Tunisie/ BCE ou Chahed : Ghannouchi face à un dilemme pour étouffer la fronde interne !

Publié le Mercredi 03 Octobre 2018 à 16:32
Ennahdha était jusque-là épargné par le syndrome des divisions, c’est le parti le plus solide et le plus soudé du paysage politique. Là où les autres formations politiques connaissent des crises à répétition, des scissions, et des conflits à n’en plus finir, le mouvement garde son unité, et sa cohésion. Son bloc parlementaire est tout aussi stable, et maintient quasiment la même composition que celle sortie des urnes, aux législatives de 2014. Le fléau du tourisme partisan qui sévit au sein des autres groupes lui est complètement étranger, son groupe n’a pas connu de démissions, hormis celle de Nadhir Ben Ammou, l’ancien ministre de la Justice, un indépendant qui s’est présenté sur ses listes, aux dernières législatives. Depuis 2011, le parti a toujours su parler d’une même voix, affichant des positions unifiées et homogènes.

Son credo est de ne pas laver son linge sale sur la place publique. C’est ainsi que les différends qui l’ont, par moments, traversé, ont été vite circonscrits, aplanis qu’ils étaient au sein de ses instances internes, connues pour être régies par une démocratie interne.

Et voilà qu’intervient cette lettre, émanant de certains de ses dirigeants, qui désapprouvent la politique de leur direction, contestent qu’elle se soit écartée des fondements du consensus, et qu’elle se soit rangée derrière Youssef Chahed, au détriment du président de la république. Outre son caractère inhabituel, cet acte n’est pas, tout à fait, assumé. Manifestement circonspects, les auteurs du texte n’ont pas jugé bon de le signer, par peur d’être accusés d’être à l’origine de la première étincelle d’une fronde interne, dont le parti ne sortirait pas indemne. A fortiori, dans un climat politique aussi délétère.

Quoi qu’il en soit, la contestation de la ligne du leadership d’Ennahdha, à l’heure où l’imbroglio politique s’enlise, et où la crise au sein de l’exécutif semble plus que jamais éloignée de toute perspective de règlement, produira ses effets, non seulement sur le mouvement, sa politique et ses alliances ou ralliements, mais aussi sur les évolutions politiques dans le pays. Cela est d’autant plus probable, que la lettre adresse des accusations graves au Chef du gouvernement, lui imputant des pratiques que l’on croyait révolues, comme la constitution de dossiers, les menaces d’arrestation et l’utilisation de la loi sur l’état d’urgence, reprochant à la direction du mouvement de ne pas insister sur des garanties de non-oppression ضمانات عدم الجور. 

Cette remise en cause de la politique de Rached Ghannouchi succède aux critiques formulées par Saïd Ferjani, membre du bureau politique du mouvement, qui a accusé la semaine dernière, Youssef Chahed d’avoir l’intention de se retourner contre Ennahdha, une fois la loi de finances passée, et son entourage de proférer des menaces et des intimidations contre le mouvement.

Ces remous au sein d’un parti, certes structuré et organisé, et qui a un important poids dans la vie politique, interviennent à l’heure où le paysage parlementaire connait une profonde recomposition. En première position avec 68 députés, le mouvement est désormais talonné par le groupe de la coalition nationale que l’on dit derrière Youssef Chahed. Nidaa Tounes  qui a promis un retour en force à la rentrée parlementaire est relégué à la troisième position. Le parti fondé par Béji Caïd Essebsi n’arrive pas à arrêter l’hémorragie des départs qui éreinte son bloc à l’Assemblée, avec la démission ce mercredi 03 octobre de quatre de ses députés. Inaboutie, son alliance avec Machrou Tounes semble tomber à l’eau, avec les déclarations de Mohsen Marzouk, selon lesquelles, il refuse de s’inscrire dans une logique de clivage.

Les choses s’accélèrent et la crise politique semble amorcer un nouveau tournant. La position qu’affichera Ennahdha les prochains jours, fera pencher la balance d’un côte ou de l’autre. Ou bien, la direction du mouvement se résout, vaille que vaille, à maintenir la même ligne de soutien à Youssef Chahed, au nom de la préservation de la stabilité gouvernementale, ou bien, elle décide de revoir sa position et de se plier aux injonctions des contestataires, en tentant une réconciliation avec le président de la république, qui induira une rupture avec Youssef Chahed. Le chef du gouvernement, lui, ne pourra plus garder le silence encore longtemps…et devra s’expliquer sur tout ce Ramdam et sur les critiques et les accusations qui le visent, au premier chef.
Gnet