Tunisie/ Réconciliation : Ghannouchi la défend plus ardemment que BCE !

Publié le Jeudi 27 Août 2015 à 13:51
Rached GhannouchiLe plaidoyer fait hier par le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, en faveur du projet de loi sur la réconciliation économique et financière, laisse présager un passage du texte à l’ARP, comme une lettre à la poste, malgré la levée de boucliers qu’il a provoqué.

Lorsqu’il a présenté son initiative législative le mardi 14 juillet à Carthage, lors d’un conseil des ministres tenu sous sa présidence, Béji Caïd Essebsi a fait la distinction entre la réconciliation économique et financière, et la justice transitionnelle, qui doit s’occuper, a-t-il estimé, de problèmes politiques et de violations des droits de l’homme.

Même position du numéro un d’Ennahdha, dont la complicité avec le chef de l’Etat ne se dément pas au fil des jours. Pour le cheikh qui a défendu ardemment  hier mercredi 26 août, lors d’un entretien avec Shems, le projet présidentiel, "l’institution de réconciliation est une chose, et l’institution de justice transitionnelle, c’en est une autre".

"La réconciliation n’est pas étrangère à la pensée du mouvement, sa culture et sa politique. Depuis notre arrivée après la révolution, nous avons dit que le pays a besoin de réconciliation entre son passé et son présent, entre islamistes et laïcs, entre Islam et démocratie…", a-t-il dit en guise d’entrée en matière.

Il a estimé que le dossier de réconciliation devait être ouvert avec circonspection, sans esprit vindicatif. La reddition des comptes est nécessaire, et il ne faut qu’il y ait impunité, mais ce n’est pas avec l’esprit  de vengeance et de représailles mais avec l’intention de cicatriser les blessures et d’aller de l’avant, loin de tout esprit de rancunes, a-t-il poursuivi.

Tout en se prononçant clairement en faveur du projet de réconciliation, Ghannouchi a considéré que cette question avait besoin d’amendements et d’ajustements. "Le président l’a dit, vous pouvez le modifier comme vous voulez, ce n’est pas un coran sacré", a-t-il professé, signalant que ce projet vise à trouver des solutions "à l’argent bloqué, et aux hommes d’affaires bloqués du fait de la lenteur de la réconciliation".

Il a néanmoins admis le droit de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) de critiquer ce projet, et de considérer qu’il allait torpiller le processus de justice transitionnelle, tout en faisant valoir la recherche d’efficacité. "Si on allait attendre cinq ans (ndlr : le temps que l’IVD s’occupe de ce dossier), l’argent se serait évaporé", a-t-il prévenu, jugeant que "tous les gouvernements d’après la révolution se sont trompés de ne pas avoir traité ce dossier rapidement".  

Ce projet de loi va permettre, à ses yeux,  de transformer l’argent sale en argent propre, à travers l’investissement dans la création de postes d’emploi, dans le développement de l’infrastructure dans les régions intérieures, "c’est une manière de rendre l’argent à son lieu d’origine. Quel est l’intérêt pour la Tunisie que cet argent reste détourné, des experts disent que 5, 6 à 10 milliards peuvent être injectés dans l’économie grâce à la réconciliation", a-t-il affirmé.  

A l’image du président de la république, le chef du mouvement islamiste a appelé à distinguer entre les affaires et les crimes financiers qui requièrent des solutions rapides, et les crimes  politiques et de droits de l’homme, principaux sujets de la justice transitionnelle. "Le projet de réconciliation doit être mis dans un cadre, de manière à ce qu’il soit ni imbriqué avec la justice transitionnelle, ni ne l’exclut, chacun emprunte sa voie".    

Une position qui tranche nettement avec les nombreuses critiques formulées à l’encontre de ce texte, qui le disent anticonstitutionnel, préjudiciable au processus de justice transitionnelle, dans la mesure où il le vide de sa substance, et totalement en porte-à-faux avec l’esprit, les exigences et les objectifs de la révolution. L’IVD est tout naturellement le chef de file de ce mouvement contestataire, mais le cercle des détracteurs du projet ne cesse de s’élargir embrassant les milieux politiques, civils… un appel à la mobilisation populaire est lancé. Nonobstant ce rejet grandissant, le projet de loi est bien parti pour être voté à une majorité confortable, tant qu’il est plébiscité par les deux principales forces parlementaires Nidaa et Ennahdha.

Gnet