Tunisie, Maya Jribi dénonce "les prêches politiques" dans les mosquées

Publié le Jeudi 31 Mars 2011 à 16:00
Maya Jribi, SG du PDP."Aujourd’hui, la seule légitimité possible est la légitimité consensuelle pour pouvoir passer ce cap et parvenir à la légitimité par le scrutin", affirme Maya Jribi dans un entretien avec Gnet. La SG du PDP s’attèle à transformer sa formation, d’un parti de résistance à un parti de masse prêt à assumer des responsabilités nationales, et s’estime être déjà en campagne. Elle se dit favorable  au maintien de la date du 24 juillet pour le prochain scrutin. "Cette échéance électorale est un rendez-vous national et ne doit pas être tributaire des intérêts des uns et des autres". La patronne du PDP prédit une concurrence rude lors des élections, et considère le foisonnement des partis comme un bon signe. "La distinction se fera au niveau du double-langage ou du langage unique". Le PDP qui reconnaît à Ennahdha son droit d’exister, "dénonce vigoureusement que le mouvement islamique utilise les mosquées pour des prêches politiques", affirme sa SG qui s’engage pour que les mosquées restent en dehors de la compétition politique. Interview.

Vous êtes à la tête du PDP depuis le 24 décembre 2006, est-ce que vous pouvez nous parler brièvement de votre parcours politique ?
J’ai commencé mon parcours dans les années 80 dans le cadre de l’UGET, à l’époque interdit, et puis au sein de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), ainsi que dans le cadre de commissions chargées des études sur la condition féminine au club Tahar Haddad. Grosso modo, j’avais trois pistes d’intervention : la piste étudiante et militante, celle des droits humains et la piste des actions dédiées à la femme ou à caractère social. En 1983, nous avons fondé le RSP avec Nejib Chebbi et d’autres militants. En 1986, j’ai accédé au bureau politique, quelques années après, j’étais chargée des structures, poste qui m’a beaucoup rapprochée des militants, et qui m’a beaucoup aidée dans ma carrière politique. Je suis de nature, une femme de terrain, j’ai sillonné tout le pays dans des conditions de répression pour être à l’écoute des avis des uns et des autres. Cette phase était extrêmement importante pour accéder à l’autre phase, soit mon accession au secrétariat général du parti en décembre 2006.

Depuis sa fondation en 1983, le PDP, ancien RSP, a beaucoup évolué...

Notre parti a connu deux congrès importants, ceux de 2001 et de 2006. En 2001, le RSP a été rebaptisé PDP (parti démocrate progressiste), dont le fondement central était la démocratie. Ce congrès a marqué l’ouverture à toutes les écoles idéologiques, et nous avons passé d’un parti à  base idéologique à un parti programmatique. Le congrès de 2006 est également très important, car il a marqué l’alternance au sein du parti. Nous nous sommes dits que le PDP qui prônait l’alternance à l’échelle nationale, devait se l’appliquer à lui-même. L’idée de l’alternance a été acceptée avec réserves même au sein de notre parti. Certains militants pensaient que ce n’était pas le moment, vu la situation difficile qu’on traversait, de remplacer Nejib Chebbi, le charismatique, le rassembleur, et l’homme des missions difficiles. Et là, le PDP s’est clivé en deux : la tendance conduite par la ligne dure et radicale, qui sentait que le pays vivait déjà une période de fin de règne et que le parti devrait se préparer et concevoir sa politique en fonction de cela, et la deuxième tendance qui prônait l’apaisement pour pouvoir mettre en avant les questions de démocratie et des libertés. Il y avait une compétition entre les deux lignes. A ce moment là, moi-même qui défendais la première ligne, ai décidé de me présenter au Secrétariat général, je sentais que j’avais une mission en tant qu’élément fédérateur pour garantir la continuité du parti.

Comment a été accueillie votre candidature au secrétariat général, y’avait-il des réserves, ou plutôt une unanimité autour de votre personne ?
Il y avait certaines réserves exprimées au congrès au moment du vote ; certains pensaient que le moment était mal choisi pour l’alternance. Le clivage politique au sein du parti était très fort. Finalement, c’est la tendance que je défendais  qui a pris le dessus, et l’histoire nous donne maintenant raison. Depuis, le PDP était devenu un parti programmatique organisé autour des principes de démocratie et de transparence. Tous les points, et ce bien avant le 14 janvier, sont soumis à un débat transparent et approfondi, et sont tranchés par le vote. Au PDP, la direction est collégiale, c'est-à-dire qu’on prône la démocratie participative. Il n’y a pas de différence entre anciens et nouveaux militants. La différence se fait par la compétence, le mérite, le volontarisme et l’implication, ce qui fait qu’on est en  permanence à l’écoute, ce qui créé une écoute dynamique, la direction n’est pas fermée sur elle-même.

Lorsqu’il y a un désaccord quelconque au sein du PDP. Qui est-ce qui tranche, est-ce vous-même ou Nejib Chebbi ?

Nejib Chebbi est un leader reconnu, avéré et crédible. Il est respecté tant par ses amis que par ses adversaires, qui lui reconnaissent son apport à la vie politique. En cas de conflit quelconque, il peut jouer le rôle de référent informel, et non institutionnel. Sur le plan de la représentativité, la décision revient aux instances du parti.

Maintenant que le PDP a quitté le gouvernement, en la personne de Nejib Chebbi, pensez-vous être dans l’opposition ?
Je pense qu’être dans l’opposition face à un gouvernement de transition, chargé de l’expédition des affaires courantes, est du non-sens. Nous soutenons toutes les décisions que nous estimons positives, et qui conduisent à la mise en place d’une dynamique en vue de la construction d’une légitimité le 24 juillet, et nous nous opposons aux décisions négatives. Dès la nomination de Béji Caïd Essebsi, j’ai exprimé une position positive et j’ai dit que tous les Tunisiens, tous les partis politiques et les associations de la société civile doivent soutenir cette dynamique à même d’écourter au maximum cette période de transition.  

Maya Jribi lors de la révolution.Nejib Chebbi a annoncé récemment que le PDP a entamé une mission de modernisation en vue de se transformer en un parti prêt à gouverner. Vous en êtes où dans ce processus ?

A l’instar de la Tunisie qui est en train de vivre une mutation profonde, tous les partis d’opposition sérieuse et de résistance doivent opérer leur mue. Le PDP est un parti programmatique ; nous avons nos visions sur la Tunisie sur les plans social, économique, politique et culturel. Notre parti a participé à tous les rendez-vous électoraux, malgré la répression. Aux législatives de 2009, toutes nos listes ont été invalidées et nous avons fini par nous retirer des élections. Notre rôle était de dénoncer la dictature, d’attirer l’attention des Tunisiens sur la répression et de mobiliser les opinions éprises de liberté dans le monde entier. Maintenant, le parti est appelé à vivre une vraie mutation. Je me sens investie d’une mission importante, celle de transformer le PDP, d’un parti de résistance à un parti de masse concerné par les questions électorales, un parti prêt à assumer des responsabilités nationales et à apporter des réponses concrètes aux attentes de son peuple. Dès le lendemain du 14 janvier, nous avons commencé à recevoir des Tunisiens qui demandent à adhérer. C’est quelque chose de spectaculaire, cet élan des Tunisiens qui ont exprimé le désir de participer réellement à la vie politique à travers leur adhésion à des partis politiques ou à des associations. Le PDP est un parti militant, syndicaliste, celui de la classe moyenne, des jeunes et des femmes. Je suis fière de dire que depuis mon accession au secrétariat général, le PDP a drainé beaucoup plus de femmes et de jeunes qui répondaient à deux messages : le premier est celui du changement, destiné aux jeunes qui cherchent à prendre le flambeau et qui trouvent que l’alternance est possible. Et le deuxième, qui attirait les femmes, est celui de "Yes we can". Le PDP a commencé donc à rajeunir et à se féminiser bien avant le 14 janvier, grâce à cette souplesse et cette transparence. Après le 14 janvier, nous avons enregistré des demandes d’adhésion très fortes des femmes et des jeunes, de la classe moyenne, des syndicalistes. Il y a aussi la classe moyenne supérieure et le monde des affaires qui manifestent de l’intérêt pour le PDP.  Notre parti offre un cadre à tous les Tunisiens pour se rassembler et construire la Tunisie nouvelle, réellement démocratique et libre. Le PDP prône la justice sociale, l’équité, et la valorisation des  compétences, et œuvre à inscrire la Tunisie dans ce parcours réformiste entamé depuis Khereddine Pacha.

Mais, toutes ces valeurs, vous les avez en partage avec tous les autres partis. Tous se proclament de cet héritage. Qu’est ce qui vous distingue vous, en tant que PDP ?
Le PDP s’est inscrit dès le départ dans ce parcours, cette démarche n’est pas née après le 14 janvier. La distinction peut se faire au niveau du double-langage ou du langage unique. Je pense, que plus on avance vers le 24 Juillet, plus la distinction se fera sur les propositions concrètes que nous faisons.

Comment évaluez-vous la prestation du gouvernement transitoire ?

Je dois tout d’abord souligner que nous sommes dans une phase transitoire, à laquelle correspondent des concepts provisoires. La mission principale du gouvernement est de préparer le pays à appeler les Tunisiens aux urnes pour construire une légitimité. D’emblée, Monsieur Caïd Essebsi a réussi à envoyer des messages d’apaisement pour instaurer un climat de confiance et d’espoir. Je pense qu’il est appelé à activer le processus et à faire preuve de plus de rigueur pour une réelle rupture avec le passé. Il doit également faire montre de plus de transparence en vue de clarifier certaines questions qui demeurent entourées d’ambigüité, par exemple qui est derrière la défaillance sécuritaire ? Les snipers ? Le gouvernement a besoin d’envoyer des messages de plus en plus forts, et de rompre avec les symboles de répression. Mais, nous sommes conscients au PDP que cela doit se faire progressivement.

Comment réagissez-vous au limogeage surprise de Farhat Rajhi ?

Cela ne s’est pas fait dans la transparence. Peu importe les personnes, l’essentiel est que ce ministère extrêmement important, qui a un héritage très lourd derrière lui arrive à changer les rapports entre ses représentants et les citoyens et que ses mesures soient prises dans la transparence, le respect des libertés, et qu’il rompe petit à petit avec tous ceux qui ont contribué à la répression et à la corruption. Ce n’est pas normal que des militants des droits de l’homme continuent à ce jour à être poursuivis.

C’est votre cas ?
Non, mais je prends acte, et je souhaite, que si c’est réellement le cas, qu’on mette fin à ces pratiques, et j’espère que ça soit fait dans la transparence.

Le PDP fait partie de l'instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Pensez-vous qu’elle va parvenir réellement à surmonter ses points de discorde, et à se remettre  au travail ?
Elle doit dépasser ses différends, c’est un impératif. Cette instance est investie d’une mission historique. Aujourd’hui, nous sommes conscients au PDP, et tous les partis doivent l’être, que la seule légitimité possible est la légitimité consensuelle pour pouvoir passer ce cap et parvenir à la légitimité par le scrutin.

Avez-vous commencé votre campagne électorale ?
Depuis le discours du Président par intérim du 3 mars dernier, j’ai réuni les militants et leur ai dit que notre campagne électorale commence ce soir. Nous allons œuvrer à réussir la mutation du parti, à avoir plus de visibilité et une meilleure communication. Il y aura du nouveau en matière de communication du parti sur le net, de l’organisation des structures, des programmes ; des ateliers planchent actuellement sur l’élaboration de propositions concrètes par secteur. Nous allons opter pour la démarche de convention. Les travaux seront rendus publics et mis en ligne, dans une démarche participative et interactive. La commission santé va organiser un séminaire auquel prendront part les intervenants du secteur. Nous allons présenter notre programme santé et y apporter d’éventuelles modifications à la lumière des suggestions et critiques des uns et des autres. Cette même démarche sera adoptée pour les autres secteurs : l’éducation, le développement régional, etc. Cette manière de procéder est un appel aux compétences dont regorge la Tunisie.
Par ailleurs, le PDP tiendra son conseil national le 9 avril prochain, au palais des Congrès, à l’occasion de la fête des martyrs. Nous annoncerons le démarrage de notre campagne électorale à l’ouverture de ce conseil.

Etes-vous pour le maintien de la date du 24 juillet pour les élections de l’assemblée constituante ?
Personnellement, je suis pour le maintien de cette date. La reporter à chaque fois revient à renvoyer le scrutin aux calendes grecques. Cette échéance électorale est un rendez-vous national et ne doit pas être tributaire des intérêts des uns et des autres. Le report des élections aura des conséquences négatives non seulement sur le plan politique, mais aussi économique ; ça va altérer la confiance des investisseurs en notre pays, et empêcher la reprise économique.

La  date du 24 juillet est donc jouable ?

Elle doit-être jouable. Cette date doit être la priorité de tout le monde, les partis politiques, les médias qui doivent jouer leur rôle de sensibilisation, de conscientisation, et de clarification sans tomber dans la démagogie et les dérapages. Le tissu associatif doit jouer son rôle de relais afin de sensibiliser les citoyens et vulgariser les concepts politiques.

La Tunisie compte actuellement 50 partis politiques. Comment réagissez-vous à cette pléthore de partis ?

Nous traversons une situation postrévolutionnaire. Cela ne doit pas nous faire peur, c’est un signe de bonne santé. Ce foisonnement de partis traduit cet élan participatif des Tunisiens, tous veulent contribuer à la construction de la Tunisie. Même si cela donne un sentiment d’effritement, je pense que c’est un passage obligé, une effervescence postrévolutionnaire. Si tous les partis jouent leur rôle dans le respect mutuel, je pense qu’on va pouvoir passer cette phase avec succès.

Pensez-vous faire des alliances en prévision des prochaines élections ?

Théoriquement, une phase électorale peut stipuler une démarche de coalition. Mais, il y a un appel citoyen à la spécificité ; les citoyens ont envie de découvrir les partis un à un. Nous devons respecter cette demande, présenter nos programmes, apporter des réponses aux questions cruciales. Nous serons dans une phase de rude compétition, et c’est tant mieux pour notre pays. J’ai confiance en notre peuple, à nous partis politiques d’être à la hauteur de ses attentes et aspirations. Ce faisant, après le 24 juillet, une coalition programmatique au sein de l’assemblée constituante demeure envisageable.

Quelle est votre position envers Ennahdha, d’autant plus que le PDP a rallié des militants islamiques depuis sa mue de 2001 ?

Le PDP a toujours défendu le droit d’Ennahdha d’exister, et il en a payé le prix fort. Nous pensons que la Tunisie est appelée à s’ouvrir à tous ses enfants. Je pense que l’islam politique modéré a toute sa place en Tunisie, et c’est là notre position de principe. Depuis le 14 janvier, nous sommes, néanmoins, en compétition l’un par rapport à l’autre. Nous n’avons pas été sur les mêmes positions d’Ennahdha sur de nombreux sujets. Par ailleurs, nous lui reprochons cet amalgame et cette interférence de la politique dans les mosquées, alors que nous avons signé un document historique dans le cadre de l’alliance du 18 octobre, qui stipule une séparation entre Etat et religion dans la société démocratique à laquelle on aspire. Nous dénonçons clairement et vigoureusement l’utilisation des mosquées par Ennahdha pour des prêches politiques. Le PDP œuvrera pour que les mosquées soient en dehors de la compétition politique. Nous sommes tous des musulmans, et nous nous adressons à un peuple musulman qui fera son choix selon un programme politique et un projet de société.

Quelle est votre ambition immédiate ?

Mon ambition est que la Tunisie réussisse sa transition. Je souhaite voir une participation massive à l’échéance électorale, en vue d’une constituante qui traduit la pluralité, et qui porte les attentes des Tunisiens, et d’une constitution qui garantit les libertés sur tous les plans et la séparation des pouvoirs, afin que la Tunisie soit inscrite résolument dans son processus réformiste.

Propos recueillis par H.J.
 

Commentaires 

 
#51 RE: Tunisie, Maya Jribi dénonce "les prêches politiques" dans les mosquées
Ecrit par el manchou     04-04-2011 17:10
mayya jribi dégage, nous les islamistes avons utilisé le PDp pour exister un peu mais maintenant on n'en a plus besoin alors Mayya dégaaaaaaaaaaaaaage
 
 
#50 commentaire
Ecrit par souhaieb     04-04-2011 15:27
Je me demande s'il savent que les mosqués sont faits juste pour la prière et pas pour les jeux politiques
 
 
#49 commentaire
Ecrit par souhaieb     04-04-2011 15:18
I think that the real threat is from who use the religion to influence people to control them and guide them for their business
 
 
#48 RE: Tunisie, Maya Jribi dénonce "les prêches politiques" dans les mosquées
Ecrit par imed     03-04-2011 21:31
Et bien sur bientot les "prêches politiques" dans les bars et les cafés
 
 
#47 @tunisien libre
Ecrit par Adame2000     03-04-2011 14:28
Tunisien libre ? J’espère que tu le resteras pour longtemps
La masse modérée qui représente une majorité de la population tunisienne
Présente le champ d’action des extrémistes vu que cette masse a généralement peur de s’opposer à leur actions et idées (peur d’être traité d’ennemi de l’islam ou de non croyant)
Et le basculement et très facile
Religion et politique EN TUNISIE c’est mettre le feu à coté des explosifs.
 
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