Tunisie, une mini-constitution controversée, qu’adviendra-t-il de la vraie ?

Publié le Mardi 06 Décembre 2011 à 23:07
La mini-constitution a été longuement discutée au sein de la constituante.Pendant de longues heures, les élus de la constituante ont mené le débat général sur le projet de loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics, sur fond d’échanges vifs, et de passe d’armes, signes que le clivage est bien net entre la majorité, qui s’apprête à tenir les rênes du pays, et la  minorité qui revendique d’emblée sa posture d’opposition.

La discussion du projet de loi a commencé par une minorité offensive. La majorité l’a écoutée sagement jusqu'à 17h. Là, les élus d’Ennahdha ont quitté l’hémicycle en masse pour faire la prière d'al-Maghreb, sans que le débat ne s’interrompe. A leur retour, la polémique est devenue plus vive et la contre-attaque ne s’est pas fait attendre.

Un débat binaire s’est exprimé lors de la plénière de cet après-midi à l'assemblée constituante. Les députés de la minorité ont tiré  à boulets rouges sur cette mini-constitution qui risque, à leurs yeux, de faire revenir le pays à "un régime despotique, totalitaire, voire à une nouvelle dictature". Les députés PDP ont été les premiers à monter au créneau, reprochant au projet de loi "d’instituer une concentration de pouvoirs entre les mains du chef du gouvernement, de dessaisir le président de la République de ses prérogatives et de ne pas introduire une séparation nette entre les pouvoirs, en autorisant notamment le cumul entre la fonction du ministre et celle d’élu de la constituante". Ces critiques ont été exprimées notamment par Iyed Dahamani qui conteste la nomination par le Premier ministre des hauts responsables de l’Etat, suggérant que la nomination aux hautes fonctions de l’Etat passe par la constituante, "pour que personne n’ose désigner son gendre, son cousin ou son voisin".

Ahmed Nejib Chebbi a abondé dans le même sens, reprochant  à ce texte "de ne pas tenir compte de l’équilibre entre les différents pouvoirs, et de concentrer tous les pouvoirs entre les mains du Premier ministre". Il regrette que "le président de la République soit dessaisi de toutes ses prérogatives et que le peu de pouvoirs qui lui soient dévolus dépendent de  l’autorité du Premier ministre". "Le fait que le chef du gouvernement soit également dirigeant d’un parti risque de créer une confusion grave entre le parti et l’Etat, et attente à l’impartialité de l’administration, comme c’était le cas sous l’ancien régime", prévient-il. Nejib Chebbi appelle à la nomination aux hauts postes de l’Etat, à l'issue d'une audition à l’assemblée, comme il est d’usage sous d’autres cieux, citant notamment la réforme menée à ce sujet par Nicolas Sarkozy en France.

Samir Taïeb a fustigé "la tentative de confisquer tous les pouvoirs au profit du Premier ministre, y compris ceux du chef de l’Etat et de l’assemblée constituante". "Ce texte institue un régime non équilibré au profit du chef du gouvernement qui s’est auto-choisi, et aux dépens d’un Président de la République qui règne et ne gouverne pas", dit-il en substance.  L’élu d’Ettajdid a pointé "une hérésie tunisienne" selon laquelle on accorde notre confiance à la majorité absolue 50+1, et on la retire au 2/3, ceci est inacceptable",  assène-t-il.

Mais cette hérésie n’en est plus une. Puisque Ennahdha a accédé, par la voix de Noureddine Bhiri,  aux demandes de la "minorité", en faisant des concessions sur trois points, a fortiori l’institution de "la règle de la majorité absolue (50+1) pour accorder et retirer la confiance au gouvernement, au président de la République et au président de la constituante". Le chef du groupe d’Ennahdha au sein de la constituante propose également que le code du statut personnel fasse l’objet d’une loi organique, et que la création d’une instance électorale indépendante soit prévue par la loi, comme l’a demandé Kamel Jendoubi dans son adresse au Président de la constituante.

Noureddine Bhiri récuse toutes les critiques de ses détracteurs, estimant que "ce projet de loi répond à la situation exceptionnelle du pays, est à même d’aider la Tunisie à réaliser la vraie transition démocratique, et ne s’aligne sur aucun régime politique ni parlementaire, ni présidentiel". Le chef du groupe parlementaire d’Ennahdha se défend "de tout calcul partisan étriqué", et dit ressentir "le règlement de compte" dans les propos de ses contempteurs. "Le fait de proposer la nomination aux hauts postes par la constituante, est une tentative de détourner l’assemblée de ses objectifs, et de maintenir les symboles de l’ancien régime dans l’administration", indique-t-il, alors que "de telles nominations sont au cœur des prérogatives du Premier ministre".

Pour Samir Dilou, "parler d’opposition et de majorité n’a pas lieu d’être, du moment où le gouvernement n’a pas été encore formé". Tout en reconnaissant la liberté d’expression, de rassemblement et de sit-in, l’élu d’Ennahdha fustige toute instrumentalisation de ces libertés, à travers "la liberté de l’élite  et sa propension d’exacerber les passions". "Ceux qui ont participé aux élections et n’ont pas gagné n’ont pas le droit de faire un sit-in", souligne-t-il. Samir Dilou pointe "la supercherie" qui est celle de dire que ce projet de loi est celui d’Ennahdha, précisant qu’il est signé dans toutes ses pages par les trois partis de la coalition. Il  tacle, au passage, le gouvernement sortant : "le peuple tunisien n’est pas devant un gouvernement démissionnaire qui gère les affaires courantes, il est devant un gouvernement démissionnaire tout court", indique-t-il.

Son collègue, Walid Banani, écarte les accusations d’hégémonie lancées par la minorité à la majorité, et rappelle que "le peuple a voté et a donné à chaque parti sa taille dans la société". Il s’étonne que la nomination du gouverneur de la BCT soit devenue une affaire. "Pourquoi personne n’a parlé d’indépendance sous Ben Ali", s’interroge-t-il. "Va-t-on passer de la dictature du parti unique, à la dictature de la minorité", se demande l’élu d’Ennahdha avant de prononcer les mots qu’il ne fallait pas : "la minorité ne s’est pas remise de sa défaite". Il n’en a pas fallu plus pour susciter le courroux des élus PDP, notamment de Maya Jribi et d’Iyed Dahmani : "nous sommes fiers d’appartenir à l’opposition", rétorquent-ils en substance.

Maya Jribi l’a dit au début du débat : "le peuple nous a choisis, majorité et minorité, afin que l’on consente ensemble des efforts pour le servir et réaliser les objectifs de la révolution". "L’importance de cette mini-constitution est qu’elle institue la construction démocratique et rompt avec l’appareil despotique", relève-t-elle, en réprouvant les articles du projet de loi "qui ne garantissent pas la séparation entre les pouvoirs, et risquent d'introduire la confusion entre administration et parti au pouvoir".

Fadhel moussa, élu PDM, suggère que la mini-constitution comporte des allusions aux libertés et aux droits et s’engage à les garantir.  C’était l’un des points auquel a réagi Abou Yaareb marzouki, député d’Ennahdha, qui appelle à faire la distinction entre les objectifs idéaux de la constitution et ce projet de loi. Le philosophe a mis en garde contre "la compétition entre la légitimité de la constituante et la légitimité de la rue", en allusion aux mouvements de protestation qui se poursuivent, et qui mettent la pression sur la majorité, au point que celle-ci se plaint qu’on cherche à lui tailler des croupières. Un sujet, et non des moindres, qui fait débat et divise l’hémicycle. La séance a été levée après de longues heures de débat sans interruption, et reprendra demain à dix heures, sous la présidence de Mustapha Ben Jaafar qui doit continuer à marcher sur des œufs, pour concilier, un tant soit peu, des avis inconciliables.
H.J.


 

Commentaires 

 
#9 CONSTITUTION CADUQUE
Ecrit par Khammous     08-12-2011 22:22
Ceux qui se croient majoritaires dans l'assemblée sachent qu'une constitution qui ne consacre pas les libertés individuelles et collectives la démocratie et la séparation des pouvoirs d même que l'indépendance de la justice l'autonomie de l'administration et des forces armées par rapport à la politique ne sera pas reconnue comme base régissant un ETAT Tunisien Démocratique Cette constitution sera caduque et pourrait être déjà contestée. Donc il appartient à tous les députés de se dire qu'ils sont les députés de la nation et non les pions exécutant d'un parti politique . Il est préférable de satisfaire sa conscience plutôt que de chercher les faveurs de son parti qui risque de perdre les prochaines élections
 
 
#8 DRAPEAU ROUGE JE VEUX BIEN MAIS
Ecrit par Khammous     08-12-2011 22:11
J'avais rencontré des salafistes brandissant des drapeaux noirs à la sortie de la mosquée Je leur avait demandé s'ils ne croient pas quand même que le drapeau national est rouge Ils m'ont dit que LE drapeau rouge c'est le drapeau du colonialisme AUTHENTIQUE ET SANS COMMRNTAIRE
 
 
+1 #7 RE: Tunisie, une mini-constitution controversée, qu’adviendra-t-il de la vraie ?
Ecrit par Deprime     07-12-2011 19:41
Triste pour mon pays,révolte contre les cor et ettakatol
Vivement le nouveau grand parti chebbi,brahim afek....
Seul moyen de contrer ennahdha
Et ettakatol et CPE seront morts n'es!!!!!!
 
 
+1 #6 MAJEUR PAS MAJORITAIRE
Ecrit par Pseudo     07-12-2011 16:04
Marre d'entendre que Ennahdha est majoritaire. C'est le parti majeur avec 40% des élus, mais pas majoritaire car la majorité est atteinte avec 51%.
En début d'article vous dites "la majorité, qui s’apprête à tenir les rênes du pays, et la minorité qui revendique d’emblée sa posture d’opposition" La "minorité" comme vous dites fait 60% des élus !!!!!!!!!!!!!!!!!
 
 
+5 #5 Svp sans surenchère....
Ecrit par Ninou     07-12-2011 10:06
il est bon de constater qu'on est en train de vivre une nouvelle page de notre histoire, pour tous ceux qui sont dérangés ou agacés de vivre ses moments eh ben qu'ls changent de chaine. On est en train d'apprendre la cohabitation, l'avis et le contre-avis mais ceci sans tomber dans les dérapages verbaux. Hier,il y avait du bon, du moins bon,du mauvais et du médiocre donc on a eu de tout.Prudence et confiance en soi, on est capable de réussir si chacun de nous tous arrive à surpasser son égoïsme d'appartenance et d'obédience, on est tous sous le drapeau rouge sans surenchère d'appartenance, là on peut avancer.
 
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