Tunisie : Jeunesse désemparée et Etat dépassé

 

Dans un contexte marqué par une transition encore fragile, surtout sur le plan économique et social,  les jeunes se sentent les plus touchés par l’incertitude et la précarité. Les jeunes estiment que leurs chances d’insertion, sont de plus en plus réduites et leur avenir incertain. Ils mettent ceci sur le compte d’une absence de vision des gouvernants à leur égard, et une incurie de l’administration, ce qui serait de nature à nourrir en cette frange importante des sentiments de suspicion, de défiance et de rancœur. 
 

Les grands discours ne manquent pas. Le président de la République lui-même avait appelé au mois de janvier à la tenue d’un congrès national portant sur « les problèmes de la jeunesse tunisienne », pour reprendre ses termes.  Les conseils ministériels et autres discours ministériels font l’écho d’une volonté de changer les choses pour la jeunesse désemparée. Mais sur le terrain, les jeunes ne constatent rien de concret, et protestent dès que l’occasion se présente. Pour arriver à trouver une issue, plusieurs exigences se posent, selon le forum de Carthage, notamment la nécessité de s’intéresser à l’ensemble des secteurs, tels que l’éducation, l’enseignement, la formation, l’emploi, la santé, la protection sociale, la culture, la recherche et les sports.
 

Bien que le Forum n’ait invité aucun jeune pour prendre part aux panels du colloque, il appelle à faire participer les jeunes  en instaurant un dialogue responsable avec eux "loin de tout esprit de tutelle ou de dictée de la part des gouvernants". Considérer les jeunes comme partenaires à part entière dans tout ce qui concerne leurs affaires, et les laisser prendre leurs responsabilités  dans les prises de décisions, est un défi majeur pour l’Etat, selon les organisateurs de la journée sur la jeunesse. Ils prônent un dialogue constant avec les jeunes, "et non un dialogue de circonstances, dicté par l’urgence et la pression temporaire », avec la nécessité de mettre en place une stratégie pour la jeunesse, ainsi que des plans d’exécution. 

Les jeunes sont directement concernés lorsqu’on parle de développement local, de sécurité et d’inclusion économique. Le nombre de chômeurs a quasiment doublé depuis 2010, pour se situer aux alentours de 612 000 chômeurs dont 240 000 sont des diplômés du supérieur. Un chômage qui touche beaucoup plus les femmes que les hommes. Le chômage dans les régions de l’intérieur, est supérieur de 10 points à la moyenne nationale, pour atteindre 30% à Tataouine, ou 27.9% à Gafsa. 
 

Plusieurs plans d’action ont été élaborés depuis 2008, date de la dernière consultation nationale sur l’emploi, mais aucun de ces plans n’a pu être mis en œuvre sur le moyen et long termes, essentiellement à cause de l’instabilité politique durant les 5 dernières années. 
 

Les jeunes aspirent à plus de sécurité et de stabilité dans le travail, et à plus d’efficacité et de professionnalisme de la part des intermédiaires du marché du travail. Il serait « nécessaire » d’après le forum de faciliter la mobilité au sein des entreprises et entre les entreprises, mais aussi vers le marché international. Mais d’abord, afin d’améliorer l’employabilité, une réforme du système de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle, est necessaire. 
 

Concernant le volet sécuritaire, une enquête menée en 2015 par une ONG internationale, Alert, a révélé que 95% des 800 jeunes interrogés, dans deux quartiers populaires de Tunis, évoquent une défiance vis-à-vis des institutions de la police. Les raisons de ce conflit résident dans le non respect des procédures de travail par la police, selon l’International Crisis Group. « Le policier est là quand on voudrait le voir ailleurs, et n’est jamais là quand on a besoin de lui », rapporte, Tahar Refaï, président du forum, et ex-membre du conseil supérieur des forces de sécurité intérieure. 
 

Au regard des jeunes, qui ont mené la révolution de décembre 2010- janvier 2011, la transition politique en Tunisie, est tributaire d’une réforme de la Police. Les institutions de sécurité, doivent selon Refaï, œuvrer à la stabilité et à la pérennité de l’Etat et au maintien de l’ordre public et de la paix civile. « Une mission qui doit toutefois contribuer à instaurer un sentiment de quiétude, de confiance et de sécurité au sein de la population ».

 

Sur un autre plan, les jeunes en Tunisie, se trouvent de plus en plus exposés à des comportements déviants et aux risques accrus, à savoir, la radicalisation. Les Djihadistes tunisiens partis renforcer les rangs des extrémistes  en Irak et en Syrie, seraient au nombre de 6000, et occuperaient la première place.
 

Un chiffre alarmant, surtout quand il est ramené au nombre de la population tunisienne, tout en sachant qu’il n’englobe pas tous ceux qui ont été empêchés de partir, aux frontières.  Cette adhésion des jeunes à la pensée extrémiste est due selon plusieurs experts à la marginalisation.

Une défaillance de l’éducation, de l’encadrement, voire de l’incapacité de l’Etat à faire un grand coup de réforme, notamment dans l’administration, afin de donner les moyens de réussite, nécessaires à une jeunesse désemparée.