Tunisie : La compléxité de la justice transitionnelle en débat

Publié le Mercredi 24 Septembre 2014 à 16:44
Vue de la conférenceLes droits économiques, sociaux et culturels dans le processus de justice transitionnelle font l’objet le 24 et 25 septembre d’une conférence régionale à Tunis, en présence de plusieurs experts de la région MENA.

Le ministre de la Justice, des droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, Hafedh Ben Salah a déclaré ce martin lors de la première journée, que la question des droits économiques était souvent occultée au sein de la justice transitionnelle.

«Le dialogue national organisé à ce sujet a joué un grand rôle pour faire ressortir la question des exactions économiques et sociales commises contre les opposants d’un régime totalitaire…le dialogue  nous a mené à la conclusion que l’exclusion économique et sociale avait un impact parfois égal à celui des exactions physiques », a-t-il dit. Le ministre a précisé que ce volet a été intégré dans la loi portant sur la justice transitionnelle, où la malversation et l’extorsion de biens publics sont désormais du ressort de l’Instance vérité et dignité.

Il attire toutefois l’attention sur la complexité de la question, «Ceci représente un réel défi, vu les différentes interprétations de ce genre d’abus en comparaison avec les actes de torture et les châtiments corporels infligés aux victimes…c’est ce à quoi, il faut faire attention lors du traitement de ces affaires par l’Instance vérité et dignité ou l’instance supérieure de lutte contre la malversation ou encore les instances judiciaires », a dit le ministre.

Concernant l’Instance Vérité et Dingnité, Hafedh Ben salah a déclaré en marge de la conférence qu’elle entamera sa mission dès lors qu’elle aura fini sa période de préparation, soit, au début du mois de novembre.

Sihem Ben Sedrine, présidente de l’Instance, a pour sa part déclaré qu’il était nécessaire de s’assurer du caractère juste du travail de l’instance, «pour qu’elle ne soit pas elle-même source d’injustice". L’instance a rencontré récemment des membres de la société civile et continuera ce weekend ces rencontres dans les régions,  pour collecter les propositions et les attentes qu’elle veillera à appliquer, selon Ben Sedrine.

Elle a rappelé par ailleurs, que les commissions de vérité qui ont été crées à travers le monde n’ont jamais été accueillies favorablement. «Ce sont les nostalgiques de la dictature qui cherchent à mettre en échec cette idée. Mais je dis qu’il est préférable de soulever une polémique que de l’indifférence".

A tous ceux qui se trouvent offusqués de voir l’instance demander des comptes aux responsables de l’ancien régime, Sihem Ben Sedrine demande de consulter la constitution tunisienne qui indique dans son article 148 que l’Etat s’engage à respecter les principes de justice transitionnelle, «c’est l’acte criminel qui est un crime et non pas l’acte de le révéler », a-t-elle rappelé.

Le modèle qui sera choisi pour appliquer cette justice serait « comme un patchwork, choisi de morceaux d’ici et d’ailleurs », a-t-elle ajouté, en faisant allusion aux expériences des pays ayant eu le même parcours. 

« L’objectif de l’IVD n’est pas tant de régler leur compte à des individus qui ont fauté, il consiste à régler son compte à un système autoritaire qui a broyé hommes et femmes,  qui a confisqué l’avenir de tout un peuple, pour enfin laisser la place à un Etat de droit où chaque citoyen peut s’épanouir », a-t-elle conclu.

Mohamed Al Mekhlafi, ministre des Affaires Légales yéménite, a déclaré pour sa part ce matin, que la loi sur la justice transitionnelle a été très mal accueillie dans son pays, où des campagnes médiatiques et politiques ont été menées pour empêcher son adoption. La loi portant sur la justice transitionnelle n’a pas réussi à voir le jour aussi bien au sein de la chambre des députés qu’en conseil des ministres. « Après que nous ayons avancé dans le processus démocratique, voilà que des milices sont en train de semer le trouble dans le pays. Nous espérons que cette crise sera vite résolue et nous continuerons notre processus de transition démocratique », a-t-il indiqué.

Les présents lors de cette journée, ont convenu que l’ignorance d’une violence structurelle et profonde, nourrit le conflit et aide à le déclencher, augmentant ainsi le risque de retomber dans la violence et le conflit. Selon certains experts, il est nécessaire de mener sur le long terme, un travail de transformation sociale, avec l’assurance d’une large participation politique, la garantie d’un accès égal aux opportunités économiques, l’inclusion sociale et l’instauration d’une justice.
Chiraz Kefi