Tunisie : Une étude dresse un état des lieux du secteur de l’Habitat

Publié le Vendredi 19 Septembre 2014 à 16:37
L'accessibilité au logement est difficile en Tunisie. "Les ménages les plus jeunes, moins de 45 ans, présentent plus de problèmes d’accès à la propriété et peuvent constituer des cibles privilégiées pour des politiques d’élargissement de l’accessibilité au logement," selon une étude  récente,  (septembre 2014). Intitulée "Pour une nouvelle stratégie de l’habitat, diagnostics et recommandations", cette étude exhaustive instruite par des experts et universitaires pour le compte du ministère de l’Equipement, de l’Aménagement du territoire et du Développement durable, dresse  un état des lieux du secteur, et présente une série de recommandations sur les réformes à entreprendre pour corriger les nombreux dysfonctionnements. Gnet vous présente en exclusivité la teneur, à partir d'un rapport de 84 pages.

La connaissance du secteur de l’habitat se heurte à de nombreux obstacles. La comptabilité nationale et les statistiques sociales le regroupent au sein d’un secteur assez hétérogène sous des appellations diverses (constructions, bâtiments et travaux publics ou bâtiments et génie civil). Les données disponibles montrent que le secteur du bâtiment et génie civil dégage une valeur ajoutée de près de 3 milliards TND représentant environ 4% du PIB (2013). En absence de données précises, les estimations aboutissent à un poids du secteur de l’habitat équivalent à 2,3% du PIB. Les données de 2012 montrent, d’une part, que 11% de la consommation intermédiaire totale est destinée au secteur du bâtiment et génie civil (BGC).

Financement de l'acquisition du logement
Le crédit logement octroyé par la Banque de l’Habitat est assorti d’une subvention de l’État permettant de maintenir le taux d’intérêt à un niveau inférieur aux conditions du marché.  Le  montant  des  engagements  de  financement  reçus  constaté  par  la  Banque  de l’Habitat au terme de l’exercice 2012 s’élève à 306 M TND. Le taux appliqué par la BH à l’Épargne logement est fixé à 5% actuellement, soit presque l’équivalent du TMM (4,92% au mois d’août 2014).

L’écart entre ce taux et celui appliqué en moyenne par les banques pour le crédit logement sur ressources ordinaires (7,63%) est de 2,63 points de pourcentage. Ce différentiel est retenu pour estimer la subvention contenue dans cette bonification du taux d’intérêt. Pour un encours des crédits Épargne logement de 305 M TND (fin 2012), cette subvention est estimée à 5,7 M TND. Par ailleurs, la gestion de ce produit « subventionné » a permis à la BH de développer d’autres produits non subventionnés et dont les résultats peut compenser largement les risques encourus par le produit subventionné. Ainsi, le Crédit direct de  la  BH  assorti  d’un  taux  d’intérêt  assez  confortable  (TMM+3,5  points,  soit  8,44%, dépassant ainsi de 0,81 point le taux moyen appliqué par les banques de la place pour les crédits logement octroyé sur ressources ordinaires) a connu un développement significatif avec une croissance de 3,1% par an permettant d’atteindre un encours de 946,0 M TND au détriment du Crédit logement bonifié dont l’encours est passé de 386,3 M TND à 305,3 M TND entre 2006 et 2012, soit une baisse annuelle de 3,8%. Cela montre une baisse en termes absolus et du poids relatif de la subvention véhiculée à travers la bonification des taux d’intérêt des crédits destinés au financement du logement.

Le secteur de l’habitat est ciblé par plusieurs autres programmes publics initiés par des agences et autres opérateurs publics intervenant dans le domaine d’élargissement de l’accès au foncier pour les ménages et d’amélioration des conditions de vie et d’habitation.

L’étude analyse l’intervention de quatre institutions publiques l’Agence Foncière de l’Habitat (AFH), l’Agence de Réhabilitation et de Rénovation Urbaine (ARRU), la Société Nationale Immobilière  de  Tunisie  (SNIT)  et  la  Société  de  Promotion  des  Logements  Sociaux (SPROLS). La consolidation des comptes des 4 opérateurs publics dégage un excédent brut d’exploitation atteignant une moyenne annuelle de 11,2 M TND. Ce résultat positif est redevable à l’excédent dégagé par l’AFH, qui ne peut être assimilé à un bénéfice commercial en raison des conditions particulières d’accès de l’AFH à l’acquisition des terrains et que son produit comporte en fait une subvention implicite. Ainsi, il est inscrit au bilan budgétaire du secteur de l’habitat au titre de ces quatre opérateurs uniquement le déficit d’exploitation dégagé par les trois opérateurs (SNIT, SPROLS et ARRU), soit une moyenne de 8 M TND durant la période 2009-2013.

3 millions logements pour 2,6 millions de ménages
Le nombre de logements est estimé à près de 3 millions pour un nombre de ménages de 2,6 millions et un nombre d’habitants de près de 11 millions dont 7,3 millions vivent en milieu urbain (66,2%). Le parc logements croît à un rythme comparable à celui du nombre des ménages (2,4%) avec un flux additionnel de l’ordre de 77 000 logements par an. En 2009, près de 15% des logements étaient vacants. Cela représente un parc de 426 000 logements auxquels s’ajoutent 55 600 logements en phase finale de construction. Ces logements vacants qui correspondent à l’équivalent d’une production cumulée d’environ 6 ans de logements, comportent 100 000 logements qui ne sont destinés ni à la location, ni à la vente et n’ont pas vocation à être résidence secondaire et demeurent inoccupés.

Les données montrent une amélioration générale des conditions d’habitat des ménages tunisiens. Le ménage tunisien compte, en 2010 un membre de moins par rapport à la situation prévalant en 1994, sa taille étant réduite à 4,2 en 2010 contre 5,2 en 1994. Le nombre de ménages par logement a été réduit de 1,07 à 1,03 et le nombre moyen de personnes par logement occupé a été réduit à 4,33 contre plus de 5,5 en 1994. Le logement rudimentaire qui représentait 24% des logements en 1975 et 5% en 1989 ne représente plus que 0,4% du parc recensé en 2010. Toutefois, les conditions de vie et de confort des ménages diffèrent selon les régions et les catégories sociales. Les logements occupés par les ménages les plus riches sont les mieux équipés et le taux de desserte par les services de base varie de 27% pour le décile le plus pauvre du Centre-Ouest à 95% pour le décile le plus riche du Grand Tunis. Les ménages les plus pauvres vivent dans les conditions les plus difficiles : le ratio d’exiguïté ou de contiguïté dépasse 2,5 membres par pièce de logement chez les ménages les plus pauvres contre 0,6 pour les ménages les plus riches (la moyenne nationale étant de 1,4).

Plus de 80% des ménages tunisiens sont propriétaires de leurs logements. Cette proportion était de 78,3% en 1994 et de 77,4% en 2004. L’accès à la propriété est différent selon les milieux : en milieu rural 93% des ménages sont propriétaires alors que moins de75% le sont en milieu urbain où plus du cinquième des ménages sont locataires du logement qu’ils occupent. La proportion des ménages logés gratuitement (essentiellement chez les parents) ne varie pas significativement entre les milieux, elle atteint 4,7% pour l’ensemble des ménages. L’accès à la propriété du logement s’améliore avec l’âge du chef du ménage. Les ménages les plus jeunes (chef de ménage âgé de moins de 45 ans) pour les différentes catégories de revenu et en particulier ceux vivant dans les régions à prédominance urbaine (Grand Tunis et Centre Est) présentent plus de problèmes d’accès à la propriété et peuvent constituer des cibles privilégiées pour des politiques d’élargissement de l’accessibilité au logement.

5 fois du revenu annuel du ménage va à l’acquisition du logement

La constitution d’une typologie des prix des logements s’avère un exercice extrêmement difficile dans un contexte de manque d’informations organisées sur le marché immobilier. Les structures professionnelles ne disposent pas d’un observatoire des prix et aucun baromètre officiel n’existe. L’exercice devient plus compliqué lorsqu’il s’agit d’élaborer une typologie régionalisée faisant ressortir les différences des niveaux des prix selon les régions sachant que les catégories dominantes des logements, et par conséquent, la demande de logement porte sur des produits différents assortis de prix unitaires différents. L’Observatoire de l’Immobilier et du Foncier initié par le Ministère de l’Équipement pourra contribuer à l’élaboration, la tenue, la mise à jour et la diffusion d’une base de données sur le baromètre de l’immobilier et du foncier.

Le rapport Revenu-Prix concernant l’abordabilité du logement pour les ménages est élaboré sur la base de la confrontation des résultats obtenus concernant le profil économique des ménages avec ceux de la typologie des prix du logement. Le seuil de référence du prix par rapport au revenu communément utilisé est un rapport de 1 à 5, c’est-à- dire que le ménage investirait dans l’acquisition de son logement l’équivalent de 5 fois l’équivalent de son revenu annuel. Cela permettra aussi, moyennant un endettement à long terme, de maintenir son service de la dette à moins de 40% de son revenu. Le montage de financement du FOPROLOS et aussi des différents plans d’épargne logement retiennent ce principe général. Les résultats obtenus montrent que le ratio global Prix-Revenu est de 11,7 pour l’ensemble du pays. Il varie de 9,8 au Sud-Ouest à 14,6 au Nord-Est. Quant au taux d’abordabilité, défini ici par le rapport de cas de logements-déciles abordables par rapport aux 90 cas contenus dans la matrice Type de logement – Déciles de revenu des ménages, il est de 24,4%. Cela signifie que pour une offre potentielle de logement, en moyenne, le ménage tunisien a une chance sur quatre pour y accéder. Le ménage résidant dans la région du Grand Tunis connait le plus de difficulté en termes d’accessibilité au logement, le taux d’abordabilité est de 16,7% et 20% des ménages du Grand Tunis ne peuvent pas accéder au logement social le plus abordable.

Les résultats obtenus montrent que l’accès au logement est problématique pour le ménage  tunisien  et  son  niveau  d’abordabilité  demeure  très  faible.  La  situation  est critique pour les catégories les plus pauvres. Ces résultants interpellent et incitent à initier des mécanismes améliorant l’accès des ménages les plus pauvres au logement. Il s’agit de plus de 220 000 ménages qui se trouvent incapables d’accéder au logement dans les conditions normales de financement. Les analyses développés ont montré, d’une part, que cette catégorie n’a pas accès au crédit bancaire, et d’autre part, qu’elle n’est pas concernée par les programmes publics qui, à l’instar, du FOPROLOS sont destinés à la classe moyenne. Les premiers résultats montrent qu’un contenu subvention variant de 30% à 40% devra accompagner le schéma de financement destiné aux ménages les plus pauvres pour leur garantir de meilleures conditions d’accès au logement.

Rôle des quatre opérateurs publics
La SNIT a réalisé avec ses filiales, depuis sa création jusqu’à fin 2012, environ 263 mille (262788) logements. Quant à la SPROLS, elle a réalisé, entre août 1977 et mars 1989, environ dix mille (9 985) logements sociaux locatifs, financés par les caisses de sécurité sociale et géré, les programmes de logement qui lui sont confiés par la CNSS. Depuis mars 1989 à nos jours, la SPROLS a cessé de construire les logements sociaux locatifs. Entre  2008  et  2013,  la  société  a  produit  en  moyenne  annuelle  154  logements  et  aucun logement social.

L’AFH dispose d’une base de données 321 mille demandes de lots de terrain enregistrées et stockées dans son système informatique. Deux grandes agglomérations urbaines enregistrent les plus fortes demandes de terrain à savoir le Grand Tunis avec 183 mille et le Centre Est avec 46 mille demandes soit respectivement 57 et 14% de l’ensemble. Face à cette demande, l’AFH n’a offert qu’à peine 77 mille terrains (76 794), soit environ une demande sur quatre est satisfaite (24%). Dans le Grand Tunis, le taux de satisfaction est de 19% seulement, soit environ une demande sur cinq est satisfaite. Sur la période 2008-2013, la moyenne annuelle de lots vendus est 892.

Le coût du mètre carré aménagé par l’Agence tourne autour de 35 à 45% des prix pratiqués par les promoteurs privés, avec souvent une qualité meilleure que celle des privés. Toutefois, les délais sont très longs dans la mesure où le cycle de projet dépasse largement les sept ans.

Tout au long de son parcours historique dans la réalisation des projets urbains, l’ARRU a développé des modes d’interventions adaptées aux différents types de programmes prenant la forme  de  maîtrise  d’ouvrage  déléguée  (MOD),  d’assistance  technique  et  d’intervention directe. Avec une moyenne annuelle de 200 salariés et une masse salariale de 4,4 MD par an sur la période 2008-2013, les programmes et projets de l’ARRU se sont soldés par  un montant des investissements des programmes réalisés, en cours de réalisation ou programmés de 1065 millions de dinars (MD) ;  un nombre des quartiers réhabilités, en cours de réhabilitation ou programmés est 1227 quartiers ;  un nombre de bénéficiaires de ces programmes et projets est d’environ 3,8 millions d’habitants et un nombre de logements d’environ 700 mille logements.

L’Etat doit jouer son rôle de régulateur

On part de l’hypothèse que la demande pour les logements sociaux et économiques est très forte et que ce type de logements devient de moins en mois rentable pour trois raisons : la rareté du foncier, la forte hausse des prix des matériaux de construction et la pénurie de main d’œuvre dans le secteur. Sur cette base, l’Etat doit jouer son rôle de régulateur pour ajuster l’offre à la demande de logement social et pour ajuster l’offre à la demande de logement social et de logements à prix modéré. Dans ce sens, il a besoin d’outils performants pour concrétiser sa politique dans ce sens. A ce niveau et pour tous les opérateurs, quatre orientations, qui dans un certain sens se recoupent, peuvent être avancées :

1-  Redéfinir les missions et revoir la stratégie des quatre opérateurs SNIT, SPROLS, AFH, et ARRU;

2-   Redéfinir le rôle de l’Etat : d’une fonction de tutelle à une fonction d’Etat actionnaire ;

3-   Aller vers la logique de responsabilisation du Conseil d’Administration ;

4-   Alléger fortement le cadre réglementaire ;

Les  quatre  opérateurs  ne  peuvent,  sous  n’importe  quel argument économique et social, supporter la charge salariale actuelle couplée d’une très faible productivité. A titre d’exemple, le nombre de salariés en 2013 à la SNIT est de 301, alors que les opérateurs privés tels que SIMPAR ou ESSOUKNA, plus performants financièrement, n’emploient qu’une vingtaine de personnes par entreprise. Cette charge constitue la principale contrainte à la restructuration des opérateurs publics.
L’étude appelle à ouvrir de  nouveaux  horizons  dans  le  domaine  de  l’habitat dans  au  moins  trois directions : la multiplication des opérations dans les régions intérieures, ’aménagement et la viabilisation de terrains à grande échelle et la création de villes nouvelles.

Promotion immobilière privée

La  performance  des  PIP  est  encore  modeste  avec  10 000  logements/an  (soit  22%  de  la production formelle de logements contre 75% pour l’autopromotion) ; le secteur demeure dominé par les promoteurs occasionnels, peu productifs (en moyenne 4 logements/promoteur) avec peu de professionnels et encore moins des promoteurs qui font du social. L’assiette financière de l’ensemble des promoteurs, comparé aux promoteurs marocains par exemple, est relativement faible et ne leur permet pas d’entreprendre des projets d’envergure susceptibles d’augmenter leur production, ni d’intervenir dans tout le pays : la majorité des promoteurs se concentrent des les grandes villes littorales et produisent plutôt du haut standing (65%), puis l’économique (33%) et  presque pas de social (2%).

Le diagnostic établi sur le mode de production du logement en auto construction formelle à mis en évidence un secteur très dynamique qui contribue à plus de la moitié des logements produits en Tunisie. Comparée aux autres pays du Maghreb, la Tunisie est le pays où ce mode est le plus répandu. C'est lui qui confère aux paysages urbains les aspects de platitude de verdure et de chantier permanent dans les secteurs périurbains.

La pénurie de terrains constructibles – problématique majeure du secteur - en raison de la carence l’offre publique (AFH), l’absence de promoteurs fonciers actifs et la lenteur de révision des plans d’urbanisme  ; la hausse vertigineuse des prix des matériaux de construction qui, conjuguée avec les difficultés précédentes (foncier et frais financiers), sont à l’origine du renchérissement spectaculaire du marché de l’immobilier et rien ne présage l’arrêt de cette envolée des prix, les contraintes techniques et de marketing : le faible accès aux innovations technologiques entravent la réalisation de grands projets, les difficultés avec les concessionnaires publics et l’administration locale se sont accentuées surtout après 2011 et se sont traduites par des retards insensés et des surcoûts de production.

L’étude propose un certain nombre de solutions :
     * Augmentation de l’offre de terrain à bâtir par la création de villes nouvelles autour des grands centres urbains à l’instar de l’expérience marocaine depuis 2004
    *Réforme des missions de l’AFH  tout en  renforçant son rôle de grands producteurs de terrains aménagés « AFH- grossiste » et permettant aux PIP  de prendre la relève pour faire l’aménagement de détail
        *Amélioration de l’efficience et l’opérationnalité des outils  de maitrise foncière tout en maitrisant les délais de révisi
       *Développement de l’offre de logements abordables en imposant aux PIP la réservation d’un quota minimum de logements abordables pour les ménages moyens et faibles revenus (expérience malaisienne))
        *Restructuration et rationalisation du développement de la profession par : l’encouragement des PIP professionnels, la révision  des modalités d’autorisation de l’exercice ;
    * L’encouragement du partenariat Public – Privé en assouplissant les conditions prévues au niveau de la règlementation
    *Développement de la création de sociétés de PIP à participation étrangère en clarifiant et facilitant les conditions d’agrément et d’octroi des avantages.

L’étude préconise la mise en place d’un marché hypothécaire : Les insuffisances doivent aujourd’hui être comblées par le marché financier national, si on veut garantir la continuité du financement de l’habitat en général avec toutes ses composantes. Pour réaliser cet objectif, il faudra développer sur le marché financier, parallèlement aux transactions sur les valeurs mobilières, un marché sur les valeurs immobilières, en plus des actions proposées par ailleurs pour améliorer le système de financement. Elle propose notamment les possibilités de crédits notamment en direction des plus faibles, grâce aux nouvelles ressources dégagées par le marché hypothécaire et à la bonification des taux d'intérêt pour les populations démunies.
Synthèse de Gnet