Tunisie : L’appartenance à l’Islam n’est pas en contradiction avec l’Etat civil !

Publié le Mardi 14 Août 2018 à 13:43
Vue de la cérémonie du 13 août 2018 à Carthage. Dans son discours du 13 août 2018, le président Béji Caïd Essebsi a tenté de tirer son épingle du jeu. Il a annoncé un projet de loi, instituant l’égalité dans l’héritage, dans le droit fil de l’esprit et des dispositions de la constitution de janvier 2014, tout en laissant la liberté à ceux qui le voudraient de s’en tenir aux principes de l’Islam, en matière de répartition du legs entre garçon et fille. BCE qui a fait valoir constitution et liberté, a souhaité que son initiative législative en vue,  recueille l’approbation du parlement, et entraîne dans la foulée, l’amendement du Code du Statut Personnel (CSP), 62 ans après sa promulgation, dans son volet relatif au droit de succession. 

Ce projet de loi qui sera un texte phare de la 5ème et dernière session parlementaire de la première législature, devrait faire l’objet d’un débat, long et vif, en commission et en plénière, du fait du caractère délicat de la question, et de la complexité de la matière successorale. La nouvelle loi ne saurait être entérinée que moyennent des amendements, à même de bannir toute contrainte et de consacrer la notion de choix entre un droit successoral procédant de la loi positive, et un autre de la loi divine, même si les deux peuvent se compléter et être en symbiose, en tenant compte des profondes mutations survenues dans la société. 

Un débat qui continuera parallèlement à agiter les différentes sphères de la société, à quelques mois de l’échéance supposée des scrutins décisifs de 2019, ce qui lui confèrerait un enjeu électoraliste inéluctable. Les élections procèderont de nouveau d’une bipolarisation entre  islamistes incarnés par Ennahdha ; et ceux qui se revendiquent de la mouvance réformiste, moderniste et progressiste et se disent être les continuateurs de Bourguiba ; le discours de la veille de BCE renferme plusieurs messages, à la fois clairs et subliminaux, qui vont dans ce sens.

Le président a procédé à une lecture sélective de la loi fondamentale, en mettant en avant un aspect celui relatif à l’Etat civil, et en escamotant l’autre, portant sur l’appartenance à l’Islam. Dire que la Tunisie a un référentiel religieux est une erreur et une erreur obscène خطأ فاحش, avait-il affirmé, en insistant que le pays ne se réfère qu’à la constitution, qui demeure prééminente. Sauf que la constitution de janvier 2014 souligne clairement que la Tunisie est un pays musulman, tant dans son préambule qui affirme "l’attachement du peuple aux prescriptions et enseignements de l’Islam", que dans son article premier qui dispose que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime". 

BCE a étrangement ignoré l’article premier, en passant directement à l’article 2 sur le caractère civil de l’Etat, selon lequel : "La Tunisie est un État à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit".

Or, l’un n’exclut pas l’autre. L’appartenance arabo-musulmane du peuple tunisien n’est aucunement en contradiction avec le principe d'Etat civil. L’Islam promeut, dans son essence, la notion de l’Etat civil, en prônant  liberté, équité…en reconnaissant la diversité et en bannissant toute contrainte, tant dans le Coran que la sunna. A son arrivée à Médine, en provenance de la Mecque lors de son émigration (hijra), le prophète avait décrété il y a plus de 14 siècles, la constitution de Médine qui définit les droits et devoirs de tout un chacun, l’appartenance collective à la patrie, proscrit les discriminations ethniques et confessionnelles dans une société alors éclectique constituée de musulmans, de  Juifs, et autres non-musulmans... et traduit ainsi dans les faits le principe d'Etat civil.

L’attachement à l’identité est un élément fédérateur et un facteur de force, son reniement est synonyme de rabaissement, d’aliénation et d'inféodation. L’Occident en général, et l’Europe en particulier revendiquent bien leurs racines judéo-chrétiennes. Lors de sa rencontre avec le pape en janvier dernier, le président Macron avait souligné les origines judéo-chrétiennes de la France, bien que la laïcité soit inscrite dans la constitution française. 

Le peuple tunisien n’a guère de problème identitaire, il est à la fois attaché à ses racines arabo-musulmanes et ouvert sur l’universel. Le faire revenir à la case départ, aux tiraillements et à la bipolarisation ayant prévalu en 2011, qui sont pour beaucoup dans l’actuelle situation déplorable du pays, ne fait que le détourner de ses préoccupations majeures et  faire perdre encore du temps au pays.

On ne le répètera jamais assez, les priorités essentielles et cruciales sont, à ce stade, d’ordre économique, il s’agit de mettre un terme à la dégradation générale, de lutter contre la pauvreté, le chômage et la précarité, de consolider les droits économiques et sociaux, et de mettre le pays sur le chemin du redressement.

Gnet