Tunisie, la réforme de la police ne se fera pas en un jour

Publié le Lundi 16 Mai 2011 à 21:30
Agents de l'ordre« Pour une police démocratique » est l’intitulé du séminaire organisé par la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH), qui a eu lieu ce matin à Tunis. Un sujet brulant qui préoccupe la rue, au lendemain d’une confrontation sanglante, entre citoyens et forces de l’ordre. Des heurts plus ou moins violents avaient commencé le17 décembre dernier, et se sont poursuivis, à des intervalles irréguliers, jusqu'au vendredi 6 mai 2011, où une manifestation pacifique à l’Avenue de Habib Bourguiba s’était transformée en un champs de bataille, entre forces inégales.

Le citoyen tunisien, disons-le ne porte pas l’agent de l’ordre dans son cœur. Et ceci ne date pas depuis les prémices de la révolution mais remonte à une époque plus lointaine, à une époque ou la police ne veillait que sur la sécurité et la pérennité de régimes totalitaires. Le dernier en date, celui de Ben Ali. Après la révolution, une question cruciale s’était posée : comment construire une relation saine entre l’agent de l’ordre et le citoyen, comment instaurer un climat de confiance, que faut-il changer et comment ? Ont participé à cette rencontre, des cadres du ministère de l’intérieur, le syndicat des agents de l’ordre,  des experts internationaux en réforme de l’appareil sécuritaire, et des journalistes.

Jamil Sayeh, enseignant universitaire et expert en réformes d’appareils sécuritaires, a indiqué que pour toute réforme réussie, il fallait se poser comme objectif d’offrir une sécurité en adéquation avec la demande du citoyen. « Si l’offre excède la demande, cela devient de la répression. En effet, il faut normaliser la police, que la police soit en adéquation avec tout le monde, qu’elle ne soit plus comme un satellite sur lequel le citoyen n’a aucun droit de regard », a-t-il dit. Il propose que la réforme commence par les procédures de recrutement, ensuite la formation des agents de l’ordre, la modification des statuts et l’élaboration d’un code de déontologie. «La personne en face de la police peut être en position de faiblesse et de peur, il faut que la police réagisse tel que l’exige une certaine déontologie, qui soit régulée par une commission », ajoute l’expert. Il appelle à  faire de la police un acteur social et relégitimer cette profession en devenant un service public parmi d’autres.

Jamil Sayeh décrit aussi la nécessité d’instaurer la police de proximité, une notion qui fait ses preuves en Amérique du Nord et en Europe occidentale. « Il faut passer du secteur au territoire. Que la police  ne soit pas toujours motorisée, ni cagoulée, qu'elle soit territorialement proche du citoyen. Il faut de l’efficience, que la police mesure son intervention par la satisfaction du citoyen ». ajoute l’expert.

Taoufik Dimassi, directeur général de la Sureté nationale, a reconnu qu’avant le 14 janvier, les efforts de la police n’étaient pas orientés au service du citoyen, mais au service du régime en place. «La police était acculée à suivre et à réprimer les militants des droits de l’Homme et opposants du régime. Cette réforme de la police est  une volonté exprimée par les cadres du ministère de l’Intérieur. Croyez-moi, sous Ben Ali, beaucoup étaient opposés au régime, et refusaient même des ordres, mais il n’y avait rien à faire. Nous avons rédigé un document le 13 janvier dernier qui évoque les orientations que doivent prendre la profession. Nous voulons intégrer la notion des droits de l’homme dans la formation de nos agents», dit le cadre du ministère.

Il existe d’ores et déjà des formations continues pour la mise à niveau des agents de l’ordre, des missions de formation à l’étranger, pour la gestion de crise et le maintien de l’ordre.  Il est prévu que des syndicalistes de la police partent en stage, pour découvrir le travail syndical, tel qu’il est exercé dans les pays démocratique. Taoufik Dimassi, a appelé au cours de cette rencontre, les médias à se montrer plus objectifs et plus « professionnels, en transmettant les deux sons de cloche, parce que nous passons par une période critique », a-t-il dit. Il a évoqué le cas des manifestations du vendredi 6 mai, où des journalistes  et des manifestants ont été violemment réprimés, des caméras confisquées et des citoyens blessés, et où seule la police a été prise à partie par les médias et autres réseaux sociaux. Taoufik Dimassi nie toutefois que l’opération a été préméditée par l’appareil sécuritaire et que l’irruption de la police dans le local du Journal La Presse, a été une réaction à une pierre jetée sur les policiers, du bâtiment dudit journal. Selon lui, une enquête est en cours pour délimiter les responsabilités. Concernant le même jour, Il dit que près de 10 000 personnes voulaient passer de la rue Charles de Gaulle vers l’avenue Habib Bourguiba dans l’intention de saccager et semer le désordre, c’est pour quoi la police s’était fermement interposée. Et les agents cagoulés ? Taoufik Dimassi réitère que ces agents avaient peur d’être poursuivis en justice, et payer à la place des casseurs, « qui ont provoqué l’affront en jetant des pierres et en dégradant des biens publics et privés ».  « Après ce triste épisode du vendredi, les agents de l’ordre en civil ont reçu l’ordre de porter un dossard. Nous voulons instaurer une nouvelle loi qui stipule que tous les agents portent un uniforme, jusqu’au corps des commandements. Mais cela prendra du temps. Pendant 23 ans, la police se comportait d’une certaine manière, il faut du temps que les choses changent. Il faut qu’il y ait amendement des statuts généraux des forces de sécurité intérieure ».

Selon Adel Arfaoui, cadre au ministère de l’Intérieur et défendeur du syndicat, l’expérience de la police de proximité a déjà été tentée auparavant, mais sans succès. «Nous avons commencé par envoyer les cartes d’identités nationales et passeport aux domiciles des citoyens. Mais cela a été mal perçu. Les habitants avaient peur de l’agent de l’ordre, était suspicieux, et se demandaient pourquoi la voiture de police venait jusqu’à devant chez eux. Nous avons arrêté de le faire », indique le responsable.  Quant au sujet de la corruption, il dénonce les deux parties : Celui qui corrompt et celui qui a été corrompu, qui selon lui devraient avoir la volonté de refuser cette pratique. "concernant les allégations de certaines prétendues victimes de l'appareil policier, il faut absolument s'assurer de tout ce qui se dit, il y a des personnes qui veulent se refaire une virginité en s'érigeant en victimes", dit-il.

En réponse à une question sur la nécessité de traduire en justice toutes les personnes impliquées dans la répression sous l’ancien régime, Adel Arfaoui met en garde contre les tensions que cela provoquerait au sein de la population : ces individus ont beaucoup de personnes dans leurs camps, cela peut mal se passer. Or il préconise que l’on se dirige vers une réconciliation nationale à condition que les personnes coupables reconnaissent les faits et divulguent toute la vérité. Mondher charni, de l’Association de Lutte Contre la Torture, dénonce lors de ce séminaire, le retour de la torture dans les postes de police, surtout après l’annonce d’un éventuel Kasba 3. Un fait qui a été nié par le directeur général de la sureté nationale. Le militant a dénoncé également l’exagération de l’usage de la force et les conditions lamentables de détention, notamment à Bouchoucha. Il propose que la juridiction soit amendée et qu’un avocat accompagne l’accusé lors de l’interrogatoire.

Lors de la rencontre, un avocat a proposé qu’il y ait organisation d’une consultation nationale autour du projet de réforme de l’appareil sécuritaire, pour que la société civile soit impliquée dans le processus.

Chiraz Kefi

 

Commentaires 

 
#10 ben ali aussi
Ecrit par tnn     21-05-2011 14:16
ben ali aussi a dit que la démocratie ne se fait pas en un jour
 
 
#9 S'inspirer des avancées des autres
Ecrit par Mohamed     17-05-2011 21:04
Et pourquoi pas une police municipale, comme en France, pour favoriser la police de proximité ? Et pourquoi pas aussi une police financière, comme en Italie (Guardia di Finanza, relevant du ministère de l'Economie et des Finances), pour contrer spécialement la criminalité économique, financière et fiscale ?
 
 
#8 Vite, ça urge!
Ecrit par SDF     17-05-2011 20:39
Un coup de torchon dans le corps de la police est non seulement nécessaire, mais URGENT, pour commencer à parler de relation citoyen/policier.

Le passif est trop gros pour se contenter de belles paroles. On veut des ACTES FORTS!
 
 
#7 2 JOURS OU UN SIECLE
Ecrit par EMDE     17-05-2011 17:17
EN REPONSE AUI TITRE DE L'ARTICLE ,MOI QUI SUIS UN PEU BORNE JE CROIS COMPRENDRE QUE SI çA NE PEUT PAS SE FAIRE EN 1 JOUR ,çA PEUT SE FAIRE EN 2 JOURS...
OU PEUT ETRE UN SIECLE..
PAUVRES TUNISIENS! ! !
 
 
#6 ca prendra au moins une génération
Ecrit par zico     17-05-2011 12:26
Pour vraiment réformer la police et lui redonner sa vraie mission qui est de servir le citoyen, ca prendra au moins une génération. Il faut etre vraiment naif pour penser que l'effectif qui est aujourd'hui en place et qui a été façonné a etre un instrument de dictature puisse avec quelques formations changer. c'est impossible et c'est completement utopique de penser qu'on va le faire dans quelques années.
c'est un travail de démolition totale qu'il faut faire, et c'est certainement pas un gouvernement de transition qui s'occupera de cela.
 
Ces commentaires n'engagent que leurs auteurs, la rédaction n'en est, en aucun cas, responsable du contenu.