Tunisie/ Passage au parlement : En tacticien, Youssef Chahed prend un risque calculé !

Publié le Jeudi 26 Juillet 2018 à 12:14
Youssef ChahedL’on s’attendait à ce que le 25 juillet, soit une occasion pour sortir le pays de l’immobilisme, assainir le climat politique et pousser la crise vers la résolution, il n’en était rien, hélas. La situation  s’envenime davantage, et le bon sens semble être sacrifié sur l’autel de querelles, qui desservent grandement le pays.

La plénière parlementaire de mardi consacrée à l’élection des trois membres restants de la Cour Constitutionnelle, s’est soldée par un énième et incompréhensible fiasco. Des candidats (Ayachi Hammami et Sana Ben Achour, notamment)  pourtant objet de consensus au sein de la commission des compromis, n’ont pu obtenir la majorité requise.

Par ailleurs, entre Carthage et la Kasbah, rien ne va plus ; les deux têtes de l’exécutif continuent à se tourner le dos, et la célébration du 61ème anniversaire de la république n’a pas permis de les réconcilier.

L’annonce au soir de mardi 24 juillet par Youssef Chahed de la nomination de Hichem Fourati, en tant que nouveau ministre de l’Intérieur, a exacerbé la discorde. Le chef de l’Etat n’aurait pas été consulté au sujet de cette nomination à la tête d'un ministère régalien, chose que le chef du gouvernement réfute, affirmant avoir aussi bien consulté le président que les partis soutenant le gouvernement.

La désignation d’un successeur à Lotfi Brahem, pour pourvoir à la vacance à la tête du ministère de l’Intérieur, géré depuis le 06 juin dernier par un intérimaire, en la personne de Ghazi Jribi, a pris tout le monde de court, et a contredit les pronostics. Elle intervient à l’heure où l’on prédisait deux types d’évolution en vue de sortir de l’impasse actuelle : La première, la plus vraisemblable et la plus évoquée, est que Youssef Chahed finisse par se soumettre à un nouveau vote de confiance de l’Assemblée, soit sur sa propre instigation, soit sur celle du chef de l’Etat, comme de nombreuses voix de la scène politico-médiatique et sociale le pressent de le faire.

La seconde – la moins probable-, vu l’état actuel des divisions, est que le chef du gouvernement parvienne à passer outre la case parlement, une fois, il aura réussi à désamorcer l’hostilité à son encontre, notamment de l’UGTT et d’une partie de Nidaa, et à se contenter d’opérer un remaniement de son équipe.

Soit ça passe, soit ça casse
Ce n’est ni l’une, ni l’autre, les choses prennent une tournure médiane ; avec l’annonce de Youssef Chahed de se diriger tout prochainement à l’Assemblée pour demander la confiance, non pas à son gouvernement, mais au ministre de l’Intérieur désigné.

Là où Béji Caïd Essebsi se complait dans un certain attentisme, ne daignant pas user de ses prérogatives constitutionnelles, et se contentant de déclarations ; face à la crise, Youssef Chahed fait montre de pragmatisme, et ne cesse de pousser ses pions. Il a trouvé l’astuce lui permettant de passer par le parlement, avec un risque calculé. Soit ça passe, soit ça casse. Si Hichem Fourati obtient la confiance du parlement, ce sera une victoire partielle pour le chef du gouvernement qui le confortera quelque peu dans sa position. Si à l’inverse, sa nomination est rejetée par un vote défavorable, ce sera un désaveu qui le fragilisera davantage, et hypothèquera son maintien à son poste.

Youssef Chahed a pris les devants le mardi 24 juillet et a semblé prendre l’opinion publique à témoin, en se défendant de s’accrocher au fauteuil, tout en prévenant contre les risques d’un changement du gouvernement pour l’économie tunisienne et la situation générale du pays. Il a énuméré quatre priorités dont il faut tenir compte : achever les négociations sociales avec l’UGTT avant le 15 septembre, se tenir prêt à la revue du FMI prévue le 15 août, en vue du versement de la quatrième tranche en octobre pour financer le budget, préparer le pays à sortir sur le marché mondial en septembre, et le fait que gouvernement planche sur l’élaboration du projet de loi des finances de 2019.

"Je suis ouvert à toute démarche pour sortir de la crise, y compris d’aller au parlement du moment où cela tient compte de ces quatre priorités", a-t-il dit.
 
Le locataire de la Kasbah tente le tout pour le tout, pour faire retourner la situation en sa faveur. Jusque-là, le président laisse faire le Premier ministre, dont la supposée ingénuité politique du fait de la jeunesse et de l’inexpérience, est en train de dépasser l’habilité politique, acquise par l’âge et la longue expérience. Youssef Chahed parait jusque-là invincible, jusqu’où ira-t-il ?
Gnet