Tunisie : Procès des victimes du 14 janvier, la loi doit changer

Publié le Lundi 12 Janvier 2015 à 17:18
Durant le soulèvement qui a renversé Zine El Abidine Ben Ali, alors au pouvoir, les forces de sécurité tunisiennes ont tué 132 manifestants et en ont blessé des centaines dans tout le pays. Ces évènements qui ont eu lieu entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, ont fait l’objet d’une commission d’enquête officielle. Après les enquêtes criminelles et les poursuites, 53 hauts responsables du ministère de l’Intérieur, policiers, et autres forces de sécurité ont été traduits devant les tribunaux militaires, fin 2011.

Une conférence organisée ce lundi, par Human Rights Watch et le Haut Commissariat des droits de l’Homme, a traité des lacunes de ces procès.

Selon le droit tunisien, la compétence des tribunaux militaires s’étend aux crimes commis par les forces de sécurité, mais le rapport établi par Human Rights Watch après ces procès, a révélé que ces derniers avaient affaibli l’obligation de rendre des comptes de trois façons principales.

Ces procès ont connu d’importants retards dans la procédure. L’enquête est initiée par les tribunaux civils, avant que le dossier ne soit transféré aux juridictions militaires, lorsque l’implication de sécuritaires est avérée.  

Si Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve d’instructions politiques directes données aux tribunaux militaires, il existait une perception de la part des victimes selon laquelle l’exécutif avait une influence indue sur la décision des tribunaux, les amenant à prononcer des verdicts cléments à l’encontre des accusés. HRW rappelle que les normes internationales exigeaient que les enquêtes sur les violations perpétrées par des membres des forces armées ou des forces de sécurité ne doivent pas être menées par des membres de ces mêmes forces, soumis à la même chaine de commandement : «  Il s’agit là d’un principe fondamental qui a été ignoré lors des enquêtes », a rappelé Emna Guellali présidente de l’Association.

Autre lacune, les familles des martyrs et blessés de la révolution ont été empêchées de participer en tant que parties civiles à la phase d’investigation. Le code de Justice militaire ne l’autorisait pas, et par conséquent ces familles n’avaient accès ni aux enquêtes et ni aux procédures.

Lorsque les enquêtes ont été closes en septembre 2011, les victimes et leurs familles n’avaient aucun accès aux tribunaux militaires et se trouvaient dans l’incapacité de soumettre de nouvelles preuves, de demander un supplément d’enquête ou de présenter des observations au juge d’instruction.

Selon HRW, les enquêtes menées au sujet des exactions commises contre les manifestants, n’ont débuté officiellement qu’au mois de février 2011, après que les familles des victimes n’aient déposé plainte. « De ce fait, de précieux éléments de preuves ont été perdus », selon le rapport de la société civile, ajoutant que plusieurs familles de victimes ont accusé la justice d’avoir négligé certains éléments importants dans l’enquête. Notamment, en oubliant d’interroger des témoins clés.

Il existerait également des failles dans les arguments juridiques. « Dans son jugement écrit, la Cour d’appel militaire a analysé la responsabilité pénale du ministre de l’Intérieur et des directeurs généraux des forces de sécurité. Elle a relevé des preuves de leur participation dans des actes criminels par l’organisation de la répression…avec l’omission de donner des instructions claires aux forces de sécurité de n’utiliser la force qu’en cas de nécessité et l’omission de fournir à la police des moyens non létaux, suffisants pour contrôler  la foule », indique le rapport.

Emna Guellali a attiré l’attention sur la faille juridique,  ne permettant pas de prouver que les accusés avaient entrepris des actes tangibles contribuant au crime. D’ailleurs, la Cour d’appel militaire s’est appuyée sur cette faille pour alléger les peines des accusés. Elle a jugé qu’ils n’étaient responsables que de « négligence », ce qui ne reflète pas la gravité des crimes commis, relève le rapport de HRW.

En définitive, les procès ont été basés sur la responsabilité présumée des accusés pour la conduite des forces de l’ordre, car il manquerait une close au Code pénal tunisien, criminalisant la responsabilité de commandement et les supérieurs hiérarchiques civils responsables des crimes graves commis par les subordonnés.

Hormis Ben Ali, qui a écopé par contumace d’une perpétuité, de hauts responsables, ainsi que des policiers ont écopé de 3 à 10 ans de prison.

Human Rights Watch recommande qu’il y ait une réelle volonté politique d’élucider les crimes commis contre les manifestants lors de la révolution, s’assurer que chaque enquête est menée rapidement et de manière impartiale. Elle appelle le ministre de l’Intérieur à publier un décret contraignant toutes les forces de sécurité à toujours respecter les normes internationales  concernant l’utilisation de la force et des armes à feu.

Human Rights Watch incite les autorités à intensifier les efforts pour que le principal suspect dans ces procès, l’ancien président Ben Ali, soit extradé de l’Arabie Saoudite vers la Tunisie.
C.K