Tunisie/ Justice transitionnelle : Les vices de forme et de fond du vote de l’Assemblée !

Publié le Mardi 27 Mars 2018 à 17:10
Le conseil de l'Instance devant le parlement. Le vote intervenu hier, lundi 26 Mars, dans un hémicycle clairsemé, présente des vices de forme et de fond. Au niveau de la forme, les irrégularités tiennent d’abord à la plénière elle-même qui n’a pas lieu d’être étant dénuée de toute assise légale, et ensuite au nombre de votants ayant rejeté la décision du conseil de l’IVD. Sur le fond, la suspension, voire l’annulation du processus de justice transitionnelle, alors qu’il en est à sa dernière ligne droite est un coup dur porté à la révolution, et au processus transitoire...

Un triste spectacle qui donne à pleurer, celui auquel on a assisté lors de la plénière de samedi, qui s’est poursuivie hier lundi pour le vote de la prolongation du mandat de l’Instance vérité et Dignité d’une année supplémentaire.  Déjà que cette plénière est une entorse à la loi, et apparaît comme le fait du prince si, d’aventure, elle se transforme en arène de combat, cela ne fait qu’accentuer la confusion.

La loi organique régissant la justice transitionnelle délimite dans son article 18 la durée des travaux de l'Instance à quatre années, à compter de la date de nomination de ses membres, renouvelable une fois pour une seule année suite à une décision motivée de l'IVD, soumise au Parlement, trois mois avant l'achèvement de son mandat".

A s’en tenir au sens littéral du texte, la prorogation d’une année relève exclusivement des prérogatives de l’IVD, et il n’est pas du tout question, d’un quelconque vote du parlement.

Une majorité inférieure au 1/3 : Un précédent
La deuxième irrégularité est que le vote contre n’a pas recueilli une quelconque majorité comme il est d’usage, pour qu’une décision soit entérinée au parlement.  Selon le règlement intérieur de l’Assemblée, il existe deux types de majorité : Une majorité absolue (50 + 1), et une majorité des deux tiers (soit 145 voix). Or, dans le cas d’espèce, la reconduction du mandat de l’instance pour une année a été rejetée à 63 voix, soit moins du 1/3, par les députés de Nidaa et assimilés, lors d’un vote largement boycotté. 

Venons-en au fond. A quoi ça rime de stopper net un processus, celui de la justice transitionnelle, inscrit dans la constitution, et qui est nécessaire dans tout processus de transition, sans en mesurer les innombrables retombées.

Le vote de l’Assemblée fait peu de cas des victimes, dont personne n’ose imaginer la détresse en apprenant la triste nouvelle ; balaie d’un revers de main le travail considérable, nonobstant les insuffisances, fait par l’instance ; fait perdre l’argent de l’Etat ayant alloué un local et un budget conséquent à ce processus ; décrédibilise les deux têtes de l’exécutif qui se sont engagés, à maintes reprises, en faveur de l’aboutissement et de la réussite du processus de JT, et nuit à l’image du pays,  dont l’expérience en matière de justice transitionnelle est observée, et ses résultats attendus,  et qui aurait fait, une fois parachevée et couronnée par la réconciliation, un cas d’école.

La justice transitionnelle engage tout le pays, son annulation d’une manière aussi désinvolte est un échec pour la transition démocratique et un coup de grâce porté à l’esprit et à l’idéal de la révolution, et à ses derniers vestiges. Aucun parti n’a le droit d’exercer une tutelle, ou de faire main basse sur ce processus,  en préconisant de détricoter tout ce qui a été fait pour préconiser une loi sur mesure et une justice à la carte, foulant ainsi aux pieds les principes inaliénables des différentes étapes de ce processus.

Quant à personnifier le débat et à le transformer en attaque ad hominem contre Sihem Bensédrine, quels que soit les reproches qu’on peut lui faire, cela dénote d’une démarche vengeresse et d’un règlement de comptes, plutôt que d’une critique impartiale et argumentée. La présidente de l’IVD tire sa légitimité de l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui l'a élue, celle-là même qui a voté la constitution de 2014, sur la base de laquelle l’actuelle assemblée a été élue. Si quiconque a des preuves à charge à son encontre, il n’a qu’à saisir la justice.

Moralité de l’histoire : Le vote d’hier est mal a propos, et présente de nombreuses tares, le rendant nul et non avenu. Le fait que l’IVD puisse mener à  terme sa mission est dans l’intérêt de tous, excepté quelques personnes qui ont des choses à se reprocher, afin que les plaies du passé soient cicatrisées, que la réconciliation soit faite sur des bases solides, et que l’on empêche les pratiques et les violations du passé de renaitre de leurs cendres, manifestement, non encore éteintes.

Gnet