Tunisie : Une ou des réconciliation(s), le message s’embrouille !

Publié le Mardi 26 Avril 2016 à 16:56
La justice transitionnelle suit son petit bonhomme de chemin. L’instance Vérité et Dignité a réceptionné jusqu’au 21 avril dernier 30 mille dossiers, issus des victimes de violations. Des unités mobiles sillonnent différentes régions du pays, afin d’atteindre le maximum de victimes et collecter le plus de dossiers, avant la date butoir du 15 juin 2016.

Parallèlement, des milliers de séances d’audition ont été déjà organisées, dans le but d’établir les faits et de révéler la vérité, première étape de la justice transitionnelle, comme le stipule la loi organique la régissant. D’autres étapes doivent suivre soit le questionnement, la reddition des comptes, l'indemnisation des victimes, la réforme des institutions, et le travail de mémoire, pour que ces violations ne se reproduisent plus, pour enfin aboutir à la réconciliation ; dernier pilier de ce processus compliqué et de longue haleine.

Mais voilà qu’à l’heure où ce processus avance, les appels à la réconciliation s’enchaînent, issus notamment d’Ennahdha et Nidaa Tounes, partis majoritaires et chefs de file de la coalition au pouvoir. Lors d’un récent entretien avec le locataire de Carthage, le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, avait appelé à une réconciliation globale, histoire de débloquer la situation dans le pays, et d’effacer les rancœurs du passé.

Expliquant son point de vue le 16 avril dernier dans un entretien avec la radio nationale, le président du mouvement islamiste a indiqué que l’appel à la réconciliation économique lancé par le président de la république est "un règlement" visant à protéger la révolution, dans la mesure où la Tunisie n’a pas intérêt à ce que les hommes d’affaires et leurs richesses, restent à l’extérieur, et n’a pas intérêt non plus à ce que les sociétés confisquées fassent l’objet d’une mauvaise gestion.  

Ghannouchi a ajouté que la Tunisie devait se réconcilier avec son histoire, sans que cela ne signifie l’absence de reddition des comptes ou la couverture des crimes, histoire "de transmettre un pays uni à la nouvelle génération affranchi de l’esprit de vengeance". Cela ne touche en rien, à ses yeux, au rôle de l’IVD, étant une instance constitutionnelle, dotée d’une loi et de prérogatives.  

Lors de leur réunion bipartite le lundi 18 avril dernier, Ennahdha et Nidaa ont évoqué un projet de réconciliation globale, renfermant les aspects politique, économique et social. "On veut une réconciliation de Bizerte à Ben Guerdane, une Tunisie réconciliée", avait déclaré plus tard Abderraouf Khamassi, dirigeant de Nidaa Tounes, signalant que des problèmes persistent avec l’interdiction de voyage frappant certaines personnes, la confiscation, les entreprises qui s’effondrent …"ça ne peut continuer comme ça, on veut tourner cette page d’une manière légale, suivant une entente avec tous les partis parlementaires, a-t-il dit. Khamassi avait prédit un vote à une majorité confortable de la loi sur la réconciliation économique et financière, initiative du chef de l’Etat, qui "suit son cours à l’Assemblée".

Mise à part la loi sur la justice transitionnelle, on aura donc deux autres textes, celui afférent à l’initiative présidentielle, et l’autre régissant une réconciliation globale qui serait appuyé par Ennahdha et Nidaa. La question est la suivante : ces textes vont-ils pouvoir être appliqués en symbiose, pour éviter le double-emploi, le chevauchement et le conflit entre institutions qui risquent de ralentir le processus de réconciliation et d’embrouiller encore cette mission à l’origine compliquée.

La réconciliation est l’aboutissement naturel et ultime de la justice transitionnelle sans laquelle ce processus sera inachevé, et sujet aux déviations. Commencer par la réconciliation risque de brûler les étapes, de mettre à mal le processus et d’entamer davantage la confiance des Tunisiens dans leurs institutions. Au lieu de multiplier textes de loi et initiatives, il vaut mieux appuyer l’instance VD par les moyens humains et logistiques nécessaires, de manière à lui permettre de parachever ses travaux dans les meilleurs délais.
Gnet