Tunisie/ Femmes et politique : La bataille pour la parité absolue

Publié le Mardi 29 Avril 2014 à 17:23
Conférence sur la participation des femmes à la vie politique et associativeLes résultats d’une étude sur la participation de la femme tunisienne à la vie politique à travers son expérience au sein des partis politiques et des syndicats, ont été révélés ce matin, au cours d’une conférence tenue à Tunis, par l’Institut Arabe des Droits de l’Homme. Une participation toute relative, puisque les femmes demeurent hésitantes à prendre part aux batailles politiques ou syndicales, dans un pays où la femme détient le droit d’y participer depuis 1959, date de parution du premier code électoral tunisien, permettant à la femme de voter et de se présenter aux élections.

Nombre de lois et de décrets garantissent à la femme tunisienne une participation libre à tous les aspects de la vie politique, dont le principe de parité verticale et horizontale sur les listes électorales (dans le code électoral régissant les élections de l’Assemblée Nationale Constituante de 2011). Il n’en demeure pas moins que peu de femmes sont à la tête de partis politiques, de syndicats ou d’associations.  C’est ce qui ressort de l’étude effectuée par  Hafidha Chekir, professeur de droit public et Chafik Sarsar, professeur de droit constitutionnel.

L’étude rappelle que longtemps la femme tunisienne a été exclue de la vie politique, pour des considérations culturelles ou religieuses, comme toutes ses semblables du monde arabe, et même occidental.  Malgré l’évolution des législations et des libertés, « la femme reste tiraillée entre l’héritage du passé et le fait d’accepter sa nouvelle situation qui impose la parité entre les deux sexes », selon l’étude.

Il existerait même un manque de solidarité féminine envers celles qui prennent l’initiative d’un travail politique, les plaçant dans les plus hauts postes de responsabilité. « La Tunisie, comme beaucoup de pays à l’indépendance récente, n’adopte pas le principe de parité par conviction, mais plutôt pour adhérer aux pactes internationaux…pendant les 4 décennies qui ont succédé à l’indépendance, les femmes n’ont pas participé de manière réellement dynamique à la vie politique…c’est comme si, tout ce qui devait se faire à ce sujet, a été fait au niveau de la législation et des discours politiques », déplore le rapport de l’étude.

En 2011, lors des premières élections post-révolution, les femmes étaient représentées à hauteur de 37.27% sur les listes électorales, contre 62.73% d’hommes.

Curieusement, les partis politiques ayant le discours, ou la position, la moins ouverte à la participation de la femme à la vie politique, ne sont pas ceux qui accueillent le moins de femmes au sein de leurs institutions.

Le cas du parti Ennahdha en est le parfait exemple : « Ennahdha n’a pas mentionné clairement le principe de parité entre les deux sexes dans son programme électoral. Il s’est contenté de mentionner la nécessité d’améliorer la situation de la femme et d’activer son rôle de préserver la famille… le parti islamiste est le parti ayant eu le plus de femmes au sein de son groupe parlementaire, une seule femme au sein de son bureau exécutif, et 37 femmes dans son conseil de la Choura, composé de 150 membres », indique le rapport.

D’autre part, le bureau politique du Courant démocratique, composé de 44 membres, comporte seulement 5 femmes. Nidaa Tounes accueille 12 femmes parmi les 53 membres de son bureau exécutif. Celui du parti des Travailleurs est composé de 21 membres, dont seulement 3 femmes.
Heureusement, la participation de la femme dans la vie syndicale est plus conséquente, comme au sein de l’Association des Jeunes avocats, dont le bureau exécutif est composé de 9 membres, dont 4 femmes, et est présidé par une femme.  L’Association des magistrats tunisiens, le syndicat des magistrats tunisiens, sont également présidés par des femmes, et le Syndicat des Journalistes Tunisiens avait à sa tête une femme.

Par ailleurs, l’Association des Professeurs universitaires et Chercheurs accueille 4 femmes dans son bureau dirigeant, sur un total de 10 membres. Le bureau dirigeant de l’Union Tunisienne du Commerce et de l’Industrie n’a qu’une seule femme en son sein, qui est elle-même la présidente du patronat.

D’un autre côté, l’Union  Générale des Travailleurs Tunisiens, cette institution historique, n’accueille aucune femme au sein de son bureau exécutif, et seulement 2 femmes dans sa commission administrative qui est composée de 87 membres.

Maya Jeribi, secrétaire générale du parti Al Joumhouri, a declaré à cette occasion que la révolution est un long chemin à parcourir, dans lequel la femme doit s’accrocher à ses rêves «  car la femme est la première cible d’un éventuel échec de révolution…notre responsabilité est de nous soutenir les unes les autres, de multiplier notre travail politique et associatif et d’échanger nos expériences et nos expertises… nous devons mettre en place des programmes ciblés pour les femmes…enfin, inscrivons tout cela dans des lois et des textes, pour préserver notre société de tout retour en arrière», a-t-elle dit.

Raoudha Abidi, Présidente du Syndicat des magistrats tunisiens, a pour sa part déploré le manque de textes législatifs concernant les femmes : « Nous ne voyons pas de parité effective dans la vie politique après les élections. La femme n’est pas convenablement représentée, c’est pourquoi il est important que les femmes arrachent les premières places… je les appelle à le faire », a-t-elle dit.

La Tunisie a notifié le Secrétaire Général des Nations Unies, de la levée des réserves à la CEDAW, le 17 avril 2014, à l’issue de 2 ans d’hésitations. Une décision saluée aujourd’hui par le président de l’Institut Arabe des Droits de l’Homme. Le pays devrait s’engager par la suite dans une série de procédures pour éliminer toutes formes de discriminations envers les femmes. 

Chiraz Kefi