Tunisie/ Santé : Un CHU dans chaque gouvernorat serait-il nécessaire?

Publié le Mercredi 06 Août 2014 à 14:44
Vue de la Conférence sur la Réforme de la SantéLa question de la réforme de la santé publique a fait ce mercredi l'objet d'une conférence organisée par le parti Al Joumhouri. Plusieurs médecins et professeurs universitaires ont apporté à cette occasion leur vision du projet et de ses défis. Un projet qui tient très à cœur le parti d'Ahmed Nejib Chebbi.

A la question, peut-on encore aspirer, en Tunisie, à des soins de qualité pour tous, le chef du service de chirurgie à l'hôpital Rabta, Pr Zoubeir Ben Safta, a répondu que cela impliquait que tous les services publics soient au même niveau de qualité.

"Dès qu'il y a un élément social de touché, la santé est touchée...cela dépend de la politique, la macro économie, la gouvernance, l'éducation, l'appartenance sociale, l'âge, le sexe, l'infrastructure, qui vont conditionner les moyens matériels et la santé", a-t-il dit. Si les médecins ne veulent pas partir travailler dans les régions, c'est selon lui, pour des raisons " évidentes et nécessaires, dont l'absence d'attractions pour leurs enfants. La santé est une affaire socio-économique avant tout, c'est une question de moyens", a dit Ben Safta.
  
A côté des moyens financiers, il indique qu'une stratégie nationale est nécessaire même en présence d'un budget conséquent. "Primo, il faut faire l'Etat des lieux réel. Il faut se faire une projection dans l'avenir. et il faut mettre en place une stratégie qui dépend des moyens et des objectifs à atteindre", a-t-il dit.
 
D'après lui, les médecins ont déjà commencé à résoudre le problème de la santé, en rationnalisant les ressources mises à leurs disposition. "C'est un projet qui a été fait il y a des années, au moyen de caravanes qui partaient dans le sud ou l'ouest pour plancher sur les cas les plus difficiles et les ramener sur le littoral", a relaté le médecin. 

Une tradition qui a été reprise par les partis politiques ou les associations, et que les médecins veulent institutionnaliser. Pr. Ben Safta appelle à ce que le pays soit sectorisé et que les patients restent se faire soigner dans leur gouvernorat sans être obligés de partir vers les grandes villes, faute de moyens dans la leur. 

Actuellement, "les CHU sont encombrés par les patients venus des régions. Ce pourquoi les médecins abandonnent la recherche au profit des soins...il faut inciter les gens à rester dans leur région". Ces mêmes patients se trouvent assez souvent obligés d'aller dans une autre ville que la leur, à leurs propre frais pour encore attendre pendant des heures interminables dans les services des urgences.

"Ces malades là, doivent être transférés par le secteur public, par le choc room qui doit lui-même leur trouver une place dans un hôpital et les transférer. Si les patients fuient vers les CHU et le privé, ils se trouvent parfois obligés de vendre leur maison pour se soigner...Il faut absolument créer un bon service de santé régional ", a insisté Zoubeir Ben Safta.
 
Il préconise également la création de pôles d'excellence, et des départements, comme c'est le cas en France. "Pour veiller à la bonne marche des services, il faut qu'il y ait des médecins responsables sur ces pôles, et des rapports sur la qualité rédigés régulièrement", a-t-il ajouté. Il s'est par ailleurs, interrogé sur le projet d'informatisation des centres de santé de base. Un projet "qui nécessiterait plus de moyens, certes, mais qui peut générer d'énormes économies", selon lui.

Le but est d'après lui, de créer des Centres Hospitalo-universitaires dans chaque gouvernorat, pour aspirer à une meilleure prestation sanitaire.
 
Chelbi Ben Kehia, professeur à la faculté de Médecine de Tunis, a pour sa part passé en revue le parcours du secteur de la santé en Tunisie, depuis l'indépendance jusqu'à ce jour, révélant que l'évolution a été pratiquement la même dans les pays du Maghreb.

"Le travail du prescripteur est très important. Les prescripteurs sont les vrais décideurs du budget alloué à la santé", a-t-il dit en faisant allusion aux médecins qui décident des soins et médicaments nécessaires au patient. Le buget alloué actuellement à la santé est entre 5% et 6% du PIB. Un montant qui reste, pour Belkahia, en deçà des besoins du secteur. 
 
La réforme de l'industrie pharmaceutique tunisienne de 2009, a été un grand acquis selon lui, renforçant ainsi l'indépendance de la Tunisie, en lui permettant d'exporter sa propre production."Nous avons une qualité de médicaments qui est extraordinaire. J'ai visité des laboratoires, et je vous assure qu'ils font du bon travail", a-t-il assuré.

Les objectifs de la réforme de 2009 était de multiplier par cinq, à l'horizon 2016, l'exportation des médicaments tunisiens, et que 60% de la consommation nationale soit de la production locale. "C'est trop ambitieux à mon avis, mais les moyens existent, et nous devrions cibler davantage l'Afrique, regrouper les sociétés de manière fonctionnelle,  ", a-t-il dit. 
Chiraz Kefi
 
 

Commentaires 

 
+2 #1 Le statu quo est impossible : Il faut ressuciter notre système public de santé !
Ecrit par Dr Dhamir     07-08-2014 02:41
Toutes les réformes des systèmes de santé doivent arbitrer entre 4 objectifs presque contradictoires : assurer la viabilité financière du système, mais aussi l'égal accès aux soins, la qualité de ceux-ci, enfin la liberté et le confort des patients & des professionnels.

En Tunisie, le secteur public est devenu “le parent pauvre” du système et le privé l’apanage des plus fortunés (malades, surtout Libyens); médecins (dur de résister au cash et aux tarifs “libres) et institutions.

Résultats: notre vieux système de santé public est mal en point: inégalités criantes, cohabitation de la pénurie et de la gabégie, un rendement très inférieur et un malaise chronique des patients & des professionnels. Prévisible quand aucune réforme d'envergure n’a eu lieu depuis 30 ans car soit trop difficile, soit politiquement ingérable.

Plus de CHUs ne resoudra pas le problème s’il n’y a pas de:1.

1-sérieuses mesures visant à renforcer l’attractivité de l’hôpital public pour les médecins. Cela implique un nouveau statut contractuel offrant de nouvelles perspectives de rémunération aux praticiens désireux de s’impliquer activement dans la vie de l’hôpital public. Le contrat devra inclure des modulations de rémunérations sur la base d’objectifs et d’engagements individuels du praticien, notamment de son volume d’activité. Il faudra aussi prévoir de pouvoir intéresser financièrement les praticiens & les autres personnels aux résultats de leur établissement.

2. Amélioration de la “gouvernance” du secteur privé qui doit être utilisé en complémentarité avec le secteur public afin de bien desservir la population. Nous ne prônerons plus une médecine à 2 vitesses comme c’est le cas aujourd’hui, mais une médecine accessible pour tous.

Quand les médecins formés par l ‘état continuent de se retirer “en masse” du système public, abandonnant leurs patients pour offrir des services contre rémunération directe à ceux qui ont plus de moyens, c'est un triple problème, affectant à la fois l'éthique, le financement et l'efficacité de la médecine dans notre pays.
 
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