Tunisie : Les raisons de la mise en garde d’Ennahdha à Youssef Chahed

Publié le Mardi 19 Février 2019 à 14:30
Ennahdha souffle le chaud et le froid. Jusque-là défenseur invétéré du maintien de Youssef Chahed à la tête du gouvernement, et de la stabilité gouvernementale, le mouvement tourne casaque, et n’exclut plus désormais le départ de l’actuel gouvernement, pour céder la place à un cabinet de technocrates, qui sera chargé d’acheminer le pays vers les prochaines élections.

Surprenante pour les uns, attendue pour les autres, la déclaration dominicale de Rached Ghannouchi, a suscité une salve de réactions, et aurait, sans doute, déstabilisé, sinon secoué le locataire de la Kasbah et ses alliés, alors qu’ils sont à pied d’œuvre pour parachever la mise en place du nouveau parti, Tahya Tounes, que d’aucuns considèrent comme une réplique de Nidaa Tounes, avec les Caïd Essebsi en moins.

En déplacement dimanche à Monastir, à l’occasion des congrès de renouvellement interne, Ghannouchi n’a pas exclu l’hypothèse du changement du gouvernement avant les élections. Le président d’Ennahdha a fait état de "concertations" au sujet du maintien du gouvernement de Youssef Chahed jusqu’à la tenue des élections de fin 2019, ou son remplacement par un gouvernement de technocrates, avant cette échéance.

Ce revirement n’est pas né ex-nihilo, et est fondamentalement lié au projet politique du chef du gouvernement, avec lequel, il compte mener la course électorale à venir.

Le début de la fin de la lune de miel entre Chahed et le mouvement islamiste a, en effet, commencé le dimanche 27 janvier avec l’annonce à Monastir, de l'avènement de Tahya Tounes, qui revendique son appartenance à la mouvance bourguibiste, moderniste et réformatrice, et se présente comme un contre-projet de celui d’Ennahdha. Les déclarations hostiles des figures de proue du nouveau parti auraient agacé les nahdhaouis, qui n’ont pas manqué de le faire savoir à qui de droit.

Rached Ghannouchi aurait touché un mot à Youssef Chahed, avant la tenue de la dernière réunion de Majless al-Choura ; tout avait l’air de rentrer dans l’ordre, jusqu’à ce que Slim Azzabi fait un déplacement à Paris, pour y présider une réunion de Vive la Tunisie, pendant la visite officielle de Youssef Chahed en France, où il a fait l’objet de tous les honneurs et a mené des recontres au sommet de l’Etat français avec le président de l’Assemblée nationale, le président du conseil constitutionnel, le Premier ministre, et le président Emmanuel Macron.

De nombreux partis ont crié à l’instrumentalisation par Youssef Chahed des moyens de l’Etat à des fins partisanes et électoralistes, et ont réclamé le remplacement du gouvernement avant les prochaines échéances électorales. C’est dans ce contexte de montée de critiques envers ce qui semble être une imbrication Etat/ Parti, qu’Ennahdha a commencé à prendre ses distances envers Youssef Chahed jusqu’à envisager de le lâcher au parlement, ce serait dans l'hypothèse où le président de la république active l’article 99 de la Constitution.

Revenant ce mardi 19 février sur ce point, au lendemain de la tenue la veille de la réunion de son bureau exécutif, Ennahdha pondère sa position, et affirme sa "conviction quant à l’importance de la stabilité gouvernementale, comme moyen pour préparer le pays aux élections, pour les résultats positifs économiques, sociaux, et sécuritaires réalisés dans de nombreux secteurs". Dans un communiqué paru en fin de matinée, le mouvement met les accords sociaux conclus entre le gouvernement et l’UGTT, les réussites sécuritaires dans la guerre contre le terrorisme, et la baisse de la contrebande et du crime, à l’actif de cette stabilité. 

Le mouvement réitère néanmoins son refus absolu de toute instrumentalisation partisane des institutions de l’Etat et ses ressources, par quelque partie que ce soit, considérant un tel état de fait, comme "une menace à la stabilité, au rétablissement de la confiance et à toute démarche consensuelle."

C’est donc une mise en garde lancée à Youssef Chahed, afin qu’il ne se laisse pas aller à ses ambitions électorales, et qu’il sépare ses responsabilités en tant que co-chef de l’exécutif, de sa fonction en tant que leader d’un parti politique, encore en phase constitutive.

Une tâche qui ne sera pas facile, d’autant plus que le chef du gouvernement sera observé à la loupe dans ses faits et gestes, le moindre faux pas risque de lui coûter cher. Le tout est de trouver le juste équilibre entre garantir une compétition loyale en prévision des prochaines élections, et préserver l’intérêt de la Tunisie, en lui assurant un minimum de stabilité dont elle a vitalement besoin pour tenter de sortir de l’ornière. 
H.J.