Tunisie : Retenir la leçon du bourguibisme, sans en être l'otage

Publié le Jeudi 06 Avril 2017 à 17:14
Des écoliers brandissent le portrait de Bourguiba à Monastir, ce jeudi 06 avril. Dans l’histoire des nations, il y a des figures emblématiques qui ont une place indélébile dans l’imaginaire collectif, comme Charles de Gaulle en France, Kamel Atatürk en Turquie, Jamel Abdennaceur en Egypte…et Bourguiba en Tunisie. Le militantisme de Bourguiba, sa résistance à l’occupation française, et sa contribution à la construction de l’Etat moderne, dans la droite ligne du mouvement réformateur du 19ème siècle, ne peuvent être contestés, son charisme et son aura internationale sont connus et reconnus par tous.

30 ans après la fin de son règne, et 17 ans après son décès, l’évocation de Bourguiba traduit des sentiments contrastés, et des opinions aux antipodes. Entre ceux qui le glorifient et l’auréolent jusqu’à en devenir prisonniers du souvenir, se disant nostalgique de son époque, et s’acharnant à en restituer l’héritage, comme seule voie de salut pour la Tunisie, et ceux qui le critiquent jusqu’à le dénigrement, lui reniant le statut de leader national ; l’impartialité et la rationalité se perdent à travers les sillons de ces débats qui ne semblent pas près d’être tranchés. 

Dernièrement, le conflit Bourguiba/ Ben Youssef, vieux de plusieurs décennies, a été déterré, provoquant un certain fanatisme dans le camp bourguibiste, y voyant comme un moyen de nuire à la mémoire du défunt leader, de pointer les torts du bourguibisme, et d’en minorer l’œuvre.

Or, la relecture de l’histoire, basée sur des faits réels, contenus dans les témoignages livrés dans le cadre d’une audition publique de l’IVD, n’est pas interdit, à condition que cela ne procède pas d’une volonté d’un règlement de comptes, et ne vise à travestir les réalités.

Que la lumière soit faite sur la destitution de Salah Ben Youssef du Néo-destour pour avoir été en désaccord avec Bourguiba sur les accords d’autonomie interne que ce dernier a signés avec la France est nécessaire. Que les faits soient établis sur sa condamnation à mort, son exil et puis son assassinat en Allemagne dans des conditions mystérieuses, ce n’est pas non plus un tabou, mais c’est un impératif pour un pays qui s’est libéré de la chape de plomb de la dictature, et qui cherche à se réconcilier avec son passé, pour savoir gérer son présent, et mieux préparer son avenir.

Mais tout le danger est que ces débats dérapent, ravivent les rancœurs idéologiques, et transposent le conflit de naguère sur la réalité d’aujourd’hui, pour faire diversion sur les problèmes sur lesquels la nation doit s’atteler en urgence, pour sauver le pays de l'abîme.

Bourguiba et Ben Youssef sont deux grands leaders, que le militantisme a réunis à une certaine étape du mouvement national, et les a séparés ensuite, pour différence de vision. L’Un a régné pendant 40 ans, et l’autre a été assassiné dans des conditions mystérieuses en Allemagne, les premières années postindépendance. Les deux ne sont plus de ce bas monde ; que Dieu leur accorde son infinie miséricorde, les récompense pour leurs bonnes actions, et pardonne leurs péchés.

Avec tout l’intérêt que revêt cette étape cruciale de l’histoire nationale, les Tunisiens ne doivent pas en être prisonniers. Aujourd’hui, nos priorités sont autres, elles sont d’ordre économique, social, sécuritaire, éducatif, culturel…pour  ne pas dilapider les acquis que nos anciens nous ont légués.

La leçon à retenir de ces leaders de la première heure, est celle de s’en inspirer du pragmatisme, de la persévérance, et de la capacité à faire changer les choses, tout en évitant leurs erreurs et leurs échecs tactiques, politiques, économiques… dont le pays souffre jusqu’à l’heure des retombées, pour en avoir entravé  l’émancipation réelle et le développement véritable, inclusif et équitable.

Etre otage du passé empêche d'avancer et de progresser, car cela nous cantonne dans des schémas éculés, et révolus…il est temps de se tourner vers la jeunesse, de l’aider à prendre la relève et à s’emparer des défis auxquels le pays est confronté.

H.J.