Tunisie/ Congrès antiviolence : Cohue et focalisation sur le terrorisme

Publié le Mardi 18 Juin 2013 à 17:13
Vue de l'atelier sur le terrorisme.La séance d'ouverture du Congrès national de lutte contre la violence et le terrorisme qui se tient à Tunis le 18 et 19 juin courant, a été marquée ce matin, par la colère de ceux qui estiment être les premières victimes de la violence, à savoir les inconsolables ex-compagnons de route de feu Chokri Belaïd. Ils ont exprimé leur "vive indignation quant à la participation des représentants d'Ennahdha à ce congrès", et se sont opposés à la participation au congrès de Adel Almi, président de l'Association Centriste pour la Sensibilisation et la Réforme.
 
Plusieurs voix se sont élevées dans la salle, en protestation contre sa présence, ce qui a provoqué un état de confusion et l'interruption de la séance d'ouverture, qui se tenait au Palais des Congrès de Tunis. Quelques dizaines de jeunes et moins jeunes activistes de la vie politique et société civile brandissaient devant la salle des pancartes et des photos de Chokri Belaid. Ils scandaient  des slogans en hommage au défunt, ou encore ils accusaient "les leaders d'Ennahdha d'être derrière l'assassinat du martyr, d'être derrière l'appel à la violence".  
 
Suite à cet incident, le parti islamiste a décidé son retrait des travaux du congrès. Six autres partis dont le CPR et le Parti pour la Réforme et le Développement également. 
 
Le président de la Ligue Tunisienne de la défense des Droits de l'Homme, Abdessattar Ben Moussa a déclaré que la Ligue dénonçait tous ceux qui appellent à la violence ou qui pratiquaient la violence, sans prendre de position claire concernant les incidents. 

Révision de la loi contre le terrorisme 
Lors de cette première journée du Congrès, plusieurs ateliers ont eu lieu, notamment celui qui a traité de la question du terrorisme. Noureddine Ennaifer, expert et directeur des études sécuritaires et militaires, a passé en revue toutes les lois et conventions internationales ratifiées par la Tunisie, censées lutter contre le terrorisme. "Je propose à ce que ce lot de conventions, avec la Turquie, l'Egypte, la Libye, l'Algérie, la Belgique, l'Allemagne, etc., soient appliqué et que le cadre juridique soit discuté... la loi numéro 75 de l'année 2003 de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent devrait être revue. Il est surtout necessaire de créer une culture antagoniste au terroriste. une culture basée sur la cohabitation et la sacralité de la vie", a-t-il dit. Selon l'expert, la nouvelle constitution doit être un outil de lutte contre le terrorisme en veillant à lutter contre les problèmes économiques et sociaux, terreau du terrorisme", a-t-il dit. 
 
Lors de cette séance, un intervenant s'est interrogé sur la signification du terrorisme et le profil du terroriste, "et puis un Etat lui-même peut-être à l'origine de l'appel à la violence. Comme nous le voyons en Egypte où Morsi a appelé ses concitoyens à aller tuer, dans un pays voisin indépendant...alors qu'appelons nous terrorisme?", a-t-il dit.
 
Par ailleurs, Mohamed Ben Hamed, avocat, a regretté que Rached Ghanouchi ait signé un pacte de Djihad en Syrie, lors de son déplacement en Egypte. 
 
Zouhair Makhlouf, représentant d'Amnesty International en Tunisie, a proposé pour sa part, que toutes les idées au sujet de cette loi soient transférées au ministère des Droits de l'Homme qui planche actuellement sur l'élaboration d'une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme.
 
"La loi numéro 75 de l'année 2003 est une loi répressive et injuste au plus haut degré. L'article 22 de cette loi fait de l'avocat un indicateur.  Il encourt une peine de 5 ans s'il occulte toute preuve ou information concernant l'affaire, même sous le couvert du secret professionnel. Tandis que l'article 79 fait du pouvoir juridique un pouvoir rattaché à la commission financière. C'est à dire que la justice se plie à ce que décide cette commission...Si vous revoyez tous les articles un par un, vous vous rendrez compte qu'ils sont tous répressifs, alors qu'ils continuent à être appliqués après la révolution", a-t-il dit, ajoutant que cette loi devrait être retournée à son pays d'origine " les Etats-Unis d'Amérique".

Ali Ben Souissi de l'Union générale des étudiants de Tunisie a proposé que les lois criminalisent également tous ceux qui appellent à la violence. "Le gouvernement doit également prendre sa responsabilité dans ce qui se passe à Chaambi et Kasserine, puisque des personnalités politiques ont dit que les extrémistes leur rappelaient leur jeunesse où qu'ils étaient les gardiens de la révolution", a dit l'intervenant, en allusion à Rached Ghannouchi. 
 
Il a aussi attiré l'attention sur ce qu'il a appelé le "terrorisme d'Etat" en évoquant les évènements de Siliana ou des mouvements sociaux ont été réprimés par des tirs de chevrotine. "C'est pour quoi nous devons préciser les frontières entre la violence, le terrorisme et les mouvements contestataires légitimes", a-t-il dit.

L'indépendance de la justice 
Le Président de l'Observatoire National pour l'Indépendance de la Magistrature, Ahmed Rahmouni, a pour sa part évoqué la question des affaires ressemblantes qui ne sont pas traitées de la même manière en justice. "C'est à dire que la poursuite en justice n'est pas systématique...on prétend que certaines affaires pourraient porter atteinte à la paix sociale, et donc on y renonce. Ceci est un problème persistant et les gens s'interrogent sur les raisons d'un tel comportement", a-t-il expliqué, en attirant l'attention sur la reddition des comptes  de la part des juges, pour que "les pratiques soient changées et qu'il y ait réinstauration de confiance dans le système judiciaire tunisien...que les gens n'aient plus rien à dire sur l'indépendance de la justice", a-t-il ajouté. 

" Le juge n'a pas les outils d'une justice indépendante ...il n'existe pas d'outils de contrôle de la constitutionnalité des lois ...quels sont les moyens mis à la disposition des juges pour s'opposer à la violence?", s'est interrogé Mohamed Jmour, secrétaire général adjoint du parti des démocrates patriotes, au cours de l'atelier sur le rôle de la justice. "Si un juge d'instruction dans une affaire de crime politique traite le dossier avec le point de vue d'un juge de droit commun, on se pose alors la question sur la formation des juges... ", a-t-il dit 

Un autre intervenant a au même sujet appelé à ce que les juges qui transgressent la loi soient dénoncées et que les archives soient rendues publiques. "enfin j'appelle à lutter et cravacher pour l'indépendance de la justice. Il n'y a pas moyen pour que le parquet reste encore sous les ordres du ministre", a -t-il dit. 

Chiraz Kefi