de ce genre de plaintes, manquent, et les femmes victimes de viol ne peuvent pas en parler dans les couloirs, au vu et au su de tout le monde », rappelle la présidente de l’ATFD.

Elle dénonce dans la même lancée un « climat politique, dont le but est d’imposer aux femmes, un certain comportement, une certaine manière de s’habiller et de vivre ». L’association a collecté des témoignages de jeunes femmes qui ont été arrêtées parce qu’elles rentraient tard le soir, d’autres pour « tenue vestimentaire inadéquate », ou encore une jeune femme arrêtée car elle était en compagnie d’un étranger. « Que veut-on dire par cela ? Les Tunisiennes n’ont pas le droit de se retrouver dans la rue en compagnie d’un étranger ? De recevoir un invité étranger ? Quelle loi interdit-elle une telle chose ? Tout ceci donne libre cours à la violence contre la femme ! », s’indigne Ahlem Belhaj. 

Elle considère le refus de l’assemblée constituante de se référer aux droits de l’Homme universels dans les textes de loi, comme la porte ouverte à tous les dépassements et les impairs envers les femmes.

Elle appelle dans son intervention à concrétiser la stratégie nationale de lutte contre les violences commises à l’encontre les femmes. « Ce n’est pas l’affaire du ministère de la Femme uniquement, c’est tout un programme qui doit être généralisé au sein des mécanismes de justice, et de santé. Il est nécessaire de répandre la culture des droits de l’Homme, et la reconnaissance des Droits individuels », dit-elle.

Hayet Ourtani, psychologue, et coordinatrice de la commission de lutte contre la violence au sein de l’ATFD a présenté une partie d’une étude en cours sur les  cas de femmes qui ont eu recours à l’association pour dénoncer un abus sexuel commis à leur encontre ou à l’encontre de leur enfant.

Il s’agit de 50 cas, parmi un total de 100 : ces cas concernent 26 femmes adultes et 24 enfants mineurs. Parmi les femmes majeures, 15 femmes sont sans profession, 6 cadres, et 3 ouvrières.

11 cas de viols (2 par un policier, un par un voisin, 6 de la part d’inconnus, 1 par son oncle, 1 par son cousin), 3 cas d’inceste ( 1 par le père, 1 par l’oncle, 1 par le beau-père), une tentative de viol (par un policier), 10 harcèlements sexuels (7 par le supérieur hiérarchique, 1 par son beau-père, 1 par un policier), et 2 incitations à la prostitution (1 par le père et 1 le beau-père). 

Souvent ces femmes sont victimes de pressions extérieures pour les dissuader de porter plainte ou pour qu’elles retirent leur plainte. Cette pression peut être pratiquée par la police qui refuse d’enregistrer la plainte, surtout lorsque l’accusé est un policier, ou qui insulte la victime, l’agresse physiquement ou psychologiquement. Dans le cas de l’affaire du viol de la jeune fille par deux policiers, Hayet Ouertani affirme que l’on a fait subir à la victime une attente de plusieurs heures dans le poste de police, en compagnie de ses agresseurs. Ce qui dissuade les plaignantes, c’est aussi le regard de la société, l’absence d’autorités compétentes dans le domaine médical, à côté de celles qui sont menacées de conseil de discipline par leur supérieur hiérarchique, et sont poussées vers la sortie.

« Dans certains cas les mamans dont les filles sont victimes de viol préfèrent étouffer l’affaire, surtout quand la fille est très jeune, la mère s’enquiert d’abord de sa virginité, et préfère abandonner les poursuites si la fille est encore vierge ! Il y a aussi une famille qui abandonné l’affaire, car le viol était collectif perpétré par des bandits. La famille avait peur des représailles. Dans deux autres cas, le violeur avait proposé le mariage à la victime, dont la famille a étouffé l’affaire. Dans un autre cas, le violeur avait promis le mariage au père de la victime s’il retirait sa plainte. Après il s’est rétracté. La victime s’est alors retrouvée mère célibataire. Encore un cas ; une mère qui avait emmené sa fille à l’hôpital pour consultation, c’est là que la sage femme a alerté la police, et il s’est avéré que le père violait ses enfants, même son fils le plus jeune. Plus tard l’enfant a été menacé par le juge d’électrocution si jamais il inventait des histoires ! Dans un autre cas une fille avait fait 3 fausses couches avant que la mère ne rende compte, elle ne s’est rendue compte que lorsque son autre fille est tombée enceinte du mari de sa mère et avait mené à terme sa grossesse !», relate la psychologue. 

Pour les victimes de violences sexuelles, l’impact psychologique est assez conséquent. Souvent les victimes souffrent d’état de stress post-traumatique et de dépression. « Dans une famille où une fille a été violée, le père à eu un AVC et est décédé et sa sœur un AVC et est actuellement handicapée », relate Hayet Ouertani.

Concernant le harcèlement sexuel, l’absence de preuves pose le plus problème. L’article  226 du Code Pénal qui incrimine le harcèlement sexuel  prévoit qu’en cas d’absence de preuves, l’accusé se préserve le droit de demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Ce qui dissuade les victimes à porter plainte. Une loi qui ne protège pas les victimes, au contraire, elle les fait taire.

Chiraz Kefi

 

Commentaires 

 
+2 #3 et ce n'est pas nouveau
Ecrit par Gawri     10-10-2012 10:48
déjà du temps de ZABA, c'était ainsi. Je me rappelle avoir fait pâlir un flic en lui proposant de venir avec moi expliquer à Leila qu'il est interdit à une tunisienne de se faire transporter par un étranger. lol. Comme il ne savait pas "si c'était de la vache ou du cochon" (c.à.d si je parlais sérieusement ou non), il a laissé tomber.
Récemment, à Hammamet, vers 13 H, 5 ou 6 voitures étaient garées, face à la mer déchaînée. Deux policiers à moto sont arrivés et ont confisqué les papiers des hommes et femmes non mariés (tous tunisiens) se trouvant à bord du même véhicule. Je ne sais pas comment l'affaire s'est terminée.
 
 
+3 #2 je confirme
Ecrit par Gawri     10-10-2012 10:35
que bien qu'aucune loi ne l'interdise, une fille tunisienne repérée par la police, à bord d'une voiture, même en pleine journée, en compagnie d'un étranger, est accusée de "mouraouda", ce qui veut dire, je crois, raccolage.
 
 
+1 #1 Badi?
Ecrit par Royaliste     09-10-2012 18:29
que pense madame sihem Badi de la violence contre les femmes?
 
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