Tunisie : Indignation des architectes contre les méga projets

Publié le Lundi 21 Mars 2016 à 17:11
Vue de la conférence de presse.
L’association "Architectes citoyens" a lancé aujourd’hui un appel aux forces vives du pays, pour approfondir l’étude des répercussions directes et indirectes du projet  de loi relatif à l’aménagement du territoire, à l’urbanisme et à la promotion immobilière. C’est lors d’une conférence de presse organisée ce lundi à Tunis, que l’association a attiré l’attention sur le projet de loi en cours d’examen, et que le président de l’association, Ilyes Bellagha estime avoir une orientation « trop libérale ». 
 
Il pointe essentiellement l’ouverture  des capitaux des sociétés immobilières aux participations étrangères « sans évaluer les risques liés à la spéculation foncière". Il dénonce une vision non réfléchie concernant l’élaboration des plans futurs d’aménagement dans les régions, le manque d’études d’impact, l’absence d’un contrôle rigoureux des marchés et le manque de transparence dans les appels d’offres publics, « ce qui serait à même de favoriser la spéculation foncière et un vaste pillage des terres par une poignée de personnes et d’entreprises », a déclaré Bellagha.

 Les projets visés sont le « Tunisia Economic City », à Enfidha où l’Etat s’apprête à céder aux investisseurs « des superficies énormes à un prix symbolique », ou encore le port en eaux profondes à Enfidha, dont l’impact sur l’environnement risque d’être lourd, sur le moitié sud de la Tunisie.

Le projet Tunisia Economic City a refait récemment surface après quelques années de stagnation. Ilyes Bellagha explique qu’il s’agit d’un projet composé de 14 parties, dont une a été finalisée et qui est l’aéroport d’Enfidha. « Ce projet nécessite 90 km². Il nécessite 100 milliards de dinars tunisiens d’investissements. « Le mètre de terrain viabilisé reviendra à l’acquéreur  500 dinars, ce qui est en soit le coût d’une construction anarchique. Quatre vingt dix kilomètres carrés du territoire tunisien sont désormais la propriété d’investisseurs étrangers », s’est-il exclamé. Le premier acquéreur a été saoudien, selon Bellagha, avant de devenir Emirati après la disparition de l’investisseur saoudien.

Il ajoute que le promoteur immobilier du projet avait déclaré que cet investissement créera  250 000 emplois en 15 ans, « mais il n’y aura rien de tout cela », a martelé le président d’Architectes citoyens. 
 
Montassar Maghraoui, Secrétaire Général de l’Ordre des avocats, a exprimé la position de l’Ordre vis-à-vis du projet de loi. Il « La Tunisie d’aujourd’hui est celle du dialogue et du principe de participation, ce que semble ignorer les autorités. L’ordre des architectes n’a pas été convié à participer à l’élaboration de cette loi. Malheureusement le texte de ce projet de loi est loin des aspirations de l’ordre. Nous aurions souhaité prendre notre temps, et voir le projet de loi portant sur les collectivités locales. Alors que cette nouvelle loi parle des villes nouvelles, nous n’avons aucune loi qui protège le cachet urbain tunisien. D’ailleurs le secteur n’est pas encadré, et cela se répercute sur le paysage urbain, on ressent qu’il y a de l’architecture dans les constructions étatiques mais pas dans les constructions privées », a-t-il dit. 
 
"Absence d’une culture de l’urbanisme"
Plusieurs spécialistes de droit foncier et urbanistes estiment que le domaine public devrait bénéficier d’une protection spéciale « parce qu’il appartient à tous les Tunisiens », commente Bellagha. 
 
Fathi Ennaifer, polytechnicien, ancien directeur général de l’Aménagement du territoire a déclaré qu’après la révolution, le pays a connu un élargissement du hiatus qui sépare certaines régions d’autres, notamment en matière de développement : « Le problème c’est qu’il n’existe pas de diagnostic qui évalue les raison de ces disparités, ni de vision. On continue à prévoir d’importants projets sur le littoral, sans que personne n’examine sérieusement ces projets », a-t-il dit, avant d’ajouter que changer le modèle de développement n’a toujours pas fait l’objet d’une décision sérieuse. « A chaque fois que nous nous réunissons pour débattre de ces questions, chacun coupe la parole à l’autre et veut imposer sa propre vision », a-t-il regretté. 

La politique de développement, nécessite selon Ennaifer une distribution optimale des ressources et des projets sur les régions. « Il faut décider des projets selon les ressources de chaque région, et surtout le développement doit s’arrêter quand les ressources sont menacées et quand elles risquent de ne plus se renouveler », a-t-il dit. 
 
Il a rappelé que le rôle de l’Etat est important dans la mesure où les capitaux sont attirés par les régions les mieux aménagées par les autorités. « La région n’est attirante pour les investisseurs que si l’Etat joue convenablement son rôle. Il faut aussi relier la région en question aux régions avoisinantes, que les infrastructures soient à la hauteur et que la région soit dotée de toutes les institutions nécessaires pour la commercialisation….et sans tout cela, il n’y aura jamais de développement malgré toutes les mesures d’accompagnement », a expliqué l’expert, qui parle « d’une absence d’une culture de l’urbanisme ». C’est ce qui ressort d’une étude menée par l’Etat tunisien, en 2013, et financée par l’Agence Française de Développement. « Les responsables et les décisionnaires en Tunisie, n’ont aucune idée sur les exigences du développement régional, a indiqué cette étude », rapporte Ennaïfer.

Il ajoute que le secteur public ne devrait pas s’immiscer dans l’investissement mais aussi qu’ « ouvrir les investissements aux étrangers, c’est leur permettre de pomper les ressources du pays comme cela se passe dans toute l’Afrique ». La solution est selon lui de diversifier les activités et ne pas compter uniquement sur les ressources naturelles, comme l’activité agricole qui est saisonnière et ne contribue pas à elle seule, à faire vivre une région sur toute l’année.   

Chiraz Kefi
 
 

Commentaires 

 
#1 RE: Tunisie : Indignation des architectes contre les méga projets
Ecrit par Montygolikely     29-03-2016 13:09
Si c'est pour se retrouver avec des investisseurs mafieux construisant des gratte-ciels avec des appartements aux coûts exorbitants, des aires commerciales réservées à des boutiques ou commerces de luxe "bling-bling", et cafés soit disant "branchés" pleins de nanas perchées sur des talons aiguilles et mecs gominés à souhait, bref une zone urbaine insipide et sans âme et, si j'ose dire, sans aucune odeur de "kammoun", ce n'est pas la peine...
Mais si l'on peut donner une chance à nos architectes, entrepreneurs, artisans pour construire une ville coquette qui respecte aussi bien les traditions architecturales que l'identité de notre pays avec des senteurs locales, ça serait mille fois plus intelligent...
 
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