Rôle de la société civile pour le recouvrement des biens mal acquis

Publié le Jeudi 26 Juin 2014 à 16:29
Vue de la ConférenceLe recouvrement des biens mal acquis et des fonds détournés par des membres de l'ancien régime, ou  de leurs proches, n'est pas une sinécure. D'ailleurs, très peu d'avoirs ont été retournés à la Tunisie, en trois ans de révolution, malgré l'important nombre de requêtes, formulées et adressées à différents pays, comme la France, la Suisse, l'Italie, le Canada, l'Arabie Saoudite, ou le Qatar

La question a fait l'objet, ce jeudi, d'une conférence organisée par l'association I watch et Transparency International, et durant laquelle Kinada Hattar, coordinatrice régionale pour la région MENA de Transparency Internationl, a déclaré que le recouvrement des avoirs relevait du rôle de l'Etat, mais pas seulement.  "Transparency International estime que le rôle de la société civile, du secteur privé et des médias est primordial pour récupérer l'argent subtilisé, mais aussi pour lutter contre l'impunité pour ceux qui auraient l'intention de commettre les mêmes crimes dans l'avenir".
 
Selon elle, les procès et procédures judicaires qui entourent ces affaires de détournement "sont à l'origine du retard qu'elles prennent". Dans certains dossiers, ce sont des documents manquants qui peuvent ralentir la procédure pour vice de preuves. "Dans certains cas, les pays qui sont en possession des avoirs volés, se montrent sceptiques, et craignent de restituer des biens en ignorant ce qu'il va en advenir, et à quoi ils vont servir...ils se demandent si cet argent va revenir au peuple et s'il va lui profiter...la justice joue un rôle central dans la question, ainsi que la législation qui doit être claire et sans équivoque", a-t-elle expliqué. Le système bancaire lui aussi doit être clair, ôtant tout soupçons sur le devenir des fonds qui seront restitués au pays d'origine, a-t-elle dit.
 
Ruben Carranza, membre du centre international de Justice transitionnelle et expert en recouvrement des biens mal acquis, ayant mené l'enquête au sein de la commission philippine qui a réussi à récupérer 680 millions de dollars d'avoirs volés par la famille de Ferdinand Marcos, a expliqué qu'il était nécessaire de procéder à la réparation pour les victimes du régime déchu. "Ce que je propose c'est que le tiers des fonds récupérés soit destiné à dédommager ces familles, comme nous l'avons fait aux Philippines...cela fait partie du processus de justice transitionnelle", a-t-il dit, ajoutant que cette mesure ne devrait pas concerner uniquement les victimes de Ben Ali, mais aussi les victimes du régime de Bourguiba.
 
D'après lui, la réconciliation devrait être décidée par les victimes et non pas par l'Etat, "...C'est le problème actuel en Tunisie", a-t-il dit.
 
Il recommande qu'il y ait une commission spécialisée dans le suivi des dossiers de recouvrement des biens mal acquis, que des compétences tunisiennes soient mobilisées pour défendre ces dossiers..
 
"Parfois, les pays ont recours à des avocats suisses pour ces dossiers, mais celui-ci ne connait que la législation suisse...il est important de mobiliser des compétences nationales en législation et en finances  pour traiter ces dossiers".
 
Il rappelle que la convention des Nations Unies pour la lutte contre la corruption, n'est pas entièrement adoptée par la Suisse, ce qui complique davantage la possibilité de recouvrer certains avoir dans ce pays. 
 
Ruben Carranza a réitéré qu'il était important de dédommager les victimes du régime, relatant l'histoire d'un père d'un martyr de la révolution tunisienne, qu'il avait rencontré, et auquel il avait demandé ce qu'il a eu en guise de réparation après la mort de son fils :"Il m'a montré un document de couleur jaune, qui n'est autre qu'un titre de transport gratuit", a dit l'expert, pour qui, il est difficile de comprendre que la seule réparation pour une victime serait un titre de transport.
Un rapport élaboré par une ONG française a levé le voile sur les preuves de corruption de 20 chefs d'Etats, a indiqué Julien Coll, directeur exécutif du bureau régional de Transparency International en France.
 
 " Le rapport démontre le sentiment d'impunité qui existait en France pour certains chefs d'Etat qui possédaient des résidences dans les avenues les plus chères à Paris...Il y a une disproportion flagrante entre les ressources légales de ces chefs d'Etats et leurs avoirs. Les informations collectées par l'ONG ont alors permis l'ouverture d'une enquête judicaire", a-t-il dit.
 
Malgré les procès verbaux édifiants, le parquet classe le dossier, sous le poids de pressions extérieures, a-t-il révélé. Mais l'enquête a été ré-ouverte en 2008 avec encore une fois l'aide des ONG qui ont insisté pour le réexamen de ces affaires. Deux juges français se sont penchés sur l'affaire.

"Concrètement depuis 2 ans, suite à une plainte, il y a eu des perquisitions et surtout des saisies extrêmement spectaculaires. La plus importante a été réalisée en 2011, à l'Avenue Foch à Paris, d'un immeuble estimé à 150 millions d'euros. La perquisition effectuée dans cet immeuble a été la plus importante qui soit jamais arrivée, avec un appartement qui contenait des biens estimés à 40 millions d'euros...11 voitures de marques Maserati et Ferrari, qui appartenaient au fils du président de Guinée Equatoriale", a-t-il souligné, rappelant l'importance de la société civile dans ce genre d'affaires, malgré les menaces qui peuvent peser sur les personnes en charge de ces dossiers.
 
Concernant la Tunisie, il dit qu'il peut y avoir plusieurs types de gênes, notamment, politiques et administratives, et judiciaires.  
 
En plus de trois ans de révolution, seuls deux avions et deux bateaux de la famille de Ben Ali ont été restitués à la Tunisie, ainsi que 28,8 millions de dollars restitués par le Liban. Les fonds détournés sont estimés à 80 millions de dollars.

Chiraz Kefi
 
 

Commentaires 

 
#3 à qui profite la lenteur?
Ecrit par alyssa     05-07-2014 08:03
Le recouvrement de biens mal acquis requiert du temps et surtout beaucoup de professionnalisme et de ténacité. Les USA ont réussi à imposer des milliards de dollars en amendes aux banques suisses, non pas parce qu'ils sont tout puissants, mais parce que leurs avocats sont rompus aux droits international, fiscal et pénal. Ce qui manque hélas à nos propres avocats en Tunisie, habitués à plaider les affaires de divorce...
 
 
#2 Et si on commençait par la local ?
Ecrit par Batman     29-06-2014 23:33
On coure à travers la planète dans le faible espoir de rapatrier quelques sous...
Et si l'on regardait un peu en local: pas mal d'argent a été détourné et beaucoup de société étatiques ont été vendues, pour des bouchées de pain, aux proches du régime de Ben Ali, dans le cadre de la mascarade maquillée sous le nom pompeux de PRIVATISATION...
Il s'agit de revoir des choix politiques, pas de quémander des sous envolés...
 
 
+1 #1 Rabbi ykhlif
Ecrit par Royaliste     27-06-2014 08:25
la priorité est de combattre la corruption actuelle qui s'est démocratisé.
Des abus de pouvoir, des détournements d'argent public, du favoritisme sont encore notre pain quotidien
 
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