Le fonds de réhabilitation bientôt créé pour les victimes de la dictature

Publié le Lundi 14 Mars 2016 à 17:03
Vue de la conférence de presse de l'IVD.
Environ trente-six Tunisiens ont été victimes de disparition forcée, a révélé aujourd’hui l’Instance Vérité et Dignité, lors d’une conférence de presse. Ce nombre ressort des dossiers de plaintes, déposées par les familles, auprès de l’Instance, a indiqué Oula Ben Nejma, membre de l’IVD.

Le ministère chargé des Relations avec les institutions constitutionnelles, de la société civile et des Droits de l'homme, a appelé l’IVD le 15 octobre 2015, à prendre part à une commission chargée de répondre au rapport élaboré par l’Etat tunisien avec le Haut Commissariat des Droits de l’Homme. L’IVD a ensuite adressé aux autorités son rapport au sujet des disparitions forcées, d’après les dossiers qu’elle a reçus. « Ce rapport n’a été adressé à aucune autre partie, sauf aux autorités », a déclaré Ben Nejma. 
 
La commission a interrogé l’IVD sur l’avancement de ses travaux, et sur les obstacles rencontrés. « Nous avons présenté nos réponses, les 7 et 8 mars. Après la fin de la séance, le ministre a demandé une réunion expresse et nous a posé des questions au sujet des disparitions forcées, ce à quoi nous avons répondu», a-t-elle expliqué.

Elle a relevé qu’aucune loi n’est réservée à la disparition forcée, et que le seul article qui incrimine cette pratique est l’article numéro 8 de la loi 53, de l’année 2013 portant sur la justice transitionnelle. Il existe trois catégories de dossiers de disparition forcée, ceux des personnes jamais retrouvées, d’autres personnes ayant disparu et ensuite relâchées, et ayant elles-mêmes déposé plainte, et il existe une affaire de disparition collective, selon Ben Nejma. 
 
La présidente de l’IVD, Sihem Ben Sedrine a évoqué le cas de Kamel Matmati disparu dans les années 1990 : « C’est un cas d’école, qui répondra à plusieurs de nos interrogations. Une commission onusienne a pris en main cette affaire. Elle nous a interrogés à travers le premier ministère. Après enquête judiciaire, il s’est avéré que cet homme a été enlevé, torturé et tué par les autoriés. En 1996, les parties qui l’ont tué, lui ont fait un procès et ont interrogé toute sa famille l’accusant de savoir où il se cacherait ! » a-t-elle relaté, ajoutant que l’affaire a été tirée au clair et que les résultats seront bientôt révélés. 

Trente personnes entendues chaque jour
 L’IVD est en train de s’agrandir d’après Ben Nejma et vise l’ouverture de 50 bureaux d’écoute sur le plan central, de 20 bureaux sur le plan régional, 6 bureaux mobiles, et huit équipes qui se déplacent auprès des citoyens. L’Instance vérité et Dignité  a reçu jusqu’au 12 mars 2016, 27804 dossiers, et trente personnes sont entendues chaque jour. Gafsa est le gouvernorat qui compte le plus de dossiers présentés à l’IVD (3954), talonné par Kasserine (3836), vient ensuite Tunis avec 3466 dossiers. De Tataouine, 142 dossiers ont été déposés auprès de l’IVD. 
 
Le bureau de Tunis, est celui qui a reçu le plus de dossiers, loin devant ceux de Sfax, Sid Bouzid, Kasserine et Gafsa, avec 20 965 dossiers soumis.  Seulement 34 dossiers ont été reçus par internet. Sur l’ensemble des plaintes, les femmes représentent 18% des victimes, soit 4878 femmes.
 
La plupart des femmes victimes d’exactions sont originaires de Kasserine d’après les statistiques de l’Instance Vérité et Dignité. Elles sont 1250 femmes à s’être plaintes auprès de l’IVD, suivies par des femmes de Tunis, (591), Gafsa (588) et Sfax (492). 
 
Les dossiers d’arbitrage et de conciliation sont au nombre de 2396, présentés à hauteur de 99.87% par les victimes. 56% de ces dossiers concernent des affaires de Droits de l’Homme, et 44% des affaires de corruption.  Dans 11%  de ces affaires, la partie prenante est une femme, et 89% sont des hommes. L’IVD planche actuellement sur 228 de ces affaires  avec 15 dossiers qui ont abouti mais dont l’arbitrage a été refusé.
 
Les auditions effectuées sont au nombre de 3146, dont 11% ont été accordées à des femmes et 89% à des hommes. Parmi ces auditions, 526 revêtent un caractère urgent. Suite aux auditions, l’IVD a reçu 500 demandes supplémentaires d’arbitrage et conciliation.  L’Instance fixe la fin de 2016, comme date butoir d’audition, pour enquêter au sujet de tous les dossiers, et ce avant la fin de 2017. 

Campagne de sensibilisation du 25 avril au 3 avril
Adel Maïzi, membre de l’IVD, a déclaré que l’Instance lancera dans les jours à venir une nouvelle campagne de sensibilisation, à travers sa participation à la foire internationale du livre.

La loi régissant la justice transitionnelle indique que l’IVD est habilitée à recevoir les dossiers des victimes dans un délai d’une année à compter de sa date de création.  Il est possible de prolonger cette période de 6 mois.  La première période ayant pris fin le 15 décembre 2015, l’Instance a pris la décision de prolonger, comme le lui autorise la loi. « Six mois définitifs, après quoi aucun dossier n’est recevable par l’instance. Ce pourquoi nous entamons cette campagne du 25 avril au 3 avril », a expliqué Maïza. L’IVD occupera une aile de la foire, dans laquelle elle exposera ses publications et réalisations, et où elle organisera des rencontres, des séances de dédicaces de livres sur les exactions, et surtout un bureau auprès duquel les victimes des exactions de la période allant de 1955 jusqu’à 2013, peuvent déposer leurs dossiers.
 
 « La procédure est très simple, la victime doit être munie d’une copie de sa pièce d’identité et dire ce qu’elle a subi comme mauvais traitement », a expliqué Maïza. Dès que les premières investigations confirment la véracité des allégations, la personne en question est reçue pour une séance d’écoute. 
 
Le fonds de la Dignité,  dédié à la réhabilitation des droits des victimes, et prévu par la loi de finance 2014, n’a toujours pas été créé, a rappelé Sihem Ben Sedrine.  «Nous sommes en train d’avancer sur la création de ce fonds. Et d’ici deux mois, nous espérons arriver à trouver une solution pour qu’il voit le jour », a-t-elle dit.
 
Chiraz Kefi