Tunisie/ Médias : Retour du dépot légal, une plainte sera déposée

Publié le Mercredi 05 Février 2014 à 17:23
Vue de la conférence de presse. L’ancien chef du gouvernement, Ali Laaridh, a réinstauré le 7 janvier 2014, le dépôt légal qui exige de tout imprimeur, producteur, ou distributeur qu’il soit personne physique ou morale, l’enregistrement et le dépôt des publications périodiques ou non périodiques, avant de les mettre à la disposition du public. Une application des articles 4, 5, 6, 19 et 22 du décret-loi 115 de l’année 2011, et qui a été publié dans le JORT le 27 janvier 2014.

La rédaction de l’hebdomadaire Attarik Al Jadid s’est à ce propos réuni ce mercredi 5 février pour dénoncer ce «retour vers les anciennes pratiques, de l’ancien régime», selon les dires de Hichem Skik, directeur de la rédaction du journal, qui craint que cet décret ne soit un retour de la censure.

«Nous avons vécu cela sous le règne de Ben Ali, et nous avons beaucoup souffert de cette pratique…j’ai personnellement passé des nuits entières à l’imprimerie, où l’imprimeur devait faire le dépôt légal, alors que le numéro est prêt et imprimé, et nous devons attendre que l’imprimeur obtienne un récépissé. Un récépissé que l’on ne sait jamais quand pouvoir obtenir. Parfois le jour même, parfois dans plusieurs jours… voire jamais », a-t-il déclaré.

Selon lui le dépôt légal avant diffusion, «ne sert qu’à une seule chose, au contrôle préalable…et si on ne le fait pas, on est exposé à des amendes », a-t-il dit.

Il rappelle que les journaux d’opposition se sont battus du temps de l’ancien régime pour faire annuler le dépôt légal. « Jusqu’en 2005, où Ben Ali a ordonné de l’annuler…c’était avant le sommet de l’Information,  où exposé à beaucoup de pression de la part des organisations mondiales, Ben Ali craignait  qu’elles ne rompent les liens avec la Tunisie », a-t-il relaté.

Le dépôt légal est une pratique courante dans plusieurs démocraties, instaurée pour servir la mémoire collective. Les éditeurs de journaux, livres et publications doivent  fournir au moins une copie de leurs publications, aux archives nationales ou à la bibliothèque nationale du pays pour en conserver une trace au sein du patrimoine culturel.

Le décret-loi 115 fait la différence entre les publications périodiques, comme les journaux, et les publications non périodiques comme les livres. « Le décret loi 115 , dans son ancienne version, stipule que les livres doivent être déposés avant leur publication, sans préciser quand le dépôt légal devait se faire pour les journaux. Ce décret du 7 janvier 2014, précise que les publications périodiques et non périodiques  doivent être déposées avant d’être rendues publiques,», a expliqué Skik. Rappelant  que l’article 31 de la constitution garantissait la liberté d’expression et de publication, tout en interdisant leur soumission à un contrôle préalable, Hichem Skik  déplore qu’au lendemain de l’adoption de la nouvelle constitution, « la première chose qui en ressort est une loi qui est anticonstitutionnelle ».

Il appelle médias, journalistes et opinion publique à s’opposer à cette pratique, « et pour gagner du temps, nous avons à travers notre avocat Mohamed Lakdhar, demandé la suspension expresse de cette loi en attendant le dépôt d’une plainte », a-t-il dit.

Taieb Zahar, Directeur général du magazine Réalités, a témoigné des années de braise où le régime obligeait les journaux à enlever certaines pages du magazine quand leur contenu n’était pas à son goût. « On nous obligeait par exemple à déchirer des pages, sinon nous ne pouvions pas distribuer le numéro déjà imprimé. Ce qui a fait que nos lecteur se mettaient à feuilleter le numéro avant de l’acheter, et s’ils découvraient des pages manquantes, ils n’achetaient pas …Une fois même on nous a obligés à enlever le mot « Rambo » d’un article parlant du président de la république, et que le régime trouvait réducteur . Nous avons passé toute la nuit à chercher le mot dans toutes les copies et à le barrer au feutre noir », a-t-il raconté.

Nizar Bahloul, chargé de la presse électronique au sein de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux, a pour sa part évoqué la question du dépôt légal pour les journaux électroniques.

L’article 5 du décret de la Présidence du gouvernement stipule que toutes les publications qui se plient à cette loi sont celles écrites, dessinées, ou autres moyens d’expression destiné au public, qu’ils soient inscrits sur un support papier ou sur des supports électroniques, magnétiques, ou autres. « C'est-à-dire que les blogs, journaux électroniques et mêmes les smartphones sont concernés…ce qui implique qu’avant de publier un article sur mon  site je dois attendre le récépissé de la Présidence du gouvernement, ce qui enlève toute sa réactivité au support électronique », a-t-il dit, précisant que ce type de presse publiait à toute heure de la journée et de la nuit, et qu’il serait insensé d’attendre qu’un fonctionnaire soit à son bureau pour qu’il puisse publier un article. Il préconise en revanche que le dépôt légal soit fait a postériori, non pas auprès de la présidence du gouvernement, mais auprès de la bibliothèque nationale, les archives nationales ou un organisme indépendant à l’instar de l’HAICA.

Chiraz Kefi