Tunisie : "La justice transitionnelle n’est pas une réécriture de l’histoire"

Publié le Mardi 07 Janvier 2014 à 18:05
Samir DilouLa Tunisie s’apprête à revisiter son histoire, et à révéler les vérités du passé. Elle est sur le point d’entamer un processus crucial, celui de la justice transitionnelle, dont l’impact sera décisif sur son cheminement futur. La loi organique portant organisation de la justice transitionnelle, parue le 31 décembre 2013 au Journal Officiel, a détaillé l’alpha et l’oméga de ce processus long, compliqué et objet à la fois d’espoirs et de craintes. La  Justice transitionnelle va-t-elle ouvrir la boîte de Pandore ? Ou permettra-t-elle, au contraire, de dévoiler les vérités, de rendre justice aux victimes et de réconcilier les Tunisiens avec leur passé, après avoir franchi des étapes certes douloureuses, mais incontournables ? Samir Dilou se veut rassurant en promettant le juste milieu. "Cette loi a tracé une ligne médiane entre deux extrêmes : l’extrême de la vengeance, des représailles et de la vindicte et l’extrême de l’impunité", a-t-il déclaré hier dans une interview accordée à al-Wataniya. Le ministre des droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle est revenu sur les dispositions de cette loi, plus spécifiquement, sur le fonds de la dignité, sur l’Instance de la vérité et de la dignité, sur les juridictions spéciales, signalant au passage que "la justice transitionnelle n’est pas un règlement de comptes avec l’époque bourguibiste, ou avec Bourguiba et n’est pas destinée à réécrire l’histoire".

Sur le fonds de la dignité qui a suscité une large polémique cette dernière période, le ministre estime que "dans toutes les expériences et les lois portant sur la justice transitionnelle, dont la plus récente celle adoptée en décembre en Libye, ce processus est complet et comprend la révélation de la vérité, la reddition des comptes, le questionnement, la réparation des victimes,  la réforme des institutions jusqu’à parvenir à la réconciliation". A ses yeux, certains n’ont pas rompu avec l’histoire du printemps 2012, lorsqu’une controverse a éclaté sur l’indemnisation des bénéficiaires de l’amnistie générale. "L’affaire actuelle n’a pas de rapport ni avec les prisonniers politiques, ni avec l’amnistie générale. Il s’agit d’un dispositif beaucoup plus global, reposant en grande partie sur la révélation de la vérité, et la réparation qui n’est pas forcément matérielle", a-t-il dit, faisant constater qu’"il n’y a pas de honte que l’Etat, le peuple et la société s’engagent à réhabiliter ceux dont la tyrannie et le despotisme ont démoli la vie". "La réparation financière est une question très secondaire, et il est prévu dans la loi qu’elle ne peut alourdir les charges de l’Etat", martèle-t-il, précisant que "ce fonds a été créé légalement et est ouvert à la contribution de l’Etat et aux donations, celui qui va le gérer n’est ni ce gouvernement, ni le prochain gouvernement, mais c’est l’instance Vérité et Dignité". 

Le ministre rappelle que la loi concerne les victimes de la dictature à compter de 1955 jusqu’à la date de la publication de ladite loi, y compris ceux qui ont subi des préjudices sous les gouvernements Ghannouchi 1 et 2, Jebali et Laâridh. (Il n’a pas cité le gouvernement Caïd Essebsi, manifestement par omission).

Sur une question de savoir si le compte à rebours pour la création de l’Instance de la Vérité et de la Dignité a commencé, Samir Dilou répond par l’affirmative, en citant l’article 23 de ladite loi. La loi a été publiée le 31 décembre au JORT. Une commission spéciale au sein de l’ANC sera créée, et sa composition sera définie dix jours après la parution de la loi au Journal Officiel, cette commission tiendra sa première réunion dans un délai d’une semaine après sa formation.

L’appel à candidatures pour l’instance de la vérité et de la dignité sera décidé par le président de la commission, laquelle décision sera publiée au JORT. Le ministre a écarté tout risque que le choix des membres de l’Instance soit effectué sur la base de l’appartenance partisane. Les conditions d’exclusion (en matière de choix de ces membres) sont dures, et aucune personne avec une affiliation partisane ne peut s’y infiltrer, eu égard aux "différents tamis" par lesquels passent les candidats, assure-t-il.   

Samir Dilou estime que la révélation de la vérité est la principale garantie de la bonne prestation de ladite instance. "L’Instance Vérité et Dignité est dotée de larges prérogatives. Elle peut auditionner qui elle veut, consulter les archives dans le cadre du respect des données personnelles et loin de tout dénigrement. Si elle avait le bras long et l’œil vigilant, elle révélerait des vérités qui ne l’ont pas été jusque-là, pour que la reddition des comptes ne soit pas injuste, et la réconciliation ne soit pas fallacieuse".

Au sujet des juridictions spéciales, "elles seront créées par décrets, et seront composés de juges compétents, connus pour leur intégrité, leurs mains propres et leur non-implication dans les procès politiques, de manière à ce qu’ils contribuent à révéler la vérité et à rendre justice", souligne-t-il.

La justice va statuer sur toutes les affaires qui lui seront transmises par l’instance d’arbitrage et de réconciliation. Dans les affaires financières où les deux parties (victime et auteur de la violation) acceptent l’arbitrage, les décisions seront contraignantes. S’agissant des grandes violations à l’instar du meurtre, du viol et autres, les décisions de la commission d’arbitrage influent sur l’évaluation de la peine auprès du juge pénal, mais n’influent pas sur le principe de culpabilité, explique-t-il.

Le fait que l’on se soit inspiré des expériences comparées d’Amérique Latine, de l’Europe de l’Est, et d’Afrique était très utile, dans la mesure où cela nous a permis de profiter des réussites, mais surtout des échecs des autres expériences. Certaines expériences ont réussi dans la révélation de la vérité, d’autres n’ont pas réussi dans la réparation,  d’autres encore dans la réforme des institutions. La plupart des expériences n’ont pas réussi dans l’application des recommandations de l’instance, évoque-t-il, citant l’expérience de l’Afrique du Sud qui est considérée comme "à moitié réussie". "Un membre de l’Instance sud-africaine m’a confié que l’Afrique du Sud a besoin d’un deuxième round de justice transitionnelle".

En Tunisie, notre expérience sera purement tunisienne, car notre peuple et notre histoire ont leurs spécificités, a-t-il dit, signalant que "la justice transitionnelle n’est dirigée contre personne et n’est pas un règlement de comptes avec l’époque bourguibiste ou le leader Bourguiba. Elle n’est pas destinée à réécrire l’histoire. Les politiques ne savent pas réécrire l’histoire. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ne sont pas habilités à réécrire l’histoire de ceux qui les ont précédés. Le rôle de cette instance est de préparer les conditions idoines pour que les historiens écrivent l’histoire d’une manière équitable, honnête et objective", conçoit-il.

Le ministre estime que "tous les Tunisiens sont concernés par la justice transitionnelle, et pas seulement les victimes et les coupables dans la mesure où elle vise à réconcilier les Tunisiens avec leur histoire". Il s’est défendu de toute marginalisation de la réconciliation. "La réconciliation est la finalité ultime et le couronnement de l’ensemble du processus".

"Si on n’avait pas un Mandela en Tunisie, nous pouvons créer un Mandela collectif", a-t-il souhaité. Mais que représente le chantre de la lutte contre l’apartheid pour le ministre ? A cette question, il cite une phrase que lui a confiée le président de l’Instance d’Afrique du Sud. "Mandela est un prophète sans livre".
H.J.


 

Commentaires 

 
+1 #2 devrons t il payer?
Ecrit par Royaliste     08-01-2014 07:56
qui est derriere les attentats terroristes en Tunisie depuis les années 80?
 
 
+3 #1 Trop tard
Ecrit par Tahya Tounes     08-01-2014 06:39
La transition est passée. Ce type de justice se fait à chaud ou n'a plus d'intérêt. En effet, elle sert à mettre tout le monde au pas et à faire peur aux velléités contre-révolutionnaires.
Elle ne pouvait se mettre en Tunisie du temps de la révolution car cette révolution est fausse et qu'il n'y a pas eu de révolution.
Aujourd'hui elle serait synonyme de guerre civile. Une mauvaise appréciation de plus de ce gouvernement de....
Ils veulent faire peur aux gens car ils sont dans une mauvaise passe. D'ailleurs si cela continue, ce sont eux qui vont subir les frais de la justice transitionnelle en cours qui va traduire les traitres.
 
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