Tunisie : Quels pays sont-ils facteurs d'insécurité en méditerranée ?

Publié le Jeudi 19 Juin 2014 à 17:16
Vue du symposiumJean François Coustillère, président JFC Conseil, spécialisé dans les relations internationales en méditerranée,  a exposé, aujourd’hui à Tunis, les stratégies et visions de 7 acteurs qu’il estime être les plus importants en méditerranée, et dans quelle mesure leurs stratégies sont favorables au développement de la paix dans la région. «Cette liste comprend l’UE, la Turquie, les USA, la Chine, l’IRAN, l’Arabie Saoudite et le Qatar, et la Russie, dont  7 pays sont riverains et 5 sont étrangers à la zone. Je n’ai pas voulu y ajouter Israël, parce que j’ai beaucoup de difficulté à identifier parfaitement la stratégie israélienne qui me parait faite essentiellement  de rebond sur les évènements", a-t-il dit.

Son exposé intervient lors du 3ème symposium  SUD.SEC.MED, organisé le 19 et 20 juin, à Tunis, par la fondation Konrad Adenauder Stiftung et le Centre des Etudes méditerranéennes internationales, sous le thème ; « Les problématiques de la sécurité en méditerranée ».

Un symposium dont le principal objectif est de mettre à jour les différents risques et menaces à la sécurité en méditerranée à un moment où les crises se sont intensifiées, et la précarité est devenue élément majeur d’insécurité pour une large partie  des populations des deux rives.

Selon l’expert, l’objectif de l’Union Européenne est de créer un espace de paix et de sécurité : « L’Europe voit les choses à travers son prisme personnel, sans prendre en compte les avis et les besoins de l’ensemble de ses pays partenaires », a-t-il dit. Le processus de Barcelone n’atteint pas les objectifs souhaités qui sont démocratie et libre échange pour la prospérité et la sécurité. Cette dernière équation s’est révélée fausse, d’après lui, ce pour quoi l’UE a emprunté « la politique de voisinage » qui prendrait en compte les pays du Sud.

«Si on regarde bien, on voit que cette stratégie est creuse. Elle manque d’ambition, et ne prend en aucun cas en considération les besoins du sud… », a-t-il constaté.

Il cite ensuite, l’Union pour la Méditerranée (UPM), une idée imaginée en 2008, et qui « est un véritable échec », et qui serait un « projet définitivement mort-né ». D’ailleurs, les précurseurs de l'UPM, avaient mis cet échec sur le dos de la situation au Proche-Orient, rappelle François Coustillère.

L’Union Européenne a diffusé deux documents en 2011,  en collaboration avec des organismes européens, exprimant une stratégie nouvelle en matière de politique de voisinage : « Ces deux papiers sont  particulièrement intéressants…les analyses qui ont été faites étaient remarquables, les propositions aussi…malheureusement l’UE n’était pas capable de concrétiser cela…on retombait dans la réalité des conflits internes de l’Union européenne. Résulat : L’Europe dépense beaucoup d’argent, pour des résultats médiocres», a-t-il regretté.

Récemment, six autres réunions ont été organisée autour de la question, dans le prolongement de ce qui existait déjà, y compris de l’UPM. « Je ne pense pas que l’action de l’UE soit porteuse de risques, mais elle n’avance pas. Elle a été traumatisée par les évènements de 2011…je dirais que l’UE se détourne de la méditerranée », a-t-il dit.

En ce qui concerne la Turquie, celle-ci, laisse pressentir une grande méfiance à l’égard de la Grèce, et au conflit qui sévit en Syrie. Déchirée entre la candidature d’entrer en UE et une certaine volonté de prendre le large de l’Europe, son plus grand problème est de préserver à tout prix ses frontières, selon l’expert en relations internationales en méditerranée.

« Cette position de la Turquie hésitante,  cette volonté d’être un intermédiaire dans les conflits au Proche-Orient tout en échouant et son intransigeance au sujet de l’espace kurde, n’est certainement pas un facteur de paix et de prospérité », a-t-il dit.

Au sujet des puissances extérieures à la méditerranée, il a expliqué que le souci des Etats-Unis d’Amérique, est de préserver le couloir de circulation des biens et marchandises que représente le bassin méditerranéen. La deuxième préoccupation, est le fait d’utiliser la méditerranée, comme étant le moyen d’accès le plus rapide vers les zones de crise et de conflit. « La guerre contre le terrorisme avait pour avantage principal pour les USA, de remettre la main sur les alliés qui ne voyaient plus très bien à quoi servait d’être tout le temps derrière les USA…faire émerger la lutte contre le terrorisme comme mission commune, permettait d’obliger les alliés à s’engager dans les mêmes aventures qu’eux. On a bien vu qu’en 2003, pour la guerre contre l’Irak, ça n’a pas été une réussite», a-t-il exposé.

Le pays de l’Oncle Sam, se serait pas, d’après lui un modèle porteur de paix, de prospérité ou de sécurité dans la région… « Regardez l’Afghanistan, regardez l’Irak… », s’est-il exclamé.

La Russie, autre pays fort, a une politique « d’étranger-proche ». Toute ingérence dans sa région, est perçue comme une menace pour elle, a-t-il expliqué. Elle aurait pour but essentiellement, de retrouver une place à l’international et de s’affirmer. D’ailleurs il considère que sa position concernant la Syrie ferait partie d’une stratégie pour montrer que rien ne se ferait dans la région sans son approbation.

Quant à la Chine, elle s’intéresserait à la méditerranée pour les avantages de sa main d’œuvre, et pour les marchés qui achèteraient des produits sophistiqués.

« Elle est aussi très intéressée par tout ce qui est militaire, à la vente comme à l’achat. Elle achète de chez Israël et vend au Hezbollah…quand elle s’adresse aux pays puissants elle fait valoir sa puissance, et quand elle s’adresse aux pays du sud elle joue sur sa non ingérence, comme si elle faisait encore partie du monde en voie de développement. Jouant sur ces deux tableaux, cela lui donne de la crédibilité… Elle a développé une vraie présence militaire en méditerranée, qui s’est concrétisée en 2006, quand des militaires chinois ont été tués par les forces israéliennes », a relaté Jean François Coustillère. Les chinois ont alors, décidé d’envoyer une présence militaire en méditerranée.

Récemment, la Chine a décidé  de développer 3 frégates qui patrouillent dans le bassin. « C’est un véritable signal, où elle exige la parole dans le cadre des conflits dans la région », a-t-il dit. Pour lui, la Chine ne serait pas une menace pour la sécurité, mais sa présence serait un signal de son existence adressé aux autres forces.

Concernant l’Arabie Saoudite et le Qatar, l’expert parle avec conviction de pays qui soutiennent et encouragent les troupes djihadistes et qui «  n’hésitent pas à éliminer tout ce qui n’est pas wahabite », a-t-il dit. A la question si ces deux pays sont facteurs de paix dans la région, l’expert répond par la négative : « certainement pas…probablement aujourd’hui même ils sont ceux qui sont les plus dangereux. Ils échangent des apports financiers contre une certaine soumission. La France a échangé une certaine liberté diplomatique envers le monde arabe en contre partie d’une aide financière », a-t-il déclaré.

Enfin, l’Iran. Ce pays historiquement très peu intéressé par la méditerranée, sauf quand ont émergé les conflits entre chiites et sunnites,  joue toutefois le rôle de leader du monde Chiite, le mettant en difficulté relationnelle avec ses pays voisins.

Jean François Coustillère a terminé sur un constat : Cette multiplication des acteurs en méditerranée, va, selon lui, par la force des choses créer des tensions plus grandes,  « entre ce qu’ils veulent en tant que nouveaux arrivants, et ce qu’ils considèrent bon à faire…ce n’est pas bon pour la paix », a-t-il dit. 
Chiraz Kefi