Tunisie : Indépendance de la Justice et constitution

Publié le Lundi 16 Février 2015 à 17:22
Vue de la conférenceHasna Ben Slimane, Magistrat au tribunal administratif, a parlé ce lundi lors d’une conférence portant sur la mise en œuvre de la constitution tunisienne, du sujet de l’instauration d’un pouvoir juridictionnel indépendant. « Quand nous revenons au chapitre de la constitution qui évoque la justice, nous trouvons une justice administrative, judiciaire et financière et une Courconstitutionnelle. La Tunisie a souffert pendant longtemps de l’absence d’une telle Cour, ce qui le rend nécessaire », a-t-elle dit.

Selon elle, le recours à la justice est un droit qui doit être garanti à tous, « ce qui semblerait évident… mais il existe bien des difficultés à l’appliquer », a-t-elle dit. Elle cite l’exemple des personnes jouissant de l’immunité ; «L’immunité empêche la justice de faire son travail…toute disposition qui empêche ou qui met un frein à l’application de la loi, est une entrave à la justice», a-t-elle dit.

La question de l’immunité, a été citée dans l’article 88 de la constitution, prévoyant sa levée pour le président de la République dans certains cas. « Le problème c’est que les autres pouvoirs n’acceptent pas que l’immunité leur soit levée…vous direz que même les magistrats jouissent de cet avantage, mais par expérience, il y a eu plusieurs parmi eux pour qui l’immunité à été levée…Ce pourquoi plusieurs magistrats se réfugient derrière certains politiciens ou certains postes d’influence… », a-t-elle constaté.

Mettre tout le monde sur un pied d’égalité et donner la chance à tous de recourir à la justice est, selon elle, un défi majeur.  « Mais aussi, cette justice doit être efficace et capable de faire appliquer ses verdicts. Car une justice qui ne se fait pas respecter, a un rôle de témoin plus qu’un rôle de pouvoir. Quel intérêt d’avoir une justice si elle ne peut pas faire la différence ? », S’est interrogée la juge.

Un autre aspect important selon elle, est la relation équilibrée entre la justice et le reste des pouvoirs.  « Bien que ceux-ci jouissent de l’avantage de la légitimité électorale », a-t-elle rappelé. Cette relation soulève deux défis, qui sont le respect des prérogatives entre le pouvoir exécutif et judiciaire, et le respect mutuel entre le pouvoir judicaire et législatif.

«Instaurer un Conseil supérieur de la Magistrature, est aussi un défi majeur. Les expériences similaires, ont prouvé que plusieurs menaces planaient sur le projet… Etablir un Conseil supérieur de la magistrature, tout en sachant que le juge est tenu de faire appliquer la loi sans être un outil de l’Etat…A ce stade, les textes ne sont pas clairs, et il est nécessaire de les éclaircir », a dit la juge, avant d’ajouter qu’il fallait que ce sujet fasse l’objet d’un dialogue et d’un consensus « pour ne pas se tromper ».

Xavier Philippe, professeur de droit public et directeur de l’Institut Louis Favoreu à l’Universtié Aix Marseille, est intervenu lors de cette rencontre pour soulever la question de l’indépendance de la Justice. « Il faut se rappeler qu’un juge est amené à faire respecter la loi mais aussi à l’interpréter. Il a donc un pouvoir de gardien mais aussi de créateur, qui lui donne une position bien particulière », a-t-il commencé.  Il a rappelé que depuis la révolution du 14 janvier, le pouvoir judiciaire est resté le même, tandis que le législatif a changé au même titre que le pouvoir exécutif.

« La constitution affirme et réaffirme qu’au sein d’une démocratie, il fallait un pouvoir judiciaire indépendant, mais certaines dispositions constitutionnelles sont vagues et donnent libre cours à plusieurs interprétations, alors que d’autres sont très précises… », a-t-il souligné. Selon lui, il est difficile de faire tomber un système juridictionnel, du fait qu’il fallait toujours une justice opérationnelle.

Concernant la séparation des autorités judiciaires, administratives, militaires et financières, le professeur met l’accent sur la justice militaire, qui d’après lui ne devrait pas exister. « L’infraction militaire c’est une chose qu’il faudra déterminer…et puis l’existence même de cette juridiction pose problème », a-t-il dit.

Au sujet du Conseil supérieur de la Magistrature, il dit que celui-ci est destiné à assurer l’indépendance de la Justice. « L’idée selon laquelle le CSM travaillera en autarcie, est une idée fausse. Il garantit l’indépendance de la Justice…il faut savoir que le système instauré dans la constitution de 2014 est nettement plus élaboré que celui d’avant, et il préserve l’indépendance de la Justice », a-t-il précisé. 
Chiraz Kefi