Tunisie : L’Etat, une proie faible face à de multiples prédateurs

Publié le Mardi 18 Décembre 2018 à 16:30
Le constat est amer mais on ne peut plus véridique. Huit ans après la révolution, l’édifice postrévolutionnaire tunisien n’est pas en train de se consolider et de se raffermir, mais à l’inverse de se fragiliser. La situation est tellement embrouillée et complexe, que l’on ne sait pas par quel miracle, cette pelote va-t-elle être démêlée. A fortiori, que le les liens entre les différents protagonistes de la scène, dont serait tributaire le sauvetage du pays, ne cessent de se distendre. Chacun défend ses intérêts, cherche à se positionner, et à étendre son emprise, l’enjeu est tout naturellement, les prochaines échéances électorales, qui s’annoncent, plus conflictuelles et plus rudes que les précédentes. 

Que de voix se sont enrouées à chanter les louanges de l’unité, celle-ci est néanmoins restée un vain mot. Le paysage est plutôt à l’effritement à tout va. La désunion touche même le sommet de l’Etat, avec les deux têtes de l’exécutif, qui, chacun, va de son côté, fait ses propres calculs, et prépare ses plans A et B en prévision du passage par le verdict des urnes.

 La dislocation touche-t-elle aussi le paysage parlementaire, au point que des projets de loi décisifs, ne parviennent pas à passer, faute de quorum et de majorité. L’Assemblée tunisienne est parmi les plus atypiques dans le monde, dans la mesure où elle ne compte pas une majorité nette, et une opposition comme il est d’usage, mais des majorités relatives, et des minorités incarnant plusieurs oppositions. Une configuration qui est la résultante du régime politique dit mixte, principale source de cette instabilité cacophonique.

La démocratie et ses deux effets pervers
De là à relativiser la réussite politique, notre seul refuge pour se réconforter, il n’y a qu’un pas que l’on n’hésite pas à franchir. 

Les avancées réalisées dans le champ politique, démocratique, des droits et libertés n’ont eu que peu de prise sur le changement vers le mieux des réalités du pays, et sur le cheminement vers cette deuxième république, et son corollaire, l’Etat démocratique et social, désormais un slogan que tous les acteurs de la scène cherchent à s’approprier.

La démocratie naissante a eu deux effets pervers, le premier est l’affaiblissement de l'Etat et de ses institutions, et le deuxième est la montée des égoïsmes, du chacun pour soi, et l'éloignement de plus en plus prononcé de cet idéal collectif, qui est celui de construire un projet national démocratique dont l’aboutissement est le développement, le progrès et la prospérité.

Quoi qu’en on dise, le pays n’entreverra pas le bout de tunnel, dans cet état de déliquescence avancé, marqué par l’absence d’un Etat fort, déterminé et crédible. Une condition qui sera difficilement réalisable en cette année électorale, où l’Etat risque de s’affaiblir davantage, face à tant de schismes, et d’attaques de toutes parts, qui en disperseront les efforts pour se consacrer aux défis socioéconomiques, à la lutte contre la contrebande, la corruption, le terrorisme, etc.

Une telle faiblesse augmente l’incertitude et transforme l’Etat en proie sans défenses, face à de multiples prédateurs. Une  prédation qui va s’accentuer, au fur et à mesure que l’on se rapproche des législatives et de la présidentielle censées avoir lieu en décembre 2019. 

La nature a horreur du vide ; les partis politiques, même si certains commencent à dévoiler leurs intentions, ne pourraient le combler en prévision des scrutins à venir, ne serait-ce qu’aux yeux de l’UGTT. Les prochaines échéances électorales ne laissent pas, en effet,  indifférente l’organisation syndicale qui dit s’y intéresser au premier chef.

Noureddine Taboubi l’a affirmé hier ouvertement, dans un meeting à Sidi Bouzid. Face au syndrome de dé-légitimité qui frappe pêle-mêle les politiques, l’influente organisation syndicale qui bombe le torse d’avoir pu tant mobiliser lors de la grève du 22 novembre dernier, est en train d’asseoir une certaine légitimité révolutionnaire, quitte à altérer une histoire toute récente.

La centrale syndicale a rendu hommage hier à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, aux membres de son ancien bureau exécutif, en place pendant la période du 17 décembre 2010-14 janvier 2011, « pour avoir usé de toute leur force pour appuyer la révolution, sic ». Or, sans vouloir  remuer le couteau dans la plaie, l’on se souvient tous que le leadership syndical était totalement démissionnaire à l’époque, ce sont les bases syndicales et les avocats qui ont soutenu et suivi le soulèvement populaire conduit par des jeunes qui n’étaient ni syndiqués, ni politisés.
H.J.