Tunisie : "Pas de stabilité sans justice sociale" (Adnane Hajji)

Publié le Mercredi 19 Novembre 2014 à 17:25
Le Forum Tunisien pour les Droits économiques et sociaux a organisé ce matin, en collaboration avec l’Observatoire Social tunisien, une conférence du Docteur Abdeljelil Bedoui, spécialiste en économie du développement. Une conférence durant laquelle, il a décortiqué son dernier ouvrage portant sur le rôle du régime fiscal tunisien dans l’instauration d’une justice sociale, édité par le FTDES et l’OST.

Il a commencé par la loi de finance 2015, faisant l’actualité, qui selon lui est dans la continuité de la loi de finance de 2014. « La loi de finance de 2014 avait estimé la croissance économique à 4 %, ensuite la loi complémentaire a parlé d’une croissance de 2.8%. Mais en réalité le taux a été mis à jour actuellement à moins de 2.5% qui est le même que 2013…Ce qui prouve que le pays n’est pas sur la voie d’une reprise économique », a indiqué Bedoui, ajoutant que des changements survenus à l’intérieur et à l’extérieur auraient pu permettre de hisser le taux de croissance de manière considérable.

Il a cité comme changement à l’échelle internationale, la baisse du prix du pétrole « qui est à 74 dollars il y a deux jours, après qu’il n’ait atteint le prix de 112 dollars le baril il y a quatre mois.

Alors que nous savons que la baisse du prix du baril d’un seul dollar entraine une baisse de coût d’environ 50 millions de dinars pour l’Etat tunisien », a-t-il dit. Selon lui, la baisse de prix des denrées alimentaires, et surtout celles importées par l’économie tunisienne telle que le blé, et la baisse de l’inflation dans la région Euro, devraient entrainer des améliorations dans l’économie tunisienne « Nous avons eu également une bonne saison agricole…par conséquent je considère que la loi de finance de 2014 n’a pas réussi à atteindre ses objectifs », a souligné l’économiste.

Bedoui a aussi indiqué que la stratégie de l’Etat qui consiste à compter sur l’investissement privé, n’était pas raisonnable dans un climat sécuritaire instable. Il préconise que l’Etat compte plutôt sur ses propres moyens en augmentant les investissements publics. « Le problème c’est que la loi de finance de 2015, était élaborée de la même manière que celle de 2014. L’Etat ne devrait pas emprunter le même chemin, mais aussi réformer le code des Investissements, qui a été mis de côté », a-t-il dit.

Il a déploré la même politique de l’Etat, qui consiste au développement d’un tissu économique basé sur l’industrie et les métiers favorisant l’embauche d’une main d’œuvre sans qualifications, tandis que l’enseignement supérieur continue à générer des diplômés en inadéquation avec le marché de l’emploi et favorisant la hausse du chômage.

« Si la croissance n’a pas décollé, c’est que le principal moteur de l’économie tunisienne depuis 2010 sont la demande nationale, la consommation nationale et l’investissement national. Mais en 2014, la consommation a connu une baisse, et les investissements internes et étrangers ont régressé, ce qui a ralenti la machine », a expliqué Abdeljalil Bedoui.

Il a par ailleurs, indiqué que la politique économique adoptée par la Tunisie, n’a pas changé depuis les années 1980, et n’a pas permis de faire hisser le taux de croissance, malgré la hausse continuelle des impôts. « Autre chose, quand on réduit le déficit des indicateurs économiques, comme les dépenses et les salaires, rien ne prouve que l’on accélère le taux de croissance économique, comme tend à le croire l’Etat tunisien…ce qui prouve que nous devons instaurer des réformes structurelles », a-t- dit

Il a critiqué sur la même lancée les avantages accordés aux investisseurs, sans exiger de garanties en retour. «En  l’absence de relations contractuelles, il n’est pas possible de progresser. Accorder des avantages sans exiger en retour une amélioration de l’emploi ou du développement, représente un manque à gagner à l’Etat qui est en train de renoncer à des ressources fiscales importantes », a-t-il dit.

Faire passer les équilibres financiers avant les réformes stratégiques, est selon l’économiste, un choix à revoir, d’autant qu’il appelle à plus de clarté dans les décisions. « Il y a certaines réformes qui ont été annoncées en grande pompe, mais qui n’ont jamais été appliquées, comme par exemple celle de convertir les avantages en nature en avantages pécuniaires pour les fonctionnaires du public… », a-t-il rappelé. Une décision prise en 2014, et restée sans suite.

Il a dénoncé également la politique de l’Etat qui consiste à faire porter à l’employeur la charge de renflouer les caisses publiques. « l’Etat passe toujours par la taxe indirecte qui passe par les produits de grande consommation, qui affecte en premier lieu le travailleur…C’est la politique de l’Etat fainéant qui opte pour la facilité, en imposant les individus les plus impuissants, et ceux qui ont le moins de revenus…Les TVA sont les taxes les plus injustes  », martèle Bedoui.

Dans un autre registre, Bedoui s’est interrogé sur les revenus des biens confisqués, et sur la manière avec laquelle ils sont gérés, appelant à ouvrir une enquête sur l’état d’avancement de leur gestion.

Adnane El Hajji, membre fondateur du FDTES et député dans le futur parlement, a déclaré lors de la conférence, que la justice sociale était tributaire de la réforme fiscale, et que la stabilité sociale ne pouvait être atteinte qu’en concrétisant cette justice. Il a dénoncé les avantages dont profitent les investisseurs au détriment des travailleurs. « L’Etat vient de se rendre compte que ceux qui pillent les richesses du pays sont les ouvriers des chantiers. Non seulement il suspend leurs salaires mais leur demande de restituer les salaires qu’ils ont touché depuis 2008, les accusant d’exercer une double fonction. Comment voulez-vous qu’un ouvrier qui touche moins que le SMIC n’exerce pas une double fonction…alors que d’autres qui ont pillé le pays demeurent en liberté… et on parle encore de révolution », s’est-il indigné. 
Chiraz Kefi

 

Commentaires 

 
-1 #1 RE: Tunisie : "Pas de stabilité sans justice sociale" (Adnane Hajji)
Ecrit par volvert     21-11-2014 00:39
Il faut demander aux "frères" qui ont gouverné. Leur demander des comptes à propos de leur gestion, de leurs mensonges, eux qui ont le pays à genou économiquement et placé nombre de leurs fidèles dans les divers rouages de l'État.
Les mauvais choix économiques, l'absurdité d'une fiscalité digne d'un paradis fiscal pour les riches et les "investisseurs", dure et injuste avec ceux qui n'ont que leur travail comme ressources, illustre combien ces gens et leurs supporters sont une menace aux plan social, culturel,économique et pour la paix civile du pays.
Si les politiques économiques restent identiques à celles des années 80, pourquoi changer en gagnant le terrorisme en prime.
Nous avons raison de bouter ces gens dehors.
 
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