Tunisie, Rached Ghannouchi remonte aux origines d’Ennahdha

Publié le Dimanche 20 Mars 2011 à 20:20
Rached GhannouchiRached Ghannouchi raconte sa rencontre avec Abdelfattah Mourou, l’avènement d’al-Ittijah al-Islami qui s’est après transformé en mouvement Ennahdha. Il évoque sa déception du nationalisme après avoir quitté la Tunisie, inscrite par Bourguiba dans un projet de modernisation occidentale.

Après de longues années d’exil, Rached Ghannouchi est revenu au bercail, à l'issue de la révolution du 14 janvier. Conscient qu’il demeure peu ou prou, méconnu du grand public, l’homme cherche à se faire connaître. C’est du moins l’exercice auquel il s’est soumis samedi dernier, alors l’invité de la fondation Temimi. Devant une assistance nombreuse, le président d’Ennahdha a fait un long flash-back d’une existence pleine de rebondissements.

Né en 1941 à El Hamma, "une région qui a donné plusieurs hommes à la Tunisie ayant contribué au mouvement syndical et national, à l’émancipation de la femme,  etc. tels Tahar Haddad, Mohamed Ali Hammi, Jaloulli Fares", dit-il. Appartenant à une petite famille agricole, il s’est adonné dès l’âge de douze ans au travail de la terre. Avant de regagner la capitale pour suivre ses études à la Zitouna. "A cette époque, il y avait un antagonisme substantiel entre deux projets de modernisation de la Tunisie, le premier s’inscrit dans un cadre occidental, et le second dans un cadre arabo-musulman".

"Bourguiba pensait que le modèle français était celui de la modernisation, et tout ce qui vient du Machreq n’était qu’anarchie. Au lendemain de l’indépendance, il y avait 27 mille Zeitouniens et 4500 diplômés de l’école moderne, c’est à eux qu’on a fait appel pour construire la Tunisie moderne", indique-t-il, ajoutant que "la première décision prise après l’indépendance, était la fermeture de la Zitouna. Les Zeitouniens étaient marginalisés, aliénés et leurs horizons fermés, et se consolaient du Machreq comme refuge spirituel". En 1964, Rached Ghannouchi a mis le cap sur l’Egypte, où il s’est inscrit à l’université du Caire, spécialité génie agricole, sa hantise était alors de développer le mode de vie dans lequel il a grandi. Mais son passage au Caire était de courte durée, et la réconciliation entre Abdennasser et Bourguiba était intervenue au détriment de ces jeunes émigrés tunisiens, dont Bourguiba exigeait le retour.

Refusant de retourner à un pays occidentalisé, Rached Ghannouchi a pris la destination de  la Syrie, et s’est inscrit a l’université, spécialité philosophie. En été 64, sa bourse étant suspendue, il était obligé à l’instar d’autres étudiants d’aller en Europe, pour le travail. C’était sa première découverte du monde occidental où il a passé six mois dans de nombreux pays européens, entre travail et tourisme.

Nationalisme : la déception 
En 1967, il a adhéré à l’union socialiste nassérienne, mais il a vite découvert que le nationalisme laïc n’était pas toujours en accord avec l’Islam. "Un parti fondé sur l’arabité, peut ne pas prôner l’Islam comme religion. J’ai senti comme une trahison à mes convictions, j’ai alors quitté le courant nassérien nationaliste, pour m’inscrire dans le courant islamique, sans adhérer à aucun parti. C’est en 1989 que la réconciliation entre arabité et Islam est survenue, ayant débouché sur la création du congrès arabo-musulman dont j’assure la présidence".   

En août 1968, Rached Ghannouchi part en France, au moment où les flammes révolutionnaires de mai 68 n’étaient pas encore éteintes. Il s’est alors inscrit en doctorat à la Sorbonne. "A l’époque, la vie d’un jeune musulman et pieux à Paris était rude. Pour financer mes études, j’étais obligé de distribuer des prospectus dans des conditions dures. C’est là que j’ai fait la connaissance de Jemaâ al-Daoua,(جماعة الدّعوة)  ) un groupe, issu des ouvriers nord-africains, qui ne s’occupe que de religion, et ne s’intéresse point aux questions politiques. Voyant en moi, un jeune musulman, instruit et cultivé, ils m’en ont fait leur Imam. Ma semaine à Paris était partagée entre le quartier latin et Belleville, jusqu’à ce que je reçois la visite de mon frère, magistrat, qui me dit que ma mère est malade et que je dois retourner au pays pour la voir avant sa mort. Nous avons pris le chemin de la Tunisie, via l’Andalousie, où j’ai fait la prière à la Mosquée de Cordoue, malgré l’intervention du prêtre qui a voulu m’en empêcher, puis passé par l’Algérie où je suis allé voir Malek Ibn Nabeï, qui est à cette époque entré en polémique avec Saïd Kotb. Ce dernier considère l’Islam comme étant la civilisation, alors que le premier fait la distinction entre Islam et civilisation, considérant l’Islam comme un livre révélé, et la civilisation comme un projet humain.  Moi, j’étais de l’avis de Malek Ibn Nabeï, et je crois que le musulman peut être civilisé, s’il comprend bien l’islam, et peut ne pas l’être,  s’il le comprend mal".

Ma rencontre avec Abdelfattah Mourou

De retour en Tunisie en 1969, le pays vivait un état d’asphyxie, se rappelle-t-il. "Je tenais alors un discours très critique envers le régime, au point que ma famille, qui comptait un avocat et un magistrat, avait souhaité  que je retourne d’où je venais, à défaut, ce serait la prison qui m’attendait. Je me suis rendu  à la capitale, et un jour, en rencontrant Abdelafattah Mourou, alors qu’il prononçait un prêche dans une petite mosquée du passage, le premier contrat de la fondation du mouvement islamique en Tunisie a été conclu". "Au départ, nous avons opté pour la méthode de la Daoua dans les mosquées, à l’instar du groupe de Tabligh (prosélytisme) (جماعة التّبليغ). J’enseignais en même temps la philosophie en langue arabe, dans le cadre du programme de Mohamed Mzali, et j’animais des conférences sur la position de l’Islam envers de nombreuses questions de l’époque"relate-t-il.

En 1970, Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou sont allés voir Mohamed Fadhel Ben Achour, et lui ont demandé de conduire la renaissance de l’islam alors décadent dans le pays. "L’homme, se prévalant de grandes qualités morales,  nous a bien accueillis, mais il s’est excusé, sa position ne le lui permettait pas. Nous avons fait la même proposition à Kamel Tarzi, président du culte, mais lui aussi y a opposé une fin de non-recevoir".

En 1973, le mouvement islamique tunisien a connu un tournant, c’était lors d’une assemblée tenue à la mosquée de Sousse, ayant rassemblé une centaine de personnes. "La mosquée était alors quadrillée par la police, bien que l’Etat n’eût  pas vu en nous un danger, étant occupé à combattre les courants de gauche. Le premier qui avait prévenu contre le danger extrémiste était Mohamed Sayeh. Le 14 avril, nous avons été arrêtés par la police, Abdelfattah Mourou, Hmida Naïfer et moi-même. Et le commissaire de nous demander : qui êtes-vous ? Et Mourou de répondre : nous sommes Hezbollah".

La clandestinité puis le congrès
Le mouvement a alors décidé d’entrer dans la clandestinité, ayant été convaincu que la méthode du Jamaâ  al-tabligh ne pouvait pas marcher sous un régime policier, souligne-t-il. Après les événements de janvier 1978, le mouvement s’est rendu compte qu’il était dépourvu d’une culture politique lui permettant de réagir à de tels événements, et a alors commencé à s’intéresser aux questions sociales, et à se rapprocher des milieux syndicaux. La révolution iranienne de 1979 nous a donné des instruments d’analyse, pour soutenir les plus faibles, s’appuyant sur le discours de Khomeini qui parlait à l’époque du conflit entre les nantis et les déshérités".

En 1979, le mouvement de la tendance islamique (Ittijah islami) a tenu son premier congrès, et approuvé ses statuts, élu un conseil de la choura et un bureau exécutif, et s’est doté de structures de base dans les régions. "A la fin des années 70, nous avons mené des actions communes avec les mouvements démocratiques laïcs, d’Ahmed Mestiri, de Mohamed Belhaj Omar, de Néjib Chebbi et autres. En 1981 le mouvement était dans le collimateur, les autorités et certains partis politiques de décor se sont alliés pour combattre ce qu’ils qualifiaient de courant intégriste. Quelque 500 des dirigeants du mouvement ont été arrêtés en 1981, dont A. Mourou et moi-même, et avons été condamnés à 10 ans de prison". La direction historique du mouvement étant en prison, une deuxième direction issue de la jeune génération en a pris la place constituée alors de Hamadi Jbali, Ali Laraïdh, Zied Doulatli et autres.

Puis venaient les émeutes du pain en 1984, les islamistes ont été libérés. Le congrès électif du mouvement a eu lieu la même année, et une nouvelle direction en a été issue constituée des membres de l’ancienne et de la nouvelle génération. La période de 84 à 87 était importante dans le développement du mouvement au niveau social et de la pensée. "Mais, le pouvoir incarné notamment par le Président déchu, agitait l’épouvantail du danger intégriste.  Le mouvement d’al-ittijah al-islami a alors exprimé son rejet de la violence, comme moyen pour parvenir ou se maintenir au pouvoir".
En 1987, dix mille des dirigeants du mouvement ont été arrêtés pour appartenance à une organisation illégale. Bourguiba voulait couper des têtes, et demandait  l’exécution des dirigeants du mouvement. Le tribunal avait prononcé des jugements de prison à perpétuité, mais Bourguiba ordonnait la réouverture du procès, et exigeait la peine capitale, se souvient Rached Ghannouchi.

Ennahdha est le produit de la société
Entretemps, Ben Ali arrive au pouvoir et ouvre un dialogue avec les dirigeants du mouvement en prison. "Nous avons de notre côté publié un communiqué, de l’intérieur et de l’extérieur de la prison, où nous avons exprimé notre soutien au manifeste du 7 novembre, ayant renfermé une réponse aux revendications de l’opposition. En mai 1988, Ben Ali qui voulait instaurer un climat d’apaisement dans le pays a libéré les dix mille prisonniers islamistes.  Le 6 novembre 1988, une année après son accession au pouvoir, il m’a accueilli, en présence de Hédi Baccouche, alors premier ministre. J’ai insisté sur le patriotisme et le caractère pacifique de notre mouvement, et réitéré notre appui au manifeste du 7 novembre. Ben Ali m’a assuré de la légalisation du mouvement, et m’a demandé de patienter un peu pour que cette promesse soit tenue". Et de poursuivre : "a l’issue des élections de 1989, où  le pouvoir nous attribuait un score de 15 à 20 %, alors qu’il était beaucoup plus élevé en réalité atteignant les 50 et 60% pour certaines listes, nous avons dénoncé la fraude ayant caractérisé le scrutin. Chose qui m’a valu la convocation du Secrétaire d’Etat de l’Intérieur de l’époque qui m’a fait part de la contrariété et de la mise en garde du Président". "Depuis, le pouvoir a suivi une politique d’extirpation et d’assèchement des sources du courant islamique. En 1989, le mouvement destourien était déjà en mort clinique, et la société tunisienne était en totale mutation, indique-t-il. Rached Ghannouchi a été alors condamné à l’exil, et a été condamné à la prison à perpétuité par contumace. Ses coéquipiers ont été mis en prison en masse. "La prison à l’époque de Ben Ali était très dure, les islamistes étaient privés même de livres de coran ou de faire la prière ensemble. C’est là toute la différence entre un despote éclairé et un despote ignorant".

Maintenant qu’il est revenu au pays, et que son parti Ennahdha est légalisé, Rached Ghannouchi dit œuvrer avec les autres composantes de la société à parvenir "à un consensus national pour la construction d’un Etat démocratique, permettant la coexistence des différentes sensibilités en vue de contribuer à la renaissance de la Tunisie, pour qu’elle retrouve son rôle civilisationnel". Selon son président, Ennahdha est attaché à l’article un de la constitution, maintenant suspendue, selon lequel la langue de la Tunisie est l’arabe, et sa religion est l’islam. "Celui qui croit à sa révision se trompe, le peuple tunisien est un peuple arabo-musulman, il s'agit là  une réalité indéniable". Ghannouchi qui pense qu’Islam et politique sont intimement liés,  estime qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur de son  mouvement, "c’est un parti qui respecte les valeurs de démocratie et de droits de l’homme. Ennahdha n’a pas été parachuté, c’est le produit de la société. C’est ce qui explique sa pérennité pendant des décennies, malgré la répression".
H.J.

 

Commentaires 

 
#45 L'Islam correct gouverne les politiciens.
Ecrit par Musulman.     11-04-2011 10:54
En Islam, la politique doit obéir à Dieu. La dictature, refusée par l'Islam, est celle de personnes et non des religions. Il existe des religieux non dictateurs comme il existe des dictateurs non religieux. C'est plutôt une guerre contre l'Islam et non contre Ennahdha.
 
 
-1 #44 RE: Tunisie, Rached Ghannouchi remonte aux origines d’Ennahdha
Ecrit par GAS     05-04-2011 10:09
Je suis musulman mais je ne suis pas islamiste (celui qui veut imposer sa vision de l'islam aux autres). La religion est une affaire entre l'Homme et Dieu. La politique régit les relations entre les Hommes au sein d'une société. Il ne peut y avoir d'interférences entre le politique et le religieux. L'ETAT tunisien est Arabo-Musulman mais la liberté de culte doit primer.
 
 
-1 #43 confusion
Ecrit par mir     04-04-2011 17:57
pourquoi mêler la religion à l'état.religion gérant l'état c une dictature plus sévère que zaba, qui ourrait se révolter contre les propos de Dieu
 
 
+1 #42 La laïcité est l'ennemie des religions.
Ecrit par Musulman.     28-03-2011 07:29
La laïcité étant une incroyance, j'invite tous les musulmans tunisiens à voter pour les musulmans. Même si Ennahdha n'est le parti Islamique idéal, il n'existe malheureusement aucun autre parti politique tunisien qui met l'Islam en avant plan.
 
 
+2 #41 RE: Tunisie, Rached Ghannouchi remonte aux origines d’Ennahdha
Ecrit par Syrinne     25-03-2011 13:34
Pathétique !
Je ne trouve pas d'autre mot ...
 
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