Tunisie : La réalité d’aujourd’hui est incompatible avec la constitution ?

Publié le Jeudi 15 Janvier 2015 à 16:25
"La constitution et la nouvelle réalité politique", est le sujet de la conférence organisée ce jeudi, par le centre d'Etudes Islam et Démocratie, à Tunis. 

Chaker Houki, professeur de Droit public, a déclaré qu' à travers les temps, les constitutions qui prenaient pas en considération la réalité du terrain, était vouées à disparaitre pour être remplacées par d'autres, " tandis que les constitutions qui examinaient le terrain et prenaient en compte la réalité, duraient plus longtemps", a-t-il dit.
 
Selon lui, ce sont les acteurs politiques qui influencent l'élaboration d'une constitution, " conformément à ce qui sert leurs intérêts...et à partir de ce constat, il semble que la constitution tunisienne de 2014 a été dépassée par la réalité, pour ne pas dire qu'elle est morte et enterrée", a-t-il dit.
 
Il a rappelé que les dernières élections n'ont pas été tenues en fonction de ce qui est écrit dans la constitution, mais d'après lui, les électeurs ont voté en prenant en considération d'autres facteurs. "L'électeur ne s'est pas dirigé vers les urnes en tenant compte de ce qui se trouve dans la constitution, mais pour des raisons autres, qui sont, l'inflation, l'insécurité, le mode de vie, le paysage politique et même dans le seul but de se débarrasser d'Ennahdha", a-t-il constaté.
 
Il considère que la nouvelle constitution tunisienne qui a été élaborée sur la base "d'équilibres  spécifiques", et "de scénarios bien définis", ne pourra vivre et prospérer que dans le contexte pour lequel elle a été conçu.  "Cette constitution n'est plus compatible avec la réalité actuelle, au lendemain des élections. Nidaa Tounes n'a pas pensé aux équilibres de la constitution autant qu'elle pensait à arriver à Carthage. Ce mouvement aurait dû soutenir un candidat à la présidentielle d'un autre parti qui lui soit proche, mais son seul but s'est avéré être arriver à Carthage", a dit le professeur de droit.
 
Il a ajouté que l'électeur n'avait pas choisi un programme, "mais avait voté pour une personne", selon lui. La constitution prévoyait des législatives avant les présidentielles, pour que ces dernières soient tenues à la lumière des premières, a-t-il rappelé.
 
 "On aurait dû avoir un gouvernement après les législatives, pour que les électeurs choisissent un président en fonction du gouvernement qui aurait été en place. Mais c'est le contraire qui a eu lieu. En plus, le nouveau chef du gouvernement ne fait pas partie du bloc majoritaire au sein de l'Assemblée, comme il est prévu par la constitution...Cela nous rappelle la politique des nominations du temps de Ben Ali, où le chef du gouvernement, Mohamed Ghannouchi ne faisait pas partie du RCD.  Ce qui le rend irresponsable vis à vis du peuple", a-t-il dit, avant d'ajouter que la constitution qui est en phase d'être appliquée, serait celle de 1956 et non pas celle de 2014. " La Constitution de 1956 qu'on croyait morte et enterrée a repris du poil de la bête", a dit Chaker Houki.
 
Habib Korbi, spécialiste en droit international, est revenu sur les impératifs de la conjoncture. "La constitution est garante des principes qui régissent les pouvoirs politiques du pays...la mise en place de la constitution reste tributaire de l'Instance constitutive élue du peuple et de la réalité sociale et sécuritaire, ainsi que de la volonté politique. tout ce cadre vise à garantir la suprématie de la constitution. L'Etat est l'ordre légal, et à sa tête la constitution", a-t-il expliqué.
 
Il s'est interrogé par ailleurs, à quel point l'Assemblée nationale constituante a respecté la loi cadre pour l'élaboration de la constitution.  Pour constater qu'au fil des travaux de l'ANC, la loi cadre a été piétinée. "L'ANC s'est heurtée à plusieurs obstacles. Ceux-ci se sont accrus au fil du temps. Les dissensions au sein de l'assemblée, et la division... d'un côté se trouvaient les partis au pouvoir et de l'autre côté l'opposition. Mais aussi d'importantes divisions au sein des commissions constitutives et surtout au sujet de questions d'ordre public, comme la Chariaa, la normalisation avec l'entité sioniste, le régime politique, etc. Ensuite, il y a eu des problèmes sociaux, le chômage, l'inflation, les mouvements sociaux, les assassinats politiques, la violence...tout cela a menacé l'existence de l'ANC, et lui a conféré de nouveaux instruments, certains sont légaux et d'autres d'en dehors du cadre légal", a-t-il précisé.
 
Parmi les nouveaux instruments, la naissance de la commission des consensus, qui a vu le jour, au lendemain du meurtre du député Mohamed Brahmi. Plus tard apparaitra le dialogue national, et donnera naissance à une commission d'experts pour aider au bouclage de la constitution, mais aussi la formation d'un gouvernement de compétences nationales. "Des instruments, certes, sans aucune légitimité, mais qui ont permis de continuer le processus de transition, et ont évité son échec", a terminé Habib Korbi. 
Chiraz Kefi