Tunisie/ Ennahdha : "Mes frères, je vous aime, mais je vous quitte" !

Publié le Vendredi 28 Mars 2014 à 17:10
Hamadi  Jebali et ses frères échangent les marques d'amabilité. Les leaders d’Ennahdha se relayent dans les médias pour dire tout le bien qu’ils pensent de Hamadi Jebali, Secrétaire Général démissionnaire du mouvement. Grand dirigeant, dirigeant historique, symbole du mouvement, l’homme est gratifié de toutes les marques de reconnaissance par les figures les plus influentes du parti, dont son président, Rached Ghannouchi, qui a rappelé ce vendredi, dans une déclaration aux médias, que Hamadi Jebali a été un jour à la tête d’Ennahdha (ndlr : c’était en 1982, suite à son élection par Majless al-Choura, instance suprême du mouvement).

Le SG démissionnaire reste lui, sur le même ton diplomatique, récusant tout rapport conflictuel, et toute rivalité avec ses frères. Ce cacique du mouvement islamiste, qui a dirigé le premier gouvernement de la troïka à l’issue des élections du 23 octobre, ne dissimule pas néanmoins les divergences d’appréciation qui l’ont opposé aux leaders et aux instances dirigeantes du mouvement, notamment lors de son initiative de formation d’un gouvernement de compétences apolitiques, au soir du 06 février 2013, dans la foulée de l’assassinat du martyr Chokri Belaïd.

Des désaccords connus de tous et qui semblent avoir desservi l’Homme au sein de sa formation. Mis en minorité, Hamadi Jebali n’avait pas prise sur le cours des événements et des décisions. Ses sorties médiatiques en pleine crise politique pour voler au secours d’un mouvement au centre de toutes les critiques, n’ont pas permis de le remettre en selle. D’où sa récente résolution de quitter le Secrétariat Général, traduisant clairement un premier pas sur le chemin encombré de Carthage. A fortiori qu’il ne fait pas mystère sur ses ambitions présidentielles, même s’il dit attendre le moment opportun pour dévoiler ses intentions.

Dans ses actuelles sorties médiatiques, hier sur Mosaïque et vraisemblablement ce vendredi soir sur Ettounsiya,  Hamadi Jebali semble dire mes frères, je vous aime, mais je vous quitte. Le SG démissionnaire veut prendre son destin en main, être le sujet et non l’objet, tout en préservant des rapports cordiaux avec son parti. Il pourrait chercher à prendre les dirigeants d’Ennahdha de court, en les obligeant de se ranger derrière lui, et d’appuyer sa candidature aux présidentielles. Et vu la dernière effusion des sentiments exprimée à son égard, le soutien du parti, qui lui est indispensable quand bien même il se présente en tant qu’indépendant, lui sera acquis, à moins d’une évolution autre des alliances et des rapports inter-partisans, jamais exclue en politique.  

Après qu’il ait échoué à rallier les siens à sa cause, sur son initiative du 06 février, Hamadi Jebali agit donc une seconde fois d’une manière unilatérale, dans l’espoir, cette fois-ci, de gagner la partie. C’est l’individuel qui confronte le collectif. Le premier ne peut se passer du second, sous peine de tout perdre. Quant au second, il a encore plusieurs tours dans son sac, et fera durer le suspens avant de dire son dernier mot.

Indépendamment de son issue future, l’affaire de Hamadi Jebali cache un malaise au sein d’un mouvement, réputé pour être soudé et discipliné ;  des forces que lui enviaient jusqu’alors ses adversaires politiques. Les désertions, si elles venaient à continuer, conduiraient à son affaiblissement. Même si ses dirigeants ne l’entendent pas de cette oreille, et mettent les différends sur le compte de la diversité et de la pratique démocratique ancrées à l'intérieur du mouvement.  

Il est communément admis que les dissensions ne sont pas coutumières aux partis idéologiques, à plus forte raison, ceux se proclamant de l’Islam politique, dont les adeptes poursuivent les mêmes objectifs et regardent dans la même direction. Or, le mouvement islamiste ne donne pas cette impression, sa diversité affichée risque de se transformer en cacophonie. D’aucuns imputent cela à la non-dissociation en son sein entre le prosélytique et le politique, ce qui n’est pas inexact.

Mais, la principale origine de la confusion, aux yeux de ceux qui observent l’évolution du mouvement de l’extérieur, est qu’il a jusque-là échoué, lui qui se réfère à l’Islam, à en traduire la substance et les valeurs fondamentales dans sa pratique politique. C’est toute la question de l’Islam politique, en déperdition dans plusieurs pays du printemps arabe à cause des erreurs qu’il a commises, mais en raison aussi d’un contexte national, régional et mondial hostile, qui est posée.

L’Islam prône réforme, progrès et justice…La pratique d’Ennahdha, ou de n’importe quel autre parti tunisien, est tellement banale, qu’elle ne se hisse pas à  la grandeur de l’Islam. Celle qui est  mal-comprise, mal-interprétée et faussement pratiquée, et c’est là, la raison majeure du drame en Tunisie, et dans le monde musulman.
H.J.