Tunisie : L'IVD refuse en bloc le projet de réconciliation économique tel qu'il est

Publié le Mardi 19 Juillet 2016 à 12:04
Sihem Ben Sedrine a rejeté, hier, lundi 18 juillet, devant une commission parlementaire le projet de réconciliation économique, estimant qu'il consacrait l'impunité et qu'il empiétait sur le rôle de l'Instance Vérité et Dignité. Khaled Krichi, a pour sa part indiqué que l'institution d’une nouvelle loi dans le cadre du projet de réconciliation serait un gaspillage des deniers publics...

La commission de législation générale à l’Assemblée des Représentants du Peuple a auditionné hier lundi 18 juillet 2016, une délégation de l’Instance Vérité et Dignité au sujet du projet de loi de base portant sur les dispositions de la réconciliation nationale et financière.

La Présidente de l’IVD, Sihem Ben Sedrine a d’abord rappelé un communiqué de l’Instance dans lequel elle dénonçait le projet de réconciliation estimant qu’il vidait le système de justice transitionnelle de sa substance et le délestait de ses outils qui servent à révéler la vérité, à questionner,  à procéder à l’arbitrage, à la réconciliation et à la réforme afin de ne pas voir se répéter les mêmes erreurs. 

Ce projet permettrait également à ses bénéficiaires de fuir la justice notamment dans des affaires de mauvaise gestion des deniers publics, a ajouté la présidente de l’IVD. 

Ben Sedrine a ajouté que le projet de loi n’est pas conforme aux  dispositions constitutionnelles et n’est pas en cohésion avec les engagements de l’Etat tunisien en matière de lutte contre la corruption et l’application des lois préventives comme l’accord onusien de lutte contre la corruption ratifié par la Tunisie. 

D’après le communiqué lu par Ben Sedrine, l’Instance considère que le contenu du projet de réconciliation représente un message négatif aux investisseurs locaux et étrangers et à tous les pays et institutions financières dans le monde qui exigent un climat sain, sans corruption, basé sur la suprématie de la loi et l’indépendance de la Justice.

Elle a également rappelé le rapport de la commission de Venise qui a émis des réserves au sujet de certains articles qui seraient contradictoires, indiquant qu’il existait des conflits d’intérêt entre le rôle de la commission qu’on vise à créer et la commission d’arbitrage et de réconciliation de l’IVD.

Ben Sedrine a parlé également des particularités de la justice transitionnelle en Tunisie, qu’elle considère appartenir à la troisième génération, où les exactions des Droits de l’Homme sont liées aux exactions économiques et financières.

Le système de justice transitionnelle est un système complet, et encadré par la loi ayant confié la mission à l’IVD, comme étant seule instance habilitée à faire appliquer le processus de la justice transitionnelle,  a déclaré Ben Sedrine. Elle a par ailleurs parlé de l’importance de débattre de l’initiative présidentielle, en prenant en considération  le rôle de la Présidence dans la réconciliation dans un contexte économique difficile.

Gaspillage des deniers public
Le président de la commission d’arbitrage et de réconciliation, Khaled Krichi, a pour sa part indiqué que l'institution d’une nouvelle loi dans le cadre du projet de réconciliation serait un gaspillage des deniers public, ainsi qu’une perte de temps, précisant que la commission spécialisée au sein de l’IVD était disposée à examiner les dossiers sans avoir à créer une commission parallèle.

Il a ajouté que  le système d’arbitrage et de réconciliation était capable d’appliquer la réconciliation et de préserver la mémoire nationale tout en étant efficace. 

Krichi a rappelé que la loi portant sur la justice transitionnelle accorde à la commission la possibilité d’examiner les dossiers d’arbitrage et de réconciliation dans un délai de 3 mois, à partir de la date de leur réception.

Il fait porter à l’Etat la responsabilité de ne pas avoir fourni à la commission les demandes d’arbitrage au sujet des dossiers de malversation financière, entrainant ainsi, un retard de leur examen. Il a appelé l’Etat à accélérer à émettre le décret gouvernemental portant sur les outils d’arbitrage et de réconciliation, puisque l’IVD dispose selon lui des moyens nécessaires notamment avec le pôle judiciaire financier et la Banque Centrale qui se sont montrés coopératifs. 

Au sujet du projet de loi proposé, Krichi a mis en garde contre la cacophonie qu’il pourrait produire au niveau institutionnel, rappelant que l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, avait relevé la non-constitutionnalité de certains de ses articles parus dans le projet de la loi de finance 2016. 

La présidente de de commission de Recherche et d’Investigation,  Ala Ben Nejma, a quant à elle indiqué la nécessité de respecter le cadre juridique de la justice transitionnelle, estimant que le projet de réconciliation n’était pas en adéquation avec les valeurs de la République dont la lutte contre la corruption, et qu’il ne garantissait pas l’indépendance de la commission à créer, ni servira à réaliser la réconciliation mais qu’au contraire il contribuerait à créer un clivage  au sein de la société.

C.K.