Tunisie : Quels sont ces jeunes prêts à emprunter les embarcations de la mort ? |
Publié le Mardi 27 Décembre 2016 à 17:05 |
«Les jeunes et la migration non réglementaire : Enquête de terrain des représentations sociales, les pratiques et les attentes» est le sujet d’une étude co-réalisée par le Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux FTDES et la Fondation Rosa Luxembourg, dans le cadre du projet Boats4People. L’enquête a porté sur un échantillon composé de 1168 jeunes âgés entre 18 et 34 ans, issus des quartiers populaires. La nature de l’émigration clandestine des Tunisiens est différente de celle des émigrés des pays en conflit comme la Syrie. C’est durant le printemps 2011, alors que la Tunisie ne connaissait pas de problèmes sécuritaires particuliers, que ce genre d’émigration a connu un pic. L’échantillon étudié appartient à 6 gouvernorats, qui sont l’Ariana, Le Kef, Mahdia, Kasserine, Medenine et Gafsa. Les cités concernées ont été cité Ettadhamen à l’Ariana, cité Taieb Mhiri au Kef, Cité Ezzahra à Mahdia, cité Ezzouhour à Kasserine, la ville de Zarzis à Medenine et Cité Essourour à Gafsa. Les cités choisies ont un dénominateur commun à savoir leur caractère populaire, l’absence de toute activité économique importante et une mauvaise qualité des services administratifs, de santé, éducatifs et culturels. Mais aussi ces quartiers connaissent des problèmes comme l’importante présence de la contrebande, de toxicomanie, et la montée de la violence lors des revendications sociales. L’échantillon interrogé est composé de 623 hommes et 545 femmes. La moitié des interrogés ont interrompu leurs études lors du secondaire, tandis que 27.6% ont poursuivi leurs études supérieures. Ceux n’ayant pas fréquenté l’école ou n’ayant pas dépassé le primaire représentent 17% de l’échantillon. Selon l’étude, les jeunes ayant eu un minimum de niveau scolaire, abordent la question de l’émigration clandestine avec conscience et en connaissance de cause, révèle l’enquête. Les trois quarts des interrogés sont célibataires, et près du quart de l’échantillon est au chômage. La plupart de l’échantillon connait une situation professionnelle précaire, avec 18,8% d’ouvriers et 37.6% d’employés dans le secteur privé. Les jeunes interrogés habitent pour la plupart (53.7%) dans des maisons traditionnelles avec patio, dans 26.3% des cas ils habitent une maison indépendante, et 10.4% un appartement. 1% vivent dans un local qui n’est pas destiné au logement. 38.3% disent être propriétaires de leur logement, 29.1 % qu’ils l’ont hérité, et 26.8% qu’ils sont locataires. 4% disent vivre gracieusement. 99.2% des logements sont raccordés à l’électricité et 98.5% à l’eau, tandis que seulement 17.3% sont raccordés au gaz naturel. D’ailleurs, le tiers des familles des interrogés souffrent du froid à cause de la nature des logements, dont beaucoup sont toujours en stade de chantier. 37.9% de l’échantillon ne dispose d’aucun moyen de chauffer la maison en hiver. Mais aussi 14.5% de l’échantillon ne dispose pas de sanitaires dans leur maison, et 23.1% disent avoir des logements exigus. Près de 100% des interrogés déclarent avoir des parents ou des proches à l’étranger. Près de 20.3% de l’échantillon déclarent avoir une meilleure situation après la révolution, et 42.8% disent qu’elle a empiré. Après la révolution 66.8% des garçons ont pensé à émigrer contre 41.5% des filles. Ils sont pour la plupart âgés entre 20 et 29 ans. Parmi les diplômés du supérieur, 53.4% pensent à l’émigration, contre 56.4% de ceux qui n’ont pas dépassé l’enseignement primaire. Près du tiers des interrogés (30.9%) disent vouloir aller en France. L’Italie vient en deuxième position et l’Allemagne en troisième position, talonnée par l’Espagne et la Hollande. Les jeunes disent vouloir émigrer à cause du chômage dans 93.9% des cas. Les problèmes familiaux viennent en deuxième position avec 37.8% des interrogés qui estiment qu’ils représentent une raison pour émigrer. Enfin, 86.3% optent pour l’émigration pour des raisons financières, 55.5% pour des raisons sociales, et 39% pour des raisons sécuritaires. Parmi les garçons interrogés, 78.4% disent être prêts à émigrer de manière clandestine contre 21.6% des filles qui pensent la même chose. Pourtant 68.5% disent être contre l’émigration clandestine. S’ils optent pour ce genre d’émigration très risqué, c’est en premier lieu à cause de l’impossibilité d’obtenir un visa pour pouvoir voyager de manière légale, révèle l’enquête. Même si le risque de mourir en mer, de finir en prison, ou expulsé est très accru, les jeunes tunisiens ne renoncent pas au rêve européen, même s’il risque de se transformer en cauchemar. Parmi les interrogés, 15.8% assurent être en contact avec des intermédiaires et des passeurs pour étudier la possibilité d’émigrer clandestinement. Ils veillent à leur poser des questions sur la manière dont se sont passées les précédentes traversées, sur les équipements utilisés, le nombre de participants, et les mesures à prendre en cas de problèmes lors du voyage. L’émigration clandestine représente une menace très sérieuse pour la sécurité des jeunes. La Grèce a recensé 354 morts entre le 1er janvier et le 10 mars 2016, contre 137 160 personnes arrivées de manière clandestine sur ses terres. L’Italie a recensé 9492 clandestins pour 101 morts durant la même période. D’après l’Organisation internationale pour les Migrations, près de 22 000 personnes sont mortes en voulant traverser de manière illégale la mer méditerranée, durant les 15 dernières années. Parmi elles, 2814 sont mortes lors du premier semestre de 2016. Jusqu’à 2014, près de 2985 voyageurs tunisiens clandestins se sont retrouvés dans les prisons européennes. Ils ont été 20 000 Tunisiens à avoir traversé clandestinement la méditerranée depuis 2011. C.K.
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