Tunisie : Un vote de colère derrière la bérézina des partis militants

Publié le Mercredi 29 Octobre 2014 à 17:37
Les Tunisiens ont voté Nida Tounes, en l'absence d'alternative. Les partis dits centristes, laïcs, démocrates, ont essuyé une défaite cuisante aux élections du 26 octobre 2014. La polarisation entre Ennahdha et Nida Tounes, entretenu à fond par ce dernier, a joué grandement en leur défaveur dans les urnes. L’appel au vote utile de Nida Tounes, et la petite phrase incisive de son président, Béji Caïd Essebsi, "celui qui ne vote pas Nida Tounes, voterait Ennahdha", semblent avoir produit leurs effets sur l’électorat, mais ce n’est pas tout.

S’il est vrai que l’issue du scrutin, et la nouvelle donne postélectorale, étaient difficiles à prévoir au préalable, au regard des profonds changements politiques intervenus à trois ans d’intervalle entre deux scrutins (23 octobre 2011 - 26 octobre 2014), il n’en demeure pas moins que personne n’imaginait un tel chamboulement du paysage politique. Que s’est-il passé ? Pourquoi les Tunisiens ont-ils été aussi sévères avec des formations politiques connues pour leur militantisme ? Pourquoi ont-ils totalement tourné le dos à des partis anciens, démocrates, dont les leaders se prévalent d’un grand passé militant, et d’une résistance farouche contre la dictature ?

La réponse est simple, les Tunisiens ont fait un vote de colère et de déception et ont exprimé une envie de changement, à même de leur faire oublier les difficiles trois années de transition. A leurs yeux, Nida Tounes, ce parti qui est né fort, devenu incontournable en peu de temps, et qui plus est conduit par un chef charismatique, un ténor politique qui sait conquérir, en deux temps, trois mouvements, les cœurs et les esprits, incarne cette aspiration pour des lendemains meilleurs.

Peu importe si ce parti est une résurrection, du moins en partie, de l’ancien régime, peu importe s’il s’appuie  sur la machine du RCD dissous, l’essentiel est qu’il soit capable plus que d’autres, selon leur perception, à les sortir de l’ornière.

Dimanche dernier, une bonne partie des Tunisiens ayant voté Nida Tounes l’ont fait par défaut, en l’absence d’une alternative meilleure. Ils ne se sont pas autant souciés de la préservation de la liberté et de la démocratie, que de la lutte contre le terrorisme, de l’amélioration de leur cadre de vie qui s’est trop dégradé, du redressement économique, de la fin du laxisme ambiant qui gagne du terrain dans la société... A fortiori qu’ils ont constaté, quatre ans ou presque après la révolution, que les idéaux pour lesquels ils se sont soulevés, à l’instar de la dignité, de la justice, du droit à l’emploi, sont restés des vœux pieux. Pis encore, les Tunisiens ont été confrontés tout au long de ces années post-révolution au fléau terroriste, dont les drames les ont plongés plusieurs fois dans le deuil et la consternation, ils ont vu leurs conditions de vie se détériorer avec la cherté de la vie, nombreux ont perdu leur emploi, avec des sociétés et des usines qui ont mis la clef sous le paillasson.

Dans ce contexte, leur parler de démocratie et de liberté revient à prêcher dans le désert. Et pourtant, ces deux mots clefs sont à la base de tout. Ils sont à l’origine de l’émancipation de l’être et de son passage du statut de sujet à celui du citoyen. On ne peut parler de citoyenneté, de justice sociale, d’égalité entre citoyens, de répartition équitable des fruits de la croissance, de lutte contre la corruption et la malversation, de la fin du népotisme et du clientélisme, sans un régime démocratique, régi par des institutions transparentes, lesquelles sont soumises à des règes de fonctionnement strictes et rigoureuses. On ne peut aspirer à ériger les bonnes pratiques et l’éthique en système inviolable, sans une classe politique intègre et loyale, et sans une vie démocratique réelle. Ce sont là les fondamentaux que l’on ne doit pas perdre de vue, seront-ils garantis avec le nouveau régime dont Nida Tounes sera le pivot ?

L’on reste certes perplexe, mais confiant que l’ère despotique est à jamais révolue en Tunisie, est que le peuple, même il est resté en majorité silencieux lors du scrutin de dimanche, saura redresser la barre à chaque fois qu’il voit des dérapages.

Quant à la bérézina des partis dits centristes, outre le fait que Nida Tounes se soit emparé d’une bonne partie de leur identité et de leur positionnement politique, elle est due essentiellement à leur faiblesse, leur effritement, et leur égocentrisme dans la mesure où chacun défend sa chapelle, sans compter l’inconstance de certains partis, mal-vue par les électeurs. Mais cela mérite que l’on s’y attarde plus longuement.
H.J.