Tunisie/ Tarek Mekki : "Je cherche à désacraliser la fonction de Président"

Publié le Jeudi 07 Avril 2011 à 11:45
Tarek Mekki. Tarek Mekki qui a commencé à se faire connaître à travers des vidéos insérées sur Facebook, prône l’instauration d’une deuxième République. Il se dit contre les idéologies, et s’apprête  à lancer son parti : "Pour l’instauration de la deuxième République". Ce revenant du Canada est pour l’abolition du code du statut personnel, afin d'y substituer une charte des droits de la personne en Tunisie. Celui qui reconnait être un électron libre, conteste la légitimité du président par intérim, et propose de le remplacer par une instance militaire à l’égyptienne. Il s’oppose également à l’élection d’une assemblée constituante qui va nous mener, dit-il, "droit dans le mur". Tarek Mekki a exprimé, à maintes reprises, son souhait de devenir Président de la République : "si je ne suis pas élu Président un jour, je ne vais pas m’arrêter de respirer ou de sourire, ce n’est pas une obsession chez moi. Je cherche à désacraliser cette fonction", dit-il. Entretien

Qui est Tarek Mekki, voudriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

J’ai 53 ans. Je me suis lancé en politique le 8 décembre 2006, avec l’apparition de mon site, "Tunisie deuxième République". J’ai commencé à mettre en ligne des vidéos le 12 juin 2007. J’ai toujours prôné l’instauration d’une deuxième République. Je suis revenu le 23 janvier en Tunisie, après quelques années passées au Canada.

Comment avez-vous attrapé la fibre politique ?
Cette fibre, je l’avais depuis longtemps. Je suis issu d’une famille tunisienne normale qui considère que la politique est pour les autres, et non pour nous. Nous faisions partie de la majorité silencieuse. Personnellement, je n’étais pas d’accord. J’ai toujours appelé à la destitution de Ben Ali, un chef de mafia et un gangster avec qui, il n’y avait aucune négociation possible.

Vous donnez l’impression d’être un électron libre ?

Je demeurerai toujours un électron libre.

Quel est votre credo politique, votre idéologie ?
J’ai toujours considéré les idéologies comme une cage. Je suis anti-credo et anti-symboles. Le parti qu’on va créer, est un parti anti-idéologique, mais pragmatique. C’est un parti qui se proclame de l’identité nationale tunisienne musulmane qui est intouchable. Avec un programme adapté aux réalités historiques, géographiques et humaines de la Tunisie. Chaque pays a ses spécificités, ce qui est bon pour le Japon, n’est pas bon pour la Tunisie. La Tunisie est une entité unique qui a des spécificités régionales, dont il faut tenir compte.
Si on la prend sur la carte, la Tunisie est un port doté d’un arrière-jardin naturel, avec une agriculture diversifiée : culture maraîchère, céréaliculture, arbres fruitiers, etc. Il faut, aussi, tenir compte de la nature désertique de la Tunisie. L’avenir de la Tunisie se trouve dans le désert. Il y a trois mille ans, depuis les Romains, le désert n’a jamais été exploité, selon une stratégie bien pensée, alors qu’il regorge de richesses. Il faut penser au développement du sud tunisien. On peut faire pas mal de choses, en menant une politique de lutte contre la désertification, ce sera le premier pas vers une Tunisie verte de Bizerte à Ras Jedir. Ca pourrait-être fait grâce aux énergies renouvelables. Car, l’après-pétrole, c’est le soleil et les énergies renouvelables.

Quel est le modèle économique que vous prônez ?

Il n’y aura pas de modèle économique, si on ne prend pas en ligne de compte le côté social. Ce sera donc une économie libérale. Il ne faut jamais oublier ce qu’était Carthage ; la mondialisation est partie historiquement de la Tunisie. Même, lorsqu’on voit des enfants jouer, ils jouent à des rôles commerciaux. La Tunisie est un pays de services, d’agriculture, de pêche et d’industrie agroalimentaire. La Tunisie a plus d’atouts qu’Abou Dhabi, et a toujours constitué un carrefour. Il faut avoir le courage d’exploiter ces richesses, en accompagnant cela d’une politique sociale pour qu’aucun Tunisien ne soit laissé sur le bas-côté.

Tarek Mekki lors de l'entretien avec Gnet. Croyez-vous en la transformation de la Tunisie en pays développé. Si oui, combien de temps faut-il pour y arriver ?

Le gouffre économique a besoin d’une dizaine d’années pour être comblé, mais les répercussions doivent se sentir dès la première année. Il faut, pour ce faire, se débarrasser des lourdeurs administratives et du complexe vis-à-vis du modèle économique mondial. La mondialisation, ce sont des pays émergents comme la Tunisie qui en profitent.

Ne trouvez-vous pas que l'économie globalisée est  basée sur des règles inégalitaires ?

Bien entendu qu’il y a des règles inégalitaires. Mais, il faut jouer ce jeu, en essayant d'en tirer le maximum de profits. Là où nous en sommes, seule une économie libérale avec une dimension sociale pourrait marcher. Il faut savoir se débarrasser de la notion de l’Etat providence, car elle relève d’une culture dictatoriale, et de l’héritage colonial. Tous les Etats ont montré leurs limites. La Tunisie n’a pas de ressources comme l’Arabie Saoudite pour subvenir aux besoins des citoyens et leur permettre de réaliser leurs rêves.

Vous vous apprêtez à soumettre une demande au ministère de l’Intérieur, pour la fondation d’un parti politique. Ce sera la synthèse de tout cela ?

Oui,  il s’agit du "mouvement pour l’instauration de la deuxième République". Ces statuts garantissent un fonctionnement très démocratique, avec l’élection d’un secrétaire général pour un seul mandat de 4 ans, et d’un conseil national composé à parité d’hommes et de femmes. C’est un parti libéral qui croit à la cohésion sociale, au rôle de la femme dans une société moderne, car il y a des forces qui veulent régresser sur ce dossier. Il faut clore ce chapitre là. Je suis pour l’abolition du Code du statut personnel, pour le remplacer par une charte des droits de la personne en Tunisie. La personne pour moi est homme et femme. En 1956, il fallait faire le CSP. Il s’agit maintenant d’un acquis définitif, qu’on en parle plus. Je suis également pour l’abolition de la fête nationale de la femme du 13 août, car, c’est du non-sens de fêter la femme pendant un jour, pour que les 364 jours soient une corvée. Il faut passer au 8 mars à l’instar des pays développés, où l’on exprime notre appui aux femmes démunies et maltraitées.

Quelle est votre évaluation de cette période transitoire ?
C’est une période obligatoire, où les Tunisiens essaient de retrouver leur équilibre après s’être réveillé d’un coma qui a duré quelques décennies, et qui pourrait réussir si on refuse de tomber sous une autre dictature. Il faut savoir passer à une démocratie. La destitution de Ben Ali était un travail assez rude, mais le plus dur serait de bâtir une Tunisie démocratique, libre et confiante dans son avenir.

Qu’en est-il du gouvernement provisoire, le trouvez-vous efficace ?
On a l’impression que le gouvernement provisoire est tiraillé par des forces multiples. C’est au peuple tunisien de tracer la ligne à tout gouvernement, mais avec raison. On est tous d’accord pour éliminer les symboles de l’ancien régime, et traduire en justice les criminels qui ont tiré sur des Tunisiens. On est bien d’accord, également, que les voleurs de l’ancien régime rendent des comptes à la nation à travers une justice équitable. C’est là, le rôle du gouvernement transitoire, s’il veut réussir.

Vous avez tenu des propos assez durs au sujet du Président par intérim, qu’est-ce que vous lui reprochez ?

Je ne reconnais pas son autorité. Ce serait une bonne chose de déposer cet ex-numéro 2 du régime Ben Ali pour le remplacer par une instance militaire à l’égyptienne. Ce qui ne veut pas dire que cette instance aurait la latitude de diriger la Tunisie politiquement. Je préconise un conseil de présidence de 3 à 4 militaires, avec le gouvernement de Béji Caïd Essebsi qui fonctionne normalement. Ce serait très efficace.

Foued Mebazaa s’appuie sur une légitimité populaire, pourquoi vous la lui contestez ?
Je considère qu’on est au sommet de l’Etat avec une légitimité douteuse. On a suspendu la constitution et le parlement, je ne comprends pas pourquoi, il ne serait pas au chômage comme les autres parlementaires. Je ne suis pas dans le déni personnel, c’est une question politique ; mon but est le bien de la Tunisie.

Vous émettez également des réserves sur l’élection d’une assemblée constituante ?
Je ne l’ai jamais soutenue. Je pense qu’on va directement dans le mur avec cela. Mais, je dois me soumettre à ce que demande le peuple, ou plutôt à ce qu’on a chuchoté à l’oreille du peuple. On dit que la nouvelle constitution sera comme celle de 1959. Mais, ce n’est pas les mêmes conditions. La constitution de 1959 est une des meilleures au monde ; il faut la garder, en la requinquant.

Mais, elle a été altérée par de multiples amendements...

Il faut prendre l’original, c’est un bijou, et le moderniser. Une commission serait chargée de ce travail qui nécessite pas plus de 4 mois, et puis la présenter au suffrage universel. Avec la révolution du 14 janvier, les Tunisiens ont fait le brouillon, et les Egyptiens l'ont tiré au propre. Faire le brouillon est plus difficile que tirer au propre le brouillon des autres. Les Egyptiens sont assez subtils pour le comprendre.

Vous comptez participer aux élections du 24 juillet prochain ?

Je ne sais pas encore, les choses ne sont pas claires.

Si vous souhaitez contribuer à la gestion des affaires du pays, vous ne pouvez pas rester en dehors du système ?

Il vaut mieux rester en dehors des choses dont on est convaincu qu’elles sont maléfiques pour le pays. Et puis, il n’y a pas encore de texte qui fixe le cadre et la durée de cette assemblée.

Sinon, vous comptez concourir aux présidentielles, si elles venaient à être décidées. Puisque, vous avez reconnu dès le départ que vous voulez être Président de la République ?
C’est ce que les gens ont retenu, mais je ne me réveille pas le matin en pensant à cela. Ce n’est pas une obsession chez moi. Si je ne suis pas élu Président un jour, je ne vais pas m’arrêter de respirer ou de sourire. Moi, je cherche à désacraliser cette fonction, ce n’est pas une fin en soi. En Tunisie, on n’a jamais eu de Président. Bourguiba est le père de la nation, et ça a mal tourné après. Quant à Ben Ali, c’est un gangster, voire un Al Capone à la tête de l’Etat. On ne peut pas se comparer à Lula du Brésil, aux Présidents américains, ou français, bien que ces derniers soient assez monarques. Avec l’instauration de la deuxième République, je cherche la rupture, sans détruire ce qui a été fait. Il s’agit de prendre ce qui est bon, et se débarrasser de ce qui est mauvais. Il faut aussi qu’on arrive à décoloniser nos têtes, notre élite a toujours pris la France pour modèle. Bien que je ne sois pas anti-français, je dis que ce qui est bon pour la France, n’est pas bon pour nous.

Propos recueillis par H.J.  


 

Commentaires 

 
#25 Si TAREK
Ecrit par Ghorba     03-12-2012 08:32
Moi dès que j'ai vu votre première vidéo, j'ai su que vous seriez président et vous le seriez! Gardez le sourir mais surtout réparez votre dent (ça aussi c'est politique)
 
 
#24 hichem
Ecrit par hichem4768     21-05-2011 16:29
ya5i fama jme3a ta7ki tarek makki madhih chnouwa!! 3al 2e9al tarek mekki 9addem nafsou wo barnemej ...ben ali tla3elna mil 7it wo hakom choftou cha3mel wo chniya kanet tha9aftou siyasiya jemla ya5i shelkom jemlaaaaa!!! donc yezziyou mil falsfa wo na3tiyouh forsa .. je sui pour la 2eme republique 8)
 
 
#23 tunisie
Ecrit par majdi     01-05-2011 21:10
Moi je dirais c,est mieux qu'on lui donne une chance il arrive avec des nouvelles idees on a rien a perdre aprés tout on a garder Ben pendant 23ans , pouquoi pas donner une chance a tarek .
 
 
#22 j’adhère
Ecrit par farhat     13-04-2011 05:46
Avec ses vidéos, Tarek nous a fait souvent plaisir,avec un langage qui pouvait être compris par les anciens dirigeants.
Aujourd'hui il dit ce qu'il faut à notre classe politique qui a du chemin à faire pour comprendre les valeurs républicains et notamment la notion de souveraineté du peuple
 
 
#21 Tarek Mekki : une voix, un style nouvaux
Ecrit par Dédé     10-04-2011 06:41
Tarek Mekki : une voix et un style nouvaux qui peuvent fasciner parce que çà sonne authentique et VRAI.
 
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