Une constitution consensuelle, malgré les divergences persistantes

Publié le Mercredi 22 Janvier 2014 à 18:29
La Tunisie est sur le point de se doter d'une nouvelle constitution.L’adoption de la constitution article par article se heurte à un blocage jusque-là insurmontable autour de l’article six. La commission du consensus n’est pas encore parvenue ce mercredi soir à un compromis, et la plénière n’a pas pu se tenir (Il est 18h 37 mn et elle n'a pas encore commencé). Le point de discorde a trait à l’interdiction de l’accusation d’apostasie, notamment après l’objection opposée par les imams et hommes de religion. L’éventualité que cette expression soit reformulée autrement, ou carrément supprimée, est évoquée, chose à laquelle plusieurs députés du bloc démocratique et du front populaire opposent une fin de non-recevoir.

Aussitôt, on aura trouvé une solution à ce faux problème, (dont on se  serait passé volontiers), ainsi qu’aux autres points de désaccord, la  Tunisie serait sur le point de se doter d’une nouvelle constitution, qui comblerait le vide laissé par la constitution du 1er juin 1959, suspendue après la révolution et remplacée, à titre temporaire, par la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics.

Hormis le blocage qui s’est poursuivie tout au long de la journée d’aujourd’hui, les dernières plénières consacrées à l’adoption des articles litigieux ont été marquées par des tensions, des cris, des coups de colère et de vives altercations. Une quasi-certitude s’est pourtant dégagée, exprimée par des députés issus des différents groupes parlementaires, quant au passage du texte en première lecture, soit son adoption cette semaine, selon toute vraisemblance le vendredi, avec une majorité des deux tiers.

La gestation de la nouvelle loi fondamentale aura duré deux ans. Deux années de joutes oratoires, d’affrontements idéologiques, de frictions…au point que l’hémicycle ait été transformé par moments en foire d’empoigne. Le débat sur la constitution a franchi les murs du palais du Bardo, pour être à l’ordre du jour des dialogues nationaux,  celui de Dar Dhiafa de Carthage, et celui mené sous l’égide du quartette, là où des consensus, difficiles à atteindre en commissions parlementaires, ont été trouvés. Transférés a postériori à l’Assemblée, ces articles clefs-en-main, ont été perçus d’un mauvais œil par certains élus du peuple, attachés à leur légitimité exclusive en la matière, et réfractaires à l’approche consensuelle choisie pour conduire cette période. Ils n’ont pas d’ailleurs caché leur ire, à travers des déclarations médiatiques au vitriol sur ce qu’ils ont qualifié de "parachutage", ou de "dispositions imposées de l’extérieur".  

La constitution a également longuement animé le débat public. La société civile, et les Tunisiens dans leurs différentes catégories, avaient voix au chapitre au sujet de ce texte qu’ils ont voulu à la hauteur de leurs aspirations postrévolutionnaires, notamment en matière de respect des droits et des libertés. Leurs suggestions et opinions ont été peu ou proue pris en compte.

De l’aveu de tous, nonobstant les divergences persistantes, la nouvelle constitution est consensuelle, chaque Tunisien quelles qu’en soient les idées, l’appartenance idéologique, peut s’y retrouver. Elle est progressiste dans la mesure où elle fait mention de plusieurs droits et libertés, notamment la liberté de conscience, l’égalité homme/ femme, la parité entre les deux sexes dans les conseils élus, etc. La constitution fait la synthèse entre l’identité arabo-musulmane et l’ouverture de la Tunisie sur la modernité et les autres cultures et civilisations.

Bien qu’il soit pionnier en apparence, le texte de la loi fondamentale demeure néanmoins critiqué. Certains pointent des incohérences entre ses articles, d’autres critiquent son style d’écriture, d’aucuns n’en démordent pas quant à ses contenus idéologiques qui en font un instrument pour le pouvoir. Nombreuses ont été les voix qui se sont élevées pour exprimer la crainte que cette constitution ne consacre l’enfermement de la Tunisie sur elle-même. On l’a vu avec l'article 38 qui prévoit la consolidation de la généralisation de la langue arabe outre l'enracinement de la jeunesse dans son identité arabo-islamique, une inquiétude qui ne s’est apaisée qu’avec l’ajout : « et  l'ouverture sur les langues étrangères, les civilisations et la culture des droits humains"

Quoiqu’il en soit, les Tunisiens ont bon espoir de voir ce long feuilleton connaître son épilogue, par l’adoption et la promulgation de la nouvelle constitution. Ils souhaitent, tout autant, que la nouvelle constitution soit traduite dans les faits de manière à rompre définitivement avec l’ère despotique, à jeter les bases d’une deuxième république, celle des institutions durables, obéissant à un fonctionnement transparent et démocratique, de l’alternance démocratique au pouvoir, de la séparation entre les pouvoirs, du respect effectif des libertés et des droits de l’homme, de la promotion des droits économiques et sociaux, du respect de la dignité humaine, de la fin de la torture, de l’indépendance effective de la justice, et de la fin de la parodie de justice ayant fait recette sous l’ancien régime. Ils espèrent tous que le texte, jugé bon malgré ses insuffisances, parvienne à faire évoluer le contexte, encore marqué par les vieux réflexes et les subsistances du passé.  
H.J.