Tunisie/ Justice transitionnelle : L'adoption de la loi et après ?

Publié le Jeudi 26 Décembre 2013 à 17:18
Vue de la tribune. Dans la nuit de samedi à dimanche 15 décembre 2013, l’Assemblée Nationale Constituante a adopté le projet de loi régissant la justice transitionnelle, soit trois ans après le déclenchement de la Révolution tunisienne. Il s’agit d’un instrument destiné à enquêter, dévoiler la vérité, et délimiter les responsabilités de chacun dans des actes de violation des Droits de L’Homme commis par le passé.  Le but de cette procédure étant de rendre justice aux victimes et de questionner et juger les coupables pour faire régner la justice et renforcer le sentiment de paix et les valeurs d’un Etat démocratique.

«La Justice transitionnelle en Tunisie : Qui y-a-t-il après l’adoption de la loi ? » est le thème de la conférence organisée ce matin à Tunis par le ministère des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle en présence du ministre Samir Dilou, et d’experts ayant contribué, ou qui contribueront au processus de la Justice transitionnelle.

Ghazi Jeribi, président de l’Instance supérieure du contrôle administratif et financier, a déclaré que la paix sociale ne sera atteinte qu’en tournant la page du passé. « Il n’y a pas de place pour la démocratie quand il y a haine, peur et le besoin de vengeance. Tourner la page du passé ne se fait pas en oubliant, ni en bafouant les droits des victimes, mais en pansant les douleurs, car toutes les exactions commises comme la torture, sont des cas d’infirmité qu’il faut soigner », a-t-il dit, ajoutant que l’actuelle loi, bien qu’arrivée avec du retard, est une loi équilibrée, qui prend en considération les principes universels, à savoir :  Dévoiler lé vérité, le questionnement, la reddition des comptes, la réhabilitation des victimes, la réforme des institutions et la réconciliation.

«Mais cette loi comporte des insuffisances…comme par exemple, 15 articles seulement dans les catégories de justice transitionnelle, dont un seul article qui traite de la réconciliation, ce qui mettra en difficulté l’Instance de la Vérité et de la Dignité, quand elle abordera ce volet…Par ailleurs, 55 articles, parmi les 70 articles de la loi, ont été réservés à l’Instance qui aura la charge de faire appliquer la Justice transitionnelle », a-t-il dit.

L’Instance de la Vérité et de la Dignité, est l’organisme qui selon cette loi aura la charge d’appliquer la justice transitionnelle : « Cette Instance est une autorité. Et la condition de son indépendance est cruciale. Mais elle doit être indépendante par rapport à qui ? Il faut qu’elle soit indépendante de l’autorité politique, mais aussi de toute pression ou ingérences extérieures, comme l’indique la loi…Mais celle-ci ne stipule pas quelle sanction serait réservée à celui qui s’ingèrera dans le travail de cette instance », a dit l’expert.

Le législateur a par ailleurs accordé à cette instance un pouvoir exécutif, ce qui induit que toute faute qu’elle commettra, l’Etat en sera exempt, et que seule l’instance sera responsable, «  tout jugement de dédommagement, en cas de faute, doit être réglé de son budget », a dit Ghazi Jeribi.

Concernant la composition de l’Instance, la loi stipule qu’une commission spéciale au sein de l’Assemblée Nationale constituante s’occupera du tri des candidatures. Cette commission sera constituée de 15 personnes. Selon le président de la Commission supérieure du contrôle administratif et Financier, le souci  de cette disposition c’est que  la composition de cette commission « est politique par excellence ». « Elle sera composée de groupes parlementaires, et devra être présidée par le président de l’ANC ou de l’un des vice-présidents. Il aurait été plus sensé de choisir les membres de cette commission parmi les membres élus d’autres instances : comme pour les avocats, il faut choisir ceux élus au sein du conseil de l’ordre des avocats, ou les médecins élus par leur conseil de l’ordre, les magistrats élus par les conseils supérieurs des magistrats, les experts élus au sein des conseils scientifiques, ou les représentants de la société civile élus au sein des commissions exécutives pour les associations, et l’ANC pourrait se charger de choisir les meilleurs parmi ceux-là », a-t-il expliqué.

Mohamed Ayadi, magistrat et membre de la Commission Nationale pour la recherche de la Vérité dans les Affaires de corruption et de malversation, est revenu sur l’expérience de cette commission dans la recherche de la vérité. Il a indiqué qu’il n’était pas toujours aisé d’accéder à l’information et que certaines requêtes faites auprès des administrations sont restées sans réponse : « Mais aussi que certaines personnes se disant avoir été victimes de l’ancien régime, ne disent pas tout. Par exemple dans des affaires économiques, quand elles sont interrogées sur leur patrimoine, elles ne disent pas la vérité, en tout cas ce qu’elles prétendent n’est pas conforme à ce que révèlent les documents administratifs. C’est  sans compter les pressions qu’a subies la commission. Il suffisait que l’on commence à ouvrir certains dossiers en rapport avec des personnes influentes, ou mêmes d’organisations ou syndicats historiques, qu’il y ait des attaques contre les membres de la commission », a-t-il témoigné.
Chiraz Kefi