Tunisie : Un Youssef Chahed nidaiste et offensif qui s’assume jusqu’au bout !

Publié le Lundi 26 Février 2018 à 12:36
Youssef Chahed. C’est un chef du gouvernement politique jusqu’au bout des ongles, revendiquant son appartenance à Nidaa Tounes, et défendant le parti, "créé par Béji Caïd Essebsi", qui "a réussi à réinstaurer l’équilibre politique dans le pays", et "l’a fait gravir les échelons", qui s’est adressé hier aux Tunisiens, le temps d’une interview accordée à al-Wataniya. Visé par des tirs amis et ennemis, Youssef Chahed n’y est pas allé de main morte. Il s’en est pris à ses adversaires, expliquant les attaques contre son gouvernement par deux principales raisons : Sa guerre contre la corruption ayant touché des "barons de la contrebande influents" et ayant  les bras longs au sein même de l’Etat, et "la peur des élections municipales"…le temps pour chacun de monter sur la balance... "J’appelle toutes les voix critiques à monter sur la balance pendant les élections, afin que l’on sache le poids de chacun…"

Pas de remaniement ministériel
Dimanche soir, on a assisté à un Youssef Chahed offensif, s’efforçant de montrer une parfaite maîtrise des dossiers, défendant mordicus son parti, Nidaa Tounes, et l’action de son gouvernement... Un Youssef Chahed qui a opposé une fin de non-recevoir à l’influente organisation syndicale dont le Secrétaire Général avait appelé dernièrement à un changement au sein du gouvernement : "le remaniement relève des prérogatives du chef du gouvernement, et aujourd’hui, il n’y aura pas de remaniement", a-t-il asséné, évoquant tout le préjudice que "l’instabilité politique a causé au pays, avec 7 à 8 gouvernements en sept ans". "Quel est le programme de ceux qui appellent à un remaniement, où c’est juste un changement pour le changement", s’est-il interrogé, incrédule.

"La conduite des politiques économiques requiert de travailler sur un horizon de moyen terme, c’est pour cela que les mandats sont faits pour 5 ans", a-t-il dit, signalant que son gouvernement a donné des "objectifs chiffres clairs à l’horizon de 2020".

"Dès notre arrivée, on a dit que la situation était difficile, et on a expliqué que notre but était de faire acheminer les indicateurs vers le vert fin 2019. Désormais, il a y des indicateurs qui commencent à virer vers le vert à l’instar des exportations en hausse de 50 % depuis début janvier. Idem pour le tourisme. Des difficultés persistent, néanmoins, à l’instar de l’endettement."

Au sujet les critiques qui lui sont adressées sur sa guerre contre la corruption qui serait molle et sélective, il a rétorqué : "Si la guerre contre la corruption s’est arrêtée et était sélective, le gouvernement se serait débarrassé de la moitié de ses problèmes. Les attaques contre le gouvernement proviennent, en majeure partie, des gens qui ont été affectés par la lutte contre la corruption, et des barrons de la contrebande qui sont influents au sein même des arcanes de l’Etat. Ils pensent qu’en faisant tomber ce gouvernement, la guerre anticorruption va se terminer", s'est-il élevé, reprenant à son compte un propos que lui a confié un citoyen à Tozeur : la corruption : plus tu la combats, plus elle devient féroce. Il a affirmé sa détermination à ne pas reculer et à mener la guerre contre corruption jusqu’au bout, tout en s’acheminant vers la lutte contre "la petite corruption" qui touche le citoyen au niveau de la commune, des recettes des finances "d’où le grand programme de la numérisation de l’administration pour réduire les documents et les contacts pouvant donner lieu à la corruption". 

La lutte contre la corruption est un fonds de commerce utilisé par tout le monde, mais il y a un seul gouvernement qui l’a combattu, c’est le sien, a-t-il martelé, ajoutant que "le peuple tunisien sait pertinemment qui est le corrompu et qui ne l’est pas, qui est en train de la combattre avec sérieux, et qui l’utilise juste pour la rhétorique". 

BFT : La plus grosse affaire de corruption dans l’histoire de la Tunisie
Youssef Chahed s’est longuement étalé sur l’affaire de la banque franco-tunisienne (BFT). "C’est la plus grosse affaire de corruption dans l’histoire de la Tunisie qui remonte à 1989. C’est la première banque qui a fait banqueroute dans le pays", a-t-il dit, laissant présager "des attaques" contre son gouvernement dans les prochains jours ou mois, liées à cette affaire. 

"La banque n’a pas fait faillite en relation avec l’arbitrage international qui est en cours (ndlr : au cours duquel l’Etat tunisien risque d’être acculé à payer des pénalités colossales),  elle a fait faillite en Tunisie,  qui l’a mis en faillite ? Qui a contracté des crédits qui se montent à des milliards, et ne les a pas remboursés ? s’est-il interrogé remonté, ajoutant que la justice a été saisie, une enquête a été ouverte et que la CGF (Compagnie Gestion et Finance) travaille dessus, et que "chacun assume sa responsabilité".

Il a encore souligné que l’Etat a mis tous les moyens de son côté et a engagé les plus grands avocats pour défendre ses intérêts et améliorer les conditions de négociation dans l’arbitrage international en cours, mais "on ne peut en garantir les résultats".

GAFI : La CTAF et la BCT ont induit le gouvernement en erreur
Pour ce qui est de l’inclusion de la Tunisie sur la liste noire des pays présentant des déficiences en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le chef du gouvernement a tenu pour responsables la commission tunisienne des analystes financières (CTAF) et la Banque centrale…"elles ont induit en erreur le gouvernement", a-t-il accusé, qualifiant d’opportune sa décision de démettre l’ancien gouverneur de la banque des banques.

Sur les circonstances du rapport du GAFI, il a fait savoir que celui-ci a été rédigé lors de la dernière mission du Groupe d’action financière, qui est venu en Tunisie le 20 février 2015. La Loi de lutte contre le terrorisme, d’août 2015 n’a pas été prise en considération, a-t-il dit, prédisant que le GAFI allait revoir son évaluation lors de sa prochaine mission en août/ septembre 2018, et la Tunisie serait, selon toute vraisemblance, retirée de la liste. 

Simplification administrative

Sur un autre Chapitre, Chahed a souligné que son gouvernement travaillait sur un important programme qui est celui de la simplification administrative, annonçant la parution la semaine prochaine (ndlr : cette semaine normalement) d’un décret gouvernemental qui comprend toutes les autorisations. "Un nouveau principe a été institué en vertu duquel au bout de 60 jours, si celui qui a demandé l’autorisation n’a pas la réponse de l’administration, celle-ci prendrait effet d’une manière tacite".

La deuxième étape porte sur la publication d’une liste dite négative. "Toutes les activités qui ne figurent pas sur cette liste ne seront pas soumises à une autorisation, et ce au nom du principe du libre investissement", a-t-il souligné. Il a encore fait part d’un programme qui sera dévoilé en mars, relatif à la légalisation des signatures, et copie conforme, ainsi que de la possibilité à compter du 1er mars de créer sa propre entreprise auprès de l’API en 48 à 72 heures…tout cela concourent vers l’élimination des entraves à l’investissement, a-t-il dit. 

Trouver une alternative au phosphate à Gafsa
Sur le brûlant dossier du phosphate, et la paralysie qui frappe le bassin minier, le locataire de la Kasbah s’est voulu conciliant, considérant que la situation découle "des grands problèmes de développement à Gafsa, et est le résultat des promesses qui n’ont pas été tenues", qualifiant la situation de déplorable, et d’intenable. "On ouvre un concours pour recruter 1700 employés, et ça devient une malédiction", s'est-il insurgé, appelant à penser aux  30 mille familles (dont 11 mille dans l’environnement qui n’ont pas d’emplois effectifs) qui travaillent dans le phosphate.

Face à cette situation désastreuse, Chahed a prôné le dialogue, évoquant une séance qui a eu lieu vendredi jusqu’à une heure tardive en présence de toutes les parties, "on espère que la situation qui n’est plus supportable se décantera dans les meilleurs délais". Il a affirmé la nécessité d’un retour immédiat de la production, tout en préconisant une approche concertée pour parvenir à une solution au problème de développement à Gafsa, et trouver une alternative au phosphate dans la région, et au-delà préconiser des alternatives dans toutes les régions énergétiques.

D'où je viens ?
Sur les soupçons qui pèsent sur les prochaines municipales quant à la partialité et au manque de transparence, du fait du cumul des ministres de Nidaa entre leurs fonctions gouvernementales et leurs missions partisanes, il a balayé les critiques d’un revers de la main, en défendant le droit de ses ministres d’avoir des fonctions politiques, "c’est moi qui leur ai autorisé à le faire, à condition de ne pas utiliser les moyens de l’Etat", a-t-il souligné en substance.

"Aujourd’hui, ce n’est pas le ministère de l’Intérieur qui organise les élections, c’est l’ISIE, s’il y a des violations et dépassements, elle nous le dira", a-t-il ajouté, affirmant que son gouvernement a assuré toutes les garanties d’impartialité au prochain scrutin local. 

Il a appelé à se garder de "casser le système des partis". "Le ministre est un politique, ce n’est pas un administratif, sinon pourquoi aurait-on instauré la démocratie et les élections".  Chahed va jusqu'à afficher une attitude victimaire, estimant qu’il y a une focalisation sur les ministres de Nidaa. "Pourquoi ne parle-t-on pas des ministres d’Ennahdha et d’al-Massar qui ont des dirigeants en leur sein qui s’adonnent à des activités partisanes".

"D’où nous venons, d’où je viens", s’est-il demandé, revendiquant son appartenance à Nidaa, ainsi que ses ministres. "Je n’ai jamais quitté Nidaa, j’ai gravi les échelons avec Nidaa. Malgré les critiques et les scissions, Nidaa est parmi les  rares partis qui a pu mobiliser 7700 personnes sur ses listes aux municipales, c’est un parti qui existe effectivement sur le terrain, et c’est un signe de bonne santé". Chahed qui ne s’est jamais fait l’avocat de Nidaa Tounes avec une telle énergie, a annoncé que son mouvement tiendra son congrès après les municipales, se gardant de se prononcer sur son intention de briguer un poste de leadership le moment venu.

Le chef du gouvernement a conclu son propos en réitérant l’extrême importance des prochaines municipales pour la démocratie tunisienne, étant entendu que "la municipalité est un vecteur de développement". "Plus il y a des communes dans un gouvernorat, plus l’indice du développement augmente", a-t-il dit, assurant que le but des municipales est de changer la méthode de développement dans les régions. 

Gnet