Tunisie : Le dialogue de l’UGTT parviendra-t-il à réconcilier les Tunisiens ?

Publié le Mercredi 15 Mai 2013 à 17:27
Le premier round du dialogue de l'UGTT le 16 octobre dernier. A la veille de la tenue du congrès national du dialogue sous la férule de l’UGTT, censé aboutir à un consensus national sur les questions en suspens pour le parachèvement de cette deuxième période transitoire constitutive ; une pomme de discorde demeure, celle des ligues de protection de la révolution. Alors que l’ensemble des partis ou presque exigent leur dissolution, Ennahdha oppose une fin de non-recevoir à toute dissolution politique des LPR, et estime que ce sujet relève des prérogatives de la justice. Un point litigieux qui hypothèque d’emblée les résultats du dialogue national.

Le deuxième round de ce jeudi 16 mai part pourtant sur de meilleures bases à l'inverse de celui qui l’a précédé du 16 octobre dernier, alors boycotté par deux partis de la troïka, Ennahdha et le CPR. Ces derniers ont déjà annoncé leur présence demain au Palais des Congrès à Tunis, aux côtés d’une cinquantaine de partis et de 30 associations et organisations. Ce conclave qui se déroule dans une ambiance d’incertitude généralisée, sur fond des événements du Mont Chaâmbi et de l’inquiétude qu’ils suscitent parmi la population, est tenu par une obligation de résultats. Tout d’abord, il doit envoyer des messages rassurants à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie, en tirant au clair le calendrier politique, soit l’échéance du parachèvement de la rédaction de la constitution, une date précise et définitive de la tenue des élections, et des résolutions sans équivoques sur l’ensemble des sujets y afférents. Chose dont est tributaire la relance d’une machine économique en rade, et la détente du climat social. Il doit aussi donner des signes d’apaisement pour rasséréner l’opinion publique dont le moral est au plus bas.

A priori, ce deuxième épisode de la rencontre initiée par la centrale syndicale a des atouts pour réussir. La classe politique après s’être longuement empêtrée dans les désaccords profonds notamment autour du régime politique, est parvenue à des consensus clefs à même de débloquer autant que faire se peut la situation.

Le dialogue inter partis de Dar Edhiaffa à Carthage  a accouché d’un ensemble d’accords sur le régime politique, le mode de scrutin, les chapitres inscrits à la constitution dont celui des droits et libertés, le droit syndical etc., ce qui est à même de faciliter, en partie, la tâche aux participants de la rencontre du 16 mai. Mais, là où les choses risquent de se coincer, c’est au chapitre de la violence.

Le dialogue réitèrera, sans doute, l’appel pour bannir la violence sous toutes ses formes et quelle qu’en soit l’origine. Là-dessus, tous les partis ont fait part de leur position ferme contre la violence, qui doit être l’apanage des appareils sécuritaires de l’Etat censés maintenir l’ordre. Les Ligues de protection de la révolution, dans leur version violente, n’ont pas normalement droit de cité, a fortiori que tous les efforts doivent se conjuguer pour préparer un climat politique sain et pacifique en prévision de la tenue des prochaines élections, que l’on veut démocratiques, crédibles et transparentes.

Sauf que là-dessus les choses sont loin d’être tranchées. Il est quasiment exclu qu’Ennahdha qui a réitéré ce mercredi, par la voix de son président, Rached Ghannouchi, son refus d’une dissolution des LPR par décision politique, s’aligne sur la position dominante favorable à la disparition de ces ligues de la scène publique, celles qui sont tenues pour responsables "d’actes de violence avérés", comme ne cesse-t-on de l'affirmer dans le rang de l'opposition, de l'UGTT et autres.

S’il y a échec ou entrave de ce congrès de dialogue, la cause majeure en sera le sort à réserver aux LPR, drapées de controverse et d’ambiguïté. D’autant plus que l’on a pas connaissance que des entités analogues existent dans les pays démocratiques, ou dans ceux qui empruntent le chemin de la démocratie.

Les événements du Mont Chaâmbi devraient être, de toute évidence, à l’ordre du jour de ce dialogue.  Là aussi, les partis politiques ont affiché, dans leur majorité, une position ferme envers ces événements, qualifiés "d’actes criminels et terroristes". L’opposition en fait assumer la responsabilité au gouvernement dirigé par Ennahdha, du fait de sa "permissivité" envers les tenants d’un "Islam fanatique", ayant enfanté le phénomène de violence. Chose à laquelle le gouvernement répond par un discours ferme contre le terrorisme, relayé par Ennahdha qui réaffirme son rejet de la violence et appelle les jeunes salafistes à retrouver le droit chemin, celui de "l’Islam modéré et tolérant".

Les courants salafistes eux balaient ces accusations d’un revers de main, se défendent de toute propension à  la violence, inscrivant leur action dans la prédication pacifique, et accusant "les services de renseignements algériens, avec des complicités des l’appareil sécuritaire tunisien d’être à l’origine de l’affaire d’al-Chaâmbi", pour laquelle nos vaillantes forces sécuritaires paient le plus lourd tribut.  Ces événements qui ont rendu la situation encore plus inextricable,  ont élargi le hiatus idéologique entre les enfants de la Tunisie, au point que l’on soit au seuil de la rupture.

Les visions antinomiques qui se manifestent sur les projets de société, empêchent le vivre ensemble de se cristalliser. La société tunisienne est aujourd’hui divisée, chacun regarde d’un côté, et l’on a du mal à se reconnaître mutuellement. Que peut faire le dialogue du 16 mai pour aider les Tunisiens à s’accepter et à se réconcilier. Il doit au moins commencer par afficher une image d’unité et de consensus. Sinon ce ne sera qu’un énième coup d’épée dans l’eau.
H.J.