Les pressions sur le dinar auraient pu avoir des conséquences désastreuses (Ayari)

Publié le Vendredi 05 Mai 2017 à 15:27
Chedly AyariLe gouverneur de la banque centrale, Chedly Ayari, a déclaré ce vendredi 05 Mai que les pressions sur la valeur du dinar et le mouvement de panique qui s’est emparé du marché des Changes auraient pu avoir des conséquences désastreuses pour l’économie tunisienne, appelant à encourager la production nationale en favorisant la consommation des produits "made in Tunisia", pour préserver la valeur du Dinar.

Dans une allocution prononcée lors du séminaire de clôture du projet de jumelage entre la BCT et la banque de France, ce vendredi à l’hôtel Sheraton, Chedly Ayari a évoqué l’évolution de la politique monétaire, tout au long de cette période transitoire. Nous publions en ce qui suit de larges extraits de ce discours dont Gnet a reçu une copie.

"La période de transition par laquelle passe notre pays a fait que la Banque centrale use de tous les instruments et outils à sa disposition pour faire face à plusieurs défis qu’elle a rencontrés depuis janvier 2011.

Il fallait, dans une première étape faire éviter au pays une crise de liquidité avec toutes les conséquences désastreuses qu’elle aurait pu avoir sur les systèmes de paiements, la solidité financière et la pérennité de l’appareil productif. La première réaction qu’a eue la Banque centra le a été de favoriser les conditions adéquates de financement de l’économie, en usant de toutes les mesures conventionnelles et non conventionnelles de la politique monétaire dont elle disposait.

Au rang des mesures conventionnelles, on peut citer la baisse à 3 reprises des taux de la réserve obligataire au cours de la première moitié de 2011 ainsi que les deux baisses du taux directeur.

Au regard  des mesures non conventionnelles, on peut en citer le rallongement des maturités des appels d’offres à 1 et 3 mois, et l’allocation intégrale qui consiste à accommoder la totalité des besoins des banques, le tout pour faire face aux problèmes de liquidité.

Mais avec la résurgence  des tensions inflationnistes, à partir de 2012, la Banque Centrale a commencé à durcir sa politique monétaire, étant soucieuse de son objectif prioritaire de stabilité des prix. Graduellement, elle a mis finaux mesures non conventionnelles, et a réhabilité le calibrage de la liquidité sur la base d’une allocation qui neutralise les effets des facteurs autonomes de la liquidité ; puis elle a procédé au relèvement de son taux directeur à trois reprises entre août 2012 et juin 2014, chose qui n’était pas usuelle, par le passé.

De plus, et avec l’accroissement continu de l’enveloppe de refinancement accordée par la Banque centrale aux banques, le souci de se prémunir contre le risque de défaut est devenu un impératif. C’est ainsi que l’Institut d’émission, tout en continuant à fournir les liquidités nécessaires aux banques, est devenu plus regardant à propos du risque encouru, et de ce fait, il a, d’une part, institué une décote sur les créances privées acceptées en contrepartie des opérations de refinancement, et d’autre part, exigé des banques d’apporter une quotité minimale de collatéraux sous forme de bons du Trésor pour garantir le refinancement obtenu. Bien sûr, le taux de la décote et la quotité minimale ont évolué au gré du risque encouru.

Par la suite, et avec la détente des prix internationaux des produits de base, de l’énergie et par conséquent de l’inflation, en 2015 et 2016, la BCT a de nouveau  desserré sa politique monétaire en baissant son taux directeur de 50 points de base en octobre 2015. Cette décision prise dans un contexte d’une inflation portée sur une trajectoire baissière, jusqu’à fin 2016, avait pour objectif de soutenir l’activité, fortement affectée par les effets des attentats terroristes perpétrés en 2015.

Néanmoins, les premiers mois de 2017 ont été de nouveau marqués par la résurgence des tensions inflationnistes et ont surtout affiché une détérioration inquiétante des déficits commercial et courant. Cela s’est traduit par l’amplification du déséquilibre entre l’offre et la demande de devises sur le marché des changes, et naturellement par des pressions supplémentaires sur le taux de change du dinar, en dépit de la présence permanente de la Banque centrale sur ce marché pour réguler la liquidité en devises.

Il faut dire que les forces qui tirent vers le bas la valeur de la monnaie nationale se sont autoalimentées, dans le sillage de la multiplication des déclarations de toutes parts, exacerbant les anticipations à la baisse de la valeur de la monnaie nationale et accentuant les pressions sur la valeur future du Dinar. Cela n’a pas manqué de semer le doute chez l’ensemble des acteurs, y compris les banques auxquelles il a été confié la mission d’assurer le rôle de teneurs de marché. Du coup, un mouvement de panique s’est emparé de la place, et dont les conséquences auraient pu être désastreuses pour l’économie tunisienne, n’eut été la volonté affirmée des autorités monétaires pour gérer calmement cette mini crise de change.

D’ailleurs, les décisions prises par le Conseil d’Administration de la Banque Centrale de Tunisie lors de sa réunion du 25 avril 2017, s’inscrivent parfaitement dans cette logique comme l’a clairement explicité le communiqué de presse publié à l’issue de cette réunion".    

Ayari a  appelé "l’ensemble de la communauté financière ainsi que tous les agents économiques à faire preuve de sagesse et de retenue, en cette phase difficile que nous traversons, ne serait-ce que pour défendre la valeur du dinar. Pour ce faire, il y a lieu de réhabiliter la valeur du travail, de miser sur une meilleure productivité et d’encourager la production nationale en favorisant la consommation de produits « made in Tunisia ». Par cet élan patriotique, nous arriverons à produire plus, exporter plus, rétablir l’équilibre de nos comptes extérieurs et mettre fin à la spéculation sur la monnaie nationale.

Principales réformes de la BCT et du système bancaire
Le gouverneur de la BCT a rappelé les principales réformes engagées au cours de cette période de transition, ayant concerné à la fois la Banque centrale et le système bancaire dans son ensemble. Comme vous le savez, nous avons commencé par la refonte des statuts de l’Institut d’émission. Nous avons cherché par-là à doter la Banque centrale d’un cadre législatif adapté aux meilleures pratiques internationales.

Ainsi, la loi 2016-35 portant sur l’organisation et le fonctionnement de la BCT est venue consacrer certains principes universels, tels que l’indépendance de la Banque centrale, la protection des organes de décision et du  personnel de la Banque centrale contre le risque d’ingérence des autorités publiques dans les questions relevant du domaine de compétence de l’Institut d’émission, ou encore la répartition claire des rôles entre le Gouvernement et l’Institut d’émission dans la conduite des affaires économiques du pays.

De plus, nous pensons que les statuts actuels de la Banque centrale sont plus équilibrés dans leur structure et plus clairs en ce qui concerne les missions prioritaires qui sont dévolues à cette institution. Ces nouveaux statuts ont également clarifié de manière plus précise le rôle que la Banque centrale doit jouer en matière de stabilité financière.

En vue d’assurer une meilleure efficacité de la conduite de la politique monétaire, les nouveaux statuts ont, en outre, consacré le rôle de la Banque centrale en tant que prêteur de dernier ressort, mécanisme qui va lui permettre de réserver un traitement spécifique pour toute banque solvable affrontant un problème de liquidité,et qui n’arrive pas à y faire face compte tenu des difficultés qu’elle peut rencontrer sur le marché interbancaire, ce qui permettrait d’éviter tout risque systémique pouvant altérer la stabilité financière de l’ensemble de la place.

Le mécanisme de prêteur de dernier ressort n’est qu’une composante essentielle du « filet de sécurité » dont les deux autres éléments, à savoir le mécanisme de résolution bancaire et le fonds de garantie des déposants, sont consacrés dans la nouvelle Loi bancaire. D’ailleurs, la refonte de la loi bancaire, a été engagée dans un souci de l’adapter aux meilleures pratiques internationales en lui conférant  plus de clarté, plus de transparence et surtout plus d’exhaustivité. Outre le fait qu’elle ait renforcé les principes de bonne gouvernance, la nouvelle
Loi bancaire a consolidé le pouvoir de la Banque centrale en matière de surveillance prudentielle et a instauré un cadre réglementaire régissant les banques et les établissements financiers qui pratiquent la Finance Islamique.

La philosophie qui sous-tend cette réforme est qu’un système bancaire solide est le meilleur garant d’une bonne transmission des impulsions de la politique monétaire au secteur réel, considérant le rôle qu’il joue dans les canaux de transmission, et notamment, le canal du taux d’intérêt, le canal du crédit et le canal des anticipations".

Ayari estime que "la Tunisie dispose aujourd’hui d’un cadre moderne pour la conduite de la politique monétaire qui repose sur une batterie d’indicateurs (ce qu’on appelle communément boite à outils ou toolbox) développée, entre 2011 et 2013, lors du premier jumelage institutionnel avec la Banque de France.

Grâce aux modèles de la Banque centrale développés « In-house », nous sommes à même de suivre et d’anticiper sur l’évolution de l’inflation, et d’agir suffisamment à l’avance, non seulement pour endiguer les pressions inflationnistes, mais surtout pour assurer un meilleur ancrage des anticipations.

De plus, la modernisation du cadre opérationnel de conduite de la politique monétaire, grâce au projet de jumelage dont nous célébrons la clôture aujourd’hui, ne fera que conforter les avancées en la matière, afin de rendre la politique monétaire plus transparente, plus efficace et plus compréhensible.

Grâce à une politique monétaire proactive, nous cherchons également à gagner en crédibilité. Nous comptons dans le même ordre d’idées améliorer davantage notre  politique de communication, pour rendre compte au public des motifs ayant présidé aux  actions de la Banque centrale".

Il a par ailleurs évoqué les défis futurs qui nous attendent, et auxquels il va falloir s’y attaquer suffisamment à l’avance, tant du côté de la Banque centrale que celui des banques, des établissements financiers et de l’ensemble de la communauté financière.

"Les mutations profondes par lesquelles passent les marchés financiers internationaux et leur éventuel impact sur notre marché domestique, conjuguées à la plus grande volatilité des taux de change et des taux d’intérêt sur le plan national, exigent l’engagement de toutes les parties prenantes pour mener de grandes réformes à leur niveau,afin d’améliorer leurs systèmes d’information et de gestion des risques de marchés.

Il est aujourd’hui inadmissible que les portefeuilles obligataires soient encore valorisés aux prix historiques, que les transactions interbancaires sur le marché monétaires soient limitées à des transactions au jour le jour et que les taux d’intérêt y afférents soient arrêtés par consensus en fin de journée, ou encore que la plupart des crédits et des dépôts soient indexés sur le TMM.

Ces pratiques sont une source majeure de distorsions et  risquent tôt ou tard d’avoir des implications sur la stabilité financière de l’ensemble de la place. La Banque centrale ne ménagera aucun effort pour mettre fin à ces pratiques et  pour orienter l’ensemble de la place vers les meilleures pratiques internationales".

D'après BCT