Tunisie/Les journalistes doivent réapprendre leur travail (Sylvie Kauffmann) |
Publié le Mercredi 02 Mai 2012 à 11:00 |
A la veille du 3 Mai, journée mondiale de la presse, Gnet a interrogé Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale au journal Le Monde, sur le rôle des médias dans un pays démocratique, et les rapports qui y prévalent entre politiques et médias. Notre interlocutrice a commenté la situation en Tunisie où les relations entre médias et politiques sont tendues. Selon ses dires,"il faut que les journalistes réapprennent leur travail, celui de faire simplement de l'information et de l'enquête, et pas seulement du militantisme. Et il faut que les politiques acceptent la critique, si elle est faite d'une manière déontologique et professionnelle". Quel est le rôle des médias dans un pays démocratique ? Le rôle des médias, c'est d'informer, d'éclairer, d'analyser et de permettre aux citoyens d'expertiser les décisions du gouvernement de diverses manières, en leur apportant les informations qui leur manquent, soit parce que ce n'est pas le rôle du gouvernement ou du parlement de leur apporter ces informations, soit parce qu'on veut les leur cacher. Le rôle des médias est de faire la lumière sur ce qui est maintenu dans l'ombre, car, même les gouvernements démocratiques ont une tendance au secret. Ce sont les médias qui vont les obliger à faire preuve de plus de transparence. Quelquefois, on parle des médias comme contre-pouvoir, je considère que ce n'est pas le but premier d'être le contre-pouvoir même si de fait, s'ils font leur travail au quotidien, ils remplissent naturellement cette fonction, en donnant aux citoyens les éléments essentiels qui leur permettent de juger le travail du gouvernement, en interpellant le pouvoir sur certains dossiers d'actualité, etc. Les médias sont un rouage essentiel de la vie démocratique. Les médias représentent-ils réellement un quatrième pouvoir, comme on veut bien les qualifier, en l'occurrence en France ? Je pense que oui. C'est un pouvoir plus ou moins puissant suivant les périodes et suivant les gouvernements. J'aurais tendance à dire que les médias en France sont moins puissants que ceux des Etats Unis parce que la législation est plus contraignante en France. Les Etats Unis ont le premier amendement qui consacre la liberté d'expression, jalousement protégé par la cour suprême. Chez nous, la législation est moins favorable, avec des restrictions sur la diffamation et sur la protection de la vie privée, mais en réalité cela est en train de s'assouplir sous l'effet de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. C'est à nous les journalistes de nous emparer de ce pouvoir, et de l'exercer avec plus ou moins d'agressivité. Est-ce que les médias français, a fortiori Le Monde, arrivent à rester neutres envers les différentes forces politiques en place ? Je ne suis pas spécialement en faveur d'une presse militante. Déjà si nous faisions notre travail tous les jours, en traitant des différents sujets, et en posant toutes les questions , nous remplirions notre rôle sans avoir à être militant. En période électorale, on a toujours un peu plus de mal à rester neutre. En pareille période, il y a des passions qui se déchaînent, on est comme tout le monde, on se laisse entraîner quelques fois. Certains médias sont plus militants que d'autres. Au Monde, on peut toujours discuter de l'éditorial. On en discute tous les jours dans un cadre large, ainsi qu'entre éditorialistes, ou en conférence de rédaction entre chefs de service et la rédaction en chef. Les éditoriaux obéissent aux valeurs de la rédaction qui sont l'humanisme, la tolérance et la justice ; les mêmes valeurs prônées par Hubert Beuve-Mery, fondateur du Monde. Ces valeurs ne sont ni de droite, ni de gauche, ce sont des valeurs universelles. C'est pour ça qu'on a fait un éditorial sur le front national, qui défendait les valeurs constantes du Monde. (NDLR : Sarkozy et le FN : la fin ne justifie pas tous les moyens). Quel type de rapports prévaut entre médias et politiques en France ? Cela dépend du pouvoir. On dit souvent qu'il est plus simple pour un journal d'être dans l'opposition. Je suis assez d'accord avec ça, nos rapports avec Nicolas Sarkozy pendant son premier mandat n'étaient pas très chaleureux. Ce n'était pas facile non plus avec Mitterrand, on écrivait pas souvent ce qu'il lui plaisait. C'est ça la force d'un pays démocratique, on peut être en opposition avec le pouvoir, ça n'a pas de conséquences, ça peut avoir des conséquences sur le nombre d'interviews qu'on aura. Sarkoyz ne nous a pas donné beaucoup d'interviews, Chirac non plus. Ce n'est pas pour autant que l'on se sent boycotté, ce n'est pas grave. Est-ce que vous les ménagez dans le cas d'espèce ? Non, on ne les ménage pas, on se pose même pas la question. Vous restez toujours sur votre ligne ? On n'a pas de ligne de journal, mais des valeurs. Cela fait 20 ans que je suis au Monde, personne ne m'a dit qu'il faut écrire ça, et je ne l'ai dit à personne. Il y a une sorte de consensus, on est presque d'accord sur les choses essentielles ; cela nous arrive d'être choqués par les écrits de quelqu'un mais ce n'est jamais une transgression des valeurs. En Tunisie, les rapports entre le pouvoir politique et la presse sont tendus depuis le 14 janvier. Les politiques accusent les journalistes de manque de professionnalisme et de crédibilité, et les journalistes accusent les politiques de vouloir contrôler les médias. Qui a tort, et qui a raison dans ce genre de situation ? Je pense que c'est inévitable quand les médias ont été à ce point bâillonnés, que le jeu démocratique ne s'installe pas du jour au lendemain. Il faut que les journalistes réapprennent leur travail, celui de faire simplement de l'information et de l'enquête, et pas seulement du commentaire et du militantisme. Car, la tentation est très forte de faire ce type de journalisme. Il faut que les politiques apprennent à gouverner avec des médias qui font leur travail. Je pense que ça prend du temps, c'est difficile mais c'est aussi important que d'organiser des élections libres. Si les médias ne peuvent pas travailler, les élections ne sont pas libres. Il faut que tout le monde apprenne à vivre ensemble. On dit qu'il faut former les médias, mais il faut aussi former les gouvernants. Ces derniers ne pensent jamais qu'ils sont besoin d'être formés. Il ne faut pas que les médias se sentent la cible de représailles, quand ils font simplement leur travail. Il faut que les politiques acceptent la critique, si elle est faite d'une manière déontologique et professionnelle. Le journaliste n'est pas au dessus de la critique, il faut apprendre à vivre avec. On ne fait pas ce métier pour être aimé, ça prend du temps pour gagner le respect des lecteurs, des auditeurs et des gouvernants. On n'a pas besoin d'être populaires, mais il faut que l'on soit respectés. Si un responsable politique vous respecte, il vous donnera une interview une autre fois. Quand on est professionnel, on gagne le respect et la confiance des lecteurs. Ces derniers savent faire la différence assez vite ; ils savent quel journaliste respecter ou non. Propos recueillis par H.J. |
Commentaires
Ecrit par lecteur 03-05-2012 13:12
tu osais peut être toi, parler haut et fort de l'intérieur du pays?
même tes maitres ne l'ont pas fait de l'extérieur!!! ils ont préfèré faire des louange un sakhr!!
Ecrit par Benzarty 03-05-2012 12:18
Ecrit par Royaliste 02-05-2012 16:07
je dirai qu'il faut aussi former les millions d'anciens supporteurs de B.Ali.
Ecrit par Ninou 02-05-2012 15:53
Ecrit par lecteur 02-05-2012 14:44
sans blague, l'interview est très instructif.