Tunisie : Moncef Marzouki appelle à dissoudre la police politique

Publié le Dimanche 06 Mars 2011 à 19:55
Moncef Marzouki entouré par Abdejalil Temimi et Béchir Ben Slema.Moncef Marzouki, président du congrès pour la République (CPR), a été samedi dernier l’invité de la fondation Temimi où il a animé une conférence intitulée : "Défendre et préserver les acquis de la révolution tunisienne : Quels mécanisme et stratégie adopter ?".
 
Moncef Marzouki est revenu au bercail le 18 janvier 2011, après de longues années d’exil. Médecin, militant des droits de l’homme, farouche opposant au régime de Ben Ali, l’homme se dit d’emblée interdit des médias, spécialement de la télévision tunisienne où il n’a jamais été invité depuis son retour, "c’est voulu, et c’est l’un des aspects de la contre-révolution", se résigne-t-il à déduire.

Cet intellectuel de grand talent, a su tenir en haleine un auditoire sélect, composé d’anciens hommes politiques, d’universitaires, d’avocats, et d’autres sympathisants venus l’écouter et l’interroger sur sa pensée et son programme politique.

Il a placé d’emblée la révolution dans son contexte géo-historique. Le président du CPR refuse d’admettre que la révolution tunisienne était la seule œuvre de la jeunesse. "La Tunisie est une succession de générations, toutes ont contribué à la révolution et il n’y a pas de mérite d’une génération par rapport à l’autre".
Moncef Marzouki qui se dit laïc, universaliste, arabe, unioniste mais non nationaliste, (car le nationalisme a été lié au despotisme), soutient l’idée d’une seule révolution arabe en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Libye… , "C’est une révolution contre les régimes despotiques, corrompus, personnifiés pour leur substituer des régimes démocratiques". La réussite de la révolution en Tunisie est tributaire de sa réussite dans les autres pays arabes, et inversement, estime-t-il.

Selon cet ancien exilé, la révolution a consacré trois principes fondamentaux : "le citoyen, le peuple et la nation".
Le citoyen : le régime despotique ne reconnaît que le leader unique, le citoyen n’existe pas. La fin de ce modèle de pensée arriéré a été opérée dans les cœurs et les esprits, avec le passage d’une posture de population à celle de citoyens.
Le peuple : les Tunisiens ont découvert qu’ils peuvent être un peuple et évincer un tyran.
La nation : l’idée de l’unité arabe a ressurgi, et cette nation existe bel et bien.

Mais, il y a bien des dangers qui guettent la révolution tunisienne, et risquent de la faire avorter. Pour Moncef Marzouki, le plus gros a été fait, l’arbre ne doit pas cacher la forêt, et c’est à partir d’une position de force et de victoire, qu’on doit évoquer les dangers et les problèmes.

La révolution profite à la bourgeoisie
Pour déterminer les dangers, le Président du CPR revient à ce qu’il qualifie d’histoire des peuples et des nations :
1-Toute révolution appelle une contre-révolution : les symboles de l’ancien régime ne s’évaporent pas dans la nature, ils essaient de défendre leurs intérêts dans les coulisses.
2- Ceux qui ont fait la révolution, n’en récoltent pas les fruits. C’est plutôt la bourgeoisie et la classe aisée qui en profitent, en conquérant  plus de droits politiques et socio-économiques.
3- La révolution n’atteint ses objectifs qu’après une longue période, à l’instar de la révolution française de 1789, la chute de la monarchie a débouché sur la dictature de Napoléon, et les buts de la révolution n’ont été réalisés qu’après 70 ou 80 ans.
4- Un prix fort qu’on paie à la révolution, c’est cette pléthore de partis, on parle de 30 à 40 en Tunisie. Là aussi, il faut revenir à l’histoire, à l’issue de la révolution japonaise, 400 partis politiques ont été créés, il n’en est resté a posteriori que deux grands partis.

"Il est tout à fait naturel que la révolution débouche sur l’anarchie et l’instabilité, à des revendications démesurées, …c’est une période qui risque d’être
longue et difficile et qu’on doit affronter avec calme et patience", indique-t-il. Le tout est d’œuvrer "à consacrer la démocratie, les libertés publiques et individuelles pour rompre définitivement avec ce qu’on a vécu". Il appelle à supprimer l’un des fiefs de la dictature, le symbole de la corruption et de la torture en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, il le considère comme "la Bastille tunisienne", suggère de le détruire, et d’aménager sur ses ruines une grande place avec un mémorial au milieu. Il appelle à s’attaquer aux groupuscules de la police politique, du RCD et des résidus de la mafia des Trabelsi.

"Cela exige un gouvernement fort, audacieux et curageux capable de faire face aux survivances de l’ancien régime, à mettre un terme à l’instabilité et à redonner confiance au peuple".  Il appelle à traduire les symboles de la torture en justice, à développer la démocratie participative à travers notamment les conseils de protection de la révolution qui doivent exister partout, ainsi que le conseil national pour la protection de la révolution devant rassembler les représentants des partis politiques, de la  société civile, etc. Les réformes doivent également toucher l’institution de la justice, "Il y a 100 juges qui doivent être traduits en justice et certains d’entre eux doivent terminer le restant de leur vie en prison".

"La société démocratique doit reposer sur deux voies parallèles : les institutions comme le gouvernement, le parlement et les instances de contrôle, car une seule voie n’est pas en mesure de préserver la révolution et prévenir les dérapages".
Si on veut préserver la révolution, il faut que cette période transitoire soit la plus courte possible, qu’on accélère la cadence des réformes politiques, et de l’élection d’une assemblée constituante qui doit se faire dans deux mois, souligne-t-il. 'Seul un gouvernement fort et légitime est à même de mener des réformes de longue haleine, car, nous sommes appelés à construire sur des ruines, particulièrement dans le domaine de l’enseignement, les réformes peuvent ne pas donner leurs fruits qu’après 30 ans".

"Je veux un Etat civil qui défend la femme avec ou sans foulard"
Moncef Marzouki trouve absurde le débat autour de l’article un de la constitution, selon lequel la langue de la Tunisie est l’arabe, et sa religion est l’islam.  Il appelle, néanmoins, à supprimer la mention selon laquelle "les libertés sont garanties…conformément aux lois en  vigueur", qui était une manière de réprimer les libertés.

Il dit ne pas avoir de préférence entre régime présidentiel et régime parlementaire, précisant qu’en Tunisie, on n’avait pas de régime présidentiel, mais un régime présidentialiste, dictatorial. Tout régime politique a des avantages et des inconvénients, il n’y a pas de recette toute faite, il faut s’inspirer des expériences des peuples. "Le régime présidentiel ne veut pas dire dictature, le régime parlementaire ne veut pas dire démocratie, moi je propose un régime mixte, qui rompt avec tout présidentialisme dictatorial".

Interrogé sur ses relations avec Ennahdha, Moncef Marzouki a dit qu’il a été accusé sur Facebook d’être à la fois islamiste et athée. "Les islamistes sont présents sur la scène politique, et font partie de l’action politique, du moment où ils sont pour la préservation des acquis, des droits de la femme, pour le modernisme. Je n’ai pas le même référent idéologique qu’Ennahdha, mais je suis avec tous ceux qui sont pour la démocratie, et contre ceux qui la rejettent".  IL refuse que quiconque parle au nom de la religion, il prône "un Etat civil, qui défend la femme avec ou sans foulard ; ceux qui ont la foi, et  ceux qui ne l’ont pas".

Markzouki affirme également qu’il refuse de céder à la facilité, voire à la dictature de Facebook. "Moi, je crois à la lecture, à l’écriture, et à la réflexion, et j’invite les jeunes à lire, et à réfléchir et à ne pas tomber dans la facilité".

Au sujet de sa déclaration de candidature aux présidentielles, qui a aurait été mal perçue par certains, le Président du CPR en a rappelé le contexte, "RTL m’a posé la question si j’étais candidat aux présidentielles, j’ai répondu que si les conditions étaient réunies, s’il y a une nouvelle constitution, une loi électorale qui permet à tous les hommes et femmes de participer aux élections sur le même pied d’égalité, je me porterai candidat, du moment où c’est un droit de chaque citoyen. C’était ça ma déclaration, que je maintiens dans son intégralité".

Moncef Marzouki propose de diviser la Tunisie en 7 à 8 régions administratives, et à développer le concept de démocratie locale, et réfléchit même, pour mettre fin au déséquilibre régional, à déplacer le centre de gravité de Tunis vers Kairouan, une proposition qui a suscité des réactions dans la salle, mais le Président du CPR a tenu à mettre du bémol, "je suis en train de réfléchir à haute voix". Un échange constructif et fructueux avec un homme dont la sincérité ne trompe pas. Un homme de réflexion, qui cherche à moraliser et intellectualiser la politique.  

Moncef Marzouki va partir à Doha pour réfléchir avec un groupe d’intellectuels dont Azmi B’chara à l’union arabe démocratique. Il pense d’ailleurs que la langue arabe est une langue de science, et  annonce qu’il est en train d’écrire un deuxième livre sur la médecine en langue arabe. S’il est aux commandes, il dit son intention de réhabiliter l’arabe en tant que première langue, l’anglais comme deuxième langue, et la troisième langue sera au choix entre l’Espagnol, le Portugais, le Chinois, le Français, etc. Et pourtant, ce candidat aux présidentielles, parfait bilingue, est détenteur d’un bac français, et sa femme est française… "Personne ne peut renchérir", assène-t-il.
H.J.


 

Commentaires 

 
#30 RE: Tunisie : Moncef Marzouki appelle à dissoudre la police politique
Ecrit par www.     10-03-2011 15:53
Faire de la langue française une troisième langue optionnelle au même titre que le chinois ou le portugais c'est nier une partie de notre Histoire et finalement isoler ceux dont la langue principale est le français et qui n'en sont pas moins Tunisien. Vous créez ainsi une hiérarchisation entre les tunisiens arabisants, les francophones et ceux qui ne maitrisent totalement aucunes des deux et dont la langue principale est le "Tunisien", un dialecte trop souvent dénigré (au profit de l'arabe qui, je le rappel, est déjà la première langue)et qui pourtant, est le seul à réellement refléter la pensée tunisienne. Aussi, durant la révolution le mot d'ordre ne fut ni arabe ni anglais mais belle et bien français et dans un même français tunisifié le peuple a dit "dégage". On aura jamais eu autant d'influence sur le monde arabe qu'en assumant pleinement nos spécificités!!
 
 
#29 pas d'accord
Ecrit par Mounir OUAKEL     09-03-2011 00:49
Kairouan capitale de la Tunisie, réhabilitation de l’arabe comme première langue en Tunisie, arabisation de la médecine, Doha pour travailler.
Mr Marzouki vous préparez une révolution arabe ?

En ce qui concerne la révolution des jeunes, vous dites « il n’y a pas de mérite d’une génération par rapport à l’autre »

Mr Marzouki, je vous respecte, mais vos propos ne répondent pas aux exigences de nos jeunes.

Que ça vous plaise ou pas :
1- Cette révolution est celle et unique œuvre de la jeunesse tunisienne, des centaines de jeunes ont sacrifié leur vie pour chasser les dictateurs.
2- La Tunisie n’est pas la Libye, n’est pas l’Egypte, ou je ne sais quoi
3- Je vous rappelle qu’aujourd’hui le peuple tunisien a des têtes pensantes dans tous les domaines et prêt à relever tous les défis.
4- Al-Jazira n’y est pour rien, c’est nos jeunes qui réalisaient eux-mêmes les reportages et les diffusaient sur l’internet.
5- Le travail se faite sur le terrain avec les tunisiens et non pas en France ou à Doha.
6- Au fond d’eux-mêmes, nos jeunes ne veulent plus de président.
7- Les demandes de nos jeunes sont très précises

Je vous demande de descendre sur terre et laisser les tunisiens aux tunisiens d’aujourd’hui. Et si d’autres peuples veulent s’inspirer ils n’ont qu’à suivre l’exemple.
 
 
#28 De la tolérance !
Ecrit par Aroussi     08-03-2011 13:05
Marzouki est quelqu'un de respectable. Il a osé critiquer Ben Ali et se porter candidat contre lui, ce qui lui a valu les affres du régime, voire l'exil. Il n'est pas bon de chercher par tous les moyens à vilipender ses adversaires ou à les diaboliser. En démocratie, nous devons nous accepter les uns les autres et être tolérants vis-à-vis de toute personne patriote, cherchant à faire prévaloir les intérêts de la nation sur ses intérêts personnels. Voltaire n'a-t-il pas dit ceci : " Je ne suis en rien d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que personne ne vous empêche de le dire".
 
 
#27 C'est fait!
Ecrit par Tunisien Libre     07-03-2011 21:23
Félicitation Dr Marzouki, la suppression de la police politique, c'est fait selon M. Rajhi!
Quant aux TV nationales, ne vous en faites pas, vous êtes trop intègre, trop incorruptible et trop intellectuel pour Hannibal, l'ex-Tv7 et Nessma!
Le Congrès Pour la République c'est du poids lourd avec ses trois héros : Moncef Marzouki, Me Mohamed Abbou et Me Abderaouf AYADI. Toutefois, j'appelle de mes voeux à la coalition des 2 médecins militants Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaafer dans un rassemblement de centre-gauche, du moins pour m'éviter le casse tête du choix entre vos deux partis!
 
 
#26 Bravo si Moncef!
Ecrit par ortho     07-03-2011 18:59
Il a demandé que Ghannouchi quitte le pouvoir: FAIT
Il a demandé une assemblée Constituante: FAIT
Il a demandé le démantèlement de la police politique: FAIT
Il a demandé à devenir le nouveau président de la République: EN COUR ;) :lol:

Bravo et encore mille bravo!
 
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