Tunisie/ Bourguiba : Une œuvre inachevée et des réminiscences !

Publié le Mercredi 06 Avril 2016 à 17:31
Bourguiba est décédé le 06 avril 2000.Il y a seize ans disparaissait Bourguiba, le 06 avril 2016 ; et il y a près de trois décennies, qu’il n’est plus aux commandes en Tunisie. Son éclipse forcée de la scène publique sous l’ancien régime, tout autant que son décès il y a 16 ans de cela, n’ont en rien effacé son souvenir de l’imaginaire collectif tunisien.

Celui qu’on nommait le combattant suprême, le père de l’indépendance et l’architecte de la Tunisie moderne, dont l’histoire s’est mêlée à l’histoire nationale, a laissé des marques indélébiles qui résistent au temps et à la force des mutations, notamment celles qui se sont enchaînées ces cinq dernières années.

Au-delà des nostalgies et de l’attachement affectueux que l’on a envers son personnage, ne serait-ce qu’à écouter ses discours à la fois simples et complexes, l’évocation de Bourguiba suscite quasi-machinalement la réflexion sur son œuvre réformatrice, fondée sur deux piliers cardinaux : la promotion de l’éducation de masse, et l’émancipation de la femme. Elle donne lieu en même temps à des reproches, voire à des critiques quant à son autoritarisme, son culte de personnalité, et son obstination invincible à imposer le monolithisme, comme l’unique régime politique qui convient, à ses yeux, à la Tunisie. Bourguiba n’était pas un démocrate, c’est le moins que l’on puisse dire, et ses choix ont fait perdre au pays beaucoup de temps, et ont fini par produire l’ancien régime avec tous les dégâts provoqués tout au long de 23 ans, auxquels se sont greffés les trébuchements postrévolutionnaires, qui nous ont fait plutôt reculer, avec une dilapidation, consciente ou inconsciente, des acquis. 

Si la conception de notre premier président était autre, et s’il avait toléré une certaine ouverture politique, le pays aurait peut-être suivi un autre cheminement, entamé sa démocratisation et construit sa citoyenneté plus tôt. Les si, si…ne changent et n’ont jamais changé, néanmoins, l’histoire, et la nôtre contemporaine tourne autour d’un pivot paré d’ombres et de lumières, qui s’appelle Bourguiba, que toutes les figures du mouvement national et de la décolonisation, nonobstant les réhabilitations certes tardive mais solennelle, ne semblent prêtes à confisquer la place.

L’essentiel aujourd’hui n’est pas de glorifier ou de vilipender Bourguiba, on a appris à connaître ses qualités et ses défauts, et s’il y a un travail en profondeur à faire, la balle serait dans le camp des historiens.

La question cardinale est de savoir pourquoi son œuvre réformatrice est restée jusque-là inachevée. Pourquoi a-t-elle perdu, au fil du temps, la force de l’origine, pour se cantonner dans les simples réminiscences. Depuis le temps que l’on dit que Bourguiba a institué l’école pour tous, libéré la femme du carcan machiste et modernisé la société, et puis après, qu’a-t-on fait de ce legs, à part en faire continuellement le récit.  

Il faut dire que l’air du renouveau apporté par celui qu’on nommait aussi le père de la nation s’est arrêté depuis qu’il était là, notamment à cause des échecs économiques et politiques enregistrés tout au long de son règne et des dérives observées à la fin. L’élan s’est aussi arrêté pendant les 23 ans de l’ancien régime, même si l’Etat a continué à fonctionner, et c’est ce à quoi la Tunisie doit, en majeure partie, son salut.

Après le 14 janvier, on s’est un peu égaré, le passage par plusieurs états émotionnels à la fois où les heurs et malheurs se sont succédé nous a déboussolés. La Tunisie est aujourd’hui une démocratie naissante, mais c’est parallèlement une économie qui ne cesse de dégringoler, une situation sociale qui peine à s’apaiser, un modèle sociétal menacé, une crise morale rampante, un lien social en délitement…nous sommes aujourd’hui une société perdue, assaillie par les problèmes, dont le présent est ambigu et l’avenir incertain. Que reste-t-il de l’œuvre réformatrice de Bourguiba, une simple rhétorique dont on se souvient les jours de fêtes nationales, ou pendant la date de sa naissance, ou de son décès, comme celle de ce mercredi 06 avril 2016. 

Les hommages aux leaders nationaux ne sont certes pas superflus, cela permet d’entretenir la mémoire, mais à côté de cela et plus que cela, nous avons aujourd’hui besoin de vision, d’action et de réforme pour que l’on puisse remuer un tant soit un statut quo de plus en plus intenable.

Tout au long des soixante ans d’indépendance, la Tunisie est restée un projet inachevé…à chaque étape de son histoire, notre pays assez singulier dans le monde,  ouvre des chantiers mais ne les mène pas à bout. Après la révolution, on a posé des idées, caressé des rêves et des ambitions, lancé des chantiers…mais tout ça attend la concrétisation. La relative réussite politique, à elle seule, sera non aboutie si elle demeure dépourvue des trois autres piliers à même de la soutenir et de la consolider : une économie solide, un climat social sain, une sécurité et une stabilité inscrites dans la durée. Mais là on manque de perspectives, Bourguiba n’est plus là pour nous prévenir.
H.J.