Tunisie : "Mon indépendance dérange une partie d’Ennahdha" (Marzouki)

Publié le Mercredi 23 Janvier 2013 à 16:20
Moncef Marzouki, lors de sa participation au sommet d'AS (Photo présidence)Dans une interview au journal saoudien, Asharq al-Awsat, le président de la République, Moncef Marzouki, a reconnu la difficulté de la coalition avec Ennahdha qui reste "nécessaire". "Il y a une partie du mouvement Ennadha que ma conduite indépendante dérange", a-t-il dit.  Il a encore indiqué qu’Ennahdha a été incapable avec 89 sièges de gouverner la Tunisie. "N’eurent-été le congrès pour la république et le parti Ettakatol, des laïcs modérés, il n’aurait pas pu former un gouvernement". A ses yeux, "décrire le mouvement Ennahdha comme un parti ancré, derrière lequel le peuple se range est inexact. Il a affirmé ne pas avoir l’obsession d'un complot des frères musulmans en Tunisie. S’agissant de la crise malienne, Marzouki a souligné : "Ma crainte est que le Mali se transforme en nouvel Afghanistan, et qu’on rentre dans un nouveau feuilleton terroriste". La Tunisie a demandé la fin rapide de l’intervention française, a-t-il ajouté.

Quelle est votre évaluation de la situation politique actuelle dans les pays du printemps arabe, au regard de ce marasme politico-économique ?
De ma position, je ne suis pas d’accord avec vous sur cette image. La révolution a permis la concrétisation d’au moins deux importantes réalisations en Tunisie de par son impact psychologique. Les Tunisiens sont passés du statut de sujets à celui de citoyens, et leurs relations avec eux-mêmes et avec l’Etat ont changé.

Qu’en est-il de la situation économique ?

La révolution tunisienne a été déclenchée pour les droits économiques et sociaux, et non pour la charia ou pour les slogans nationaux ou nationalistes. En dépit de cela, les droits économiques et sociaux ne peuvent être construits du jour au lendemain. Nous avons pu arrêter l’hémorragie de la corruption et diagnostiqué les maux qui empêchent l’investissement. L’appareil économique était en rade, et le taux de croissance était négatif. Il s’est amélioré pendant la dernière période pour atteindre les 3,5 %.  

Malgré cet accroissement, les chiffres que vous venez d’évoquer sont encore très en deçà de ce qu’ils ont été sous l’ancien régime ?
Oui, c’est vrai, car l’ancien régime falsifiait les chiffres. Si la croissance était comme il le prétendait, la révolution n’aurait pas eu lieu. Par contre, nos chiffres seront exacts, nous allons répartir la croissance d’une manière équitable dans l’intérêt de tous, sans qu’elle soit l’apanage de régions ou de classes  déterminées.

Qu’est-ce que vous avez prévu pour sortir de la crise économique. Est-ce que vous pariez sur les aides financières et les prêts des pays de la région pour promouvoir la machine économique qui a reculé dans les pays du printemps arabe ?
Les pays du printemps arabe sont différents. La Libye n’a pas besoin d’une aide internationale ou du Golfe. En Egypte, la situation est autre. Quant à la Tunisie, le problème ne réside pas dans la mobilisation des financements, mais dans les entraves pour en bénéficier du fait de la bureaucratie, et des lois qui sont des obstacles à l’investissement, ainsi que dans l’absence des études d’investissements. Il ne s’agit pas d’une question de volume des fonds, mais de la nature des programmes à même de les absorber. La solution sera de mettre en place un bon code d’investissements et une justice indépendante. A ce moment là, la question des investissements va se régler d’elle-même. Nous n’allons pas demander l’aumône du Golfe ou de l’Europe, mais nous aurons besoin d’assurer les conditions d’investissements à même d’inciter les hommes d’affaires d’investir chez nous, et ce en comptant sur nos énergies propres.

On parle d’une extradition de Baghdadi Mahmoudi dans le cadre d’une transaction financière, et une autre de 200 millions de dollars pour l’extradition de Snoussi, est-ce vrai ?

Ces allégations sont erronées, la Tunisie ne troque pas sa souveraineté contre l’argent. Baghdadi Mahmoudi a été extradé contre ma volonté. Et cette affaire a fait surgir un conflit de prérogatives entre le chef du gouvernement qui a vu en cela l’intérêt de la Tunisie, et moi-même. Je l’ai désapprouvé étant contraire aux droits de l’Homme. J’ai saisi le tribunal administratif qui a statué en ma faveur. J’insiste encore une fois que la Tunisie ne troque pas sa souveraineté contre de l’argent.  

Comment évaluez-vous votre alliance avec le parti Ennahdha ?

C’est une alliance nécessaire, mais difficile. Il y a une fraction moderniste du peuple tunisien, et une autre fraction conservatrice. Jusque-là, ce sont les modernistes qui ont dirigé la Tunisie, et leur règne était conduit d’une main de fer. Ils ont ignoré la moitié conservatrice du peuple, nous ne voulons pas que ça se reproduise de nouveau, mais nous voulons le contraire de la part des islamistes. Les prisons sont toujours pleines par cette partie ou par  l’autre. Pour ce faire, la Tunisie doit-être gouvernée par les modérés des deux courants, afin que l’ensemble des Tunisiens cohabitent. Il faut sortir de la malédiction de la tutelle et de l’exclusion.

Quid de votre coalition ?
C’est une coalition difficile, étant donné la différence des référentiels idéologiques. Nous sommes en train d’expérimenter la difficulté des gouvernements consensuels, et nous essayons ensemble de la surmonter.

Voyez-vous des parties extrémistes dans cette coalition, notamment au sein des islamistes ?

L’image générale dans ce gouvernement consensuel est la modération. Il existe néanmoins une progressivité de l’étendue de cette modération de part de certains membres, représentant les deux parties. Ce gouvernement, Dieu merci, continue jusqu’aujourd’hui, et il se poursuivra, si Dieu le veut.

Vous avez accusé précédemment le parti Ennahdha de tentative de mainmise sur les rouages politiques et administratifs de l’Etat. Comment percevez-vous cette hégémonie à l’heure actuelle ?
J’insiste constamment sur la nécessité que ce partenariat soit fondé sur l’honnêteté, la franchise et le non-dépassement des lignes rouges. J’ai considéré ce qui avait cours à cette date, comme un dépassement de mes lignes rouges.

Votre mise en garde contre l’hégémonie sur les rouages de l’Etat est-elle intervenue du fait de ce qui s’est passé en Egypte de la part du parti au pouvoir (Liberté et justice) ?
Je ne peux pas juger l’expérience égyptienne. J’œuvre à ce que l’expérience tunisienne se distingue par le consensus, en termes de gouvernance participative et d'élaboration d’une constitution consensuelle, que l’ensemble des décisions soient les plus consensuelles possibles. C’est là, la politique que j’essaie de suivre et qui requiert beaucoup de maturité politique et de sacrifices.

Celui qui observe le mouvement des frères musulmans, et sa gestion politique s’aperçoit de son inexpérience dans la gestion des affaires de l’Etat, qu’en dites-vous ?
Pour ce faire, il faut qu’il y ait d’autres parties qui contribuent avec lui au pouvoir pour le prémunir des trébuchements. L’hégémonie et la domination d’un parti majoritaire donné, le font souvent déraper petit à petit vers son autodestruction ainsi que la destruction de l’Etat. La présence de parties qui l’empêchent de devenir hégémonique serait dans son intérêt et dans celui de l’Etat.

Ne trouvez-vous pas que votre utilisation en tant que représentant du courant civil par le mouvement Ennahdha est dans l’intérêt de ce parti ?
Cela aurait été vrai, si le président acceptait d’être une simple image, c’est ce que je n’accepte pas. Je joue convenablement mon rôle en tant qu’homme politique. Il y a une partie du mouvement Ennadha que ma conduite indépendante dérange, celle à travers laquelle j’essaie d’incarner ma position en tant que président de l’ensemble des Tunisiens, et non d’un groupe déterminé.

Le mouvement des frères musulmans a un large public populiste sur lequel il s’appuie. Qu’en est-il de vous, en tant que courant civil, quelle est la force sur laquelle vous vous appuyez ?
Après les élections, les frères musulmans ont remporté 89 sièges contre 219. Le reste appartient aux partis civils et laïcs. On ne peut pas dire que le parti Ennahdha représente le peuple tunisien, et le reste constitue une simple poussière d’individus. Ennahdha a été incapable avec 89 sièges de gouverner la Tunisie et de former un gouvernement. N’eurent-été le congrès pour la république et le parti Ettakatol, des laïcs modérés, il n’aurait pas pu former un gouvernement. Toutes les forces ont leurs publics, et sont à l’équilibre. Les prochaines élections vont le prouver. Décrire le mouvement Ennahdha comme un parti ancré, derrière lequel le peuple se range, est inexact. Il faut qu’il y ait en Tunisie des forces politiques équilibrées, où aucune partie ne domine l’autre.
 
Des cellules des frères musulmans sont apparues dernièrement aux Emirats et au Koweït, qui coordonnent avec l’organisation en Egypte. Ne craignez-vous pas en Tunisie cette organisation ?

En Tunisie, nous ne craignons pas le mouvement Ennahdha, mais ce que nous craignons, ce sont les organisations djihadistes salafistes, qui adoptent la violence et constituent une menace pour la sécurité nationale. Mais, tant qu’il existe un parti islamiste modéré qui accepte le jeu démocratique, et s'inscrit dans la constitution, je n’ai pas de problèmes avec l’essence de ses relations. Les partis socialistes ont aussi des relations extérieures, l’essentiel est que la décision reste nationale, et que les partis soient prêts à l’opération démocratique. Je n’ai pas l’obsession d'un complot des frères en Tunisie. Ennahdha est avant tout un parti tunisien ; qu’il ait des relations avec d’autres Etats, ceci ne me porte en rien préjudice.

Ceux qui se présentent comme des gardiens de la révolution, sont des milices à la solde du mouvement Ennahdha. Ils se sont attaqués dernièrement au parti de Béji Caïd Essebsi. Qu’en pensez-vous ?
J’ai accueilli tous les courants politiques, même les salafistes qui n’ont pas recours à la violence, ainsi que ces milices comme vous les appelez. Je leur ai demandé des explications sur leur position, et ils ont affirmé qu’ils sont un groupe civil, qu'ils condamnent la violence et qui n’ont rien à voir avec ces milices. Les présenter comme des milices d’Ennahdha est inexact, c’est qu’ils s’engagent pour l’action pacifique. S’ils disent la vérité, c’est tant mieux, mais s’il s’avère qu’il s’agit de milices, elles seront sous le couperet de la loi.

Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse là d’une esquive de leur part ?
Tout est possible. Mais l’homme politique juge les actes et non les intentions.

Quid des critiques que vous a adressées Rached Ghannouchi ?
J’ai de bonnes relations avec Rached Ghannouchi, nous sommes des amis depuis plus de 30 ans.

Pensez-vous que c’est la lune de miel actuellement entre vous et le mouvement Ennahdha ?
Ce n’est pas une question de lune de miel, mais nous voulons être responsables. La Tunisie ne supporte pas les rivalités, et a besoin de franchir sereinement cette période critique. Il s’agit par ailleurs d’un pays pluriel, nous voulons bannir la violence de la société, en rapprochant les points de vue, et en œuvrant à concrétiser les objectifs de la révolution d’une manière pacifique et consensuelle, malgré les difficultés.   

N’existe-il pas un conflit entre le chef du gouvernement tunisien, appartenant au mouvement Ennahdha et le président de la République, d’obédience civile, s’agissant des affaires étrangères et relations internationales, notamment avec les pays voisins ?

Les affaires étrangères et les relations internationales relèvent de prérogatives communes entre le chef du gouvernement et le président de la république selon la constitution (ndlr : mini-constitution portant organisation provisoire des pouvoirs publics). Jusque-là, nous n’avons pas de désaccords sur les grandes lignes, ce qui signifie la nécessité de préserver nos relations européennes ; nous n’avons pas de problèmes avec les Etats-Unis, et il n’y a pas de contradictions dans les orientations générales. Le seul dossier où il y a eu affrontement, en matière de relations extérieures, est celui de Baghdadi Mahmoudi.

Qu’en est-il des événements en cours au Mali ?

Lors de la réunion du conseil de sûreté nationale, à laquelle ont été présents les ministres des Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur, le chef d’état-major inter-armées, le président de l’Assemblée nationale constituante, et le chef du gouvernement, nous avons convenu d’être compréhensifs envers l’intervention française qui est intervenue à la demande du  gouvernement malien. En revanche, nous voulons la fin de cette intervention dans les délais les plus proches, et nous appelons à trouver une solution africaine politique. Ma crainte est que le Mali se transforme en nouvel Afghanistan, et qu’on rentre dans un nouveau feuilleton terroriste.

Cela signifie que vous soutenez l’intervention française ?

Nous n’avons pas posé la question dans un contexte de soutien. Mais, nous avons été mis devant un fait accompli qui est survenu à la demande d’un gouvernement légitime pour des raisons de force majeure. Nous avons néanmoins demandé la fin de cette intervention dans les délais les plus proches.

Selon votre point de vue, qui constitue ces groupes au Mali ?
Il s’agit d’un mélange de groupes qui ont des droits légitimes, inhérents aux droits des touaregs, que nous avons longuement appelé à respecter dans le cadre de l’unité malienne. Comme il existe des groupes terroristes extrémistes internationaux.

Traduit par Gnet



 

Commentaires 

 
+2 #6 President raakkeddd..
Ecrit par weld blaad     24-01-2013 12:40
Vraiment...illi amlou yousef lemsakni fi dkikaaa..maamlouch marzoukii fi aaaammmm...raabbi kaader elkirrr...yaaa ritekk machaditt raaiisss..wentii bech tmoutt alaaa lkorssi jamais ..fi hyaaattt rittt ..insaaann houkoukouu..icheedd presidentt..
 
 
-3 #5 MES RESPECT Mr Le Pesident
Ecrit par youma     24-01-2013 11:08
cet interview n'a rien de surprenant . Mr Le President a toujours su être fidel à ses idées et principes. Arrêtez de tout vouloir tout critiquer , notre président représente l'image de la Tunisie que nous avons toujours chérissons. Il s'est imposé malgré tout et tous et franchement, au lieu de vouloir rabaisser un Grand Homme soutenez-le car c'est votre pays que vous soutenez! Nous avons tous le droit de critiquer mais faites des critiques constructifs au moins parce que cet interview démontre bel et bien que nous avons un Président qui sait dire non et stop quand il le faut. qu'on le veuille ou non si y avait pas ettakatol ou CPR notre tunisie serait dans le KO total. se joindre au parti majoritaire c'est ce qu'aurait du faire chaque parti qui se dit patriote au moins pour les 3 premieres annees qui ont suivies la noble révolution: ce ne sont pas les sièges qui importent mais notre pays et sa stabilité. on passe par des moments difficiles certes, mais on avance et c'est le plus important. on a voulu de cette révolution et il ne faut jamais la regretter car c'est normal de passer par quoi on passe aujourd'hui.
 
 
#4 RE: Tunisie :
Ecrit par Hédi     23-01-2013 22:48
"Cela aurait été vrai, si le président acceptait d’être une simple image, c’est ce que je n’accepte pas"

Mais c'est qu'il est rigolo notre président! :D
 
 
+2 #3 Modérés La belle blague !!!:
Ecrit par Khammous     23-01-2013 20:35
MM nous dit: °° la Tunisie doit-être gouvernée par les modérés des deux courants, afin que l’ensemble des Tunisiens cohabitent. Il faut sortir de la malédiction de la tutelle et de l’exclusion.°°
1/En faisant l'hypothèse que les modérés du camp democrate sont takatol et CPR;peut -il nous dire qui sont les modérés du côté Islamiste
 
 
-1 #2 rectification
Ecrit par sobafido     23-01-2013 17:38
bonsoir
veuiller rectifier dans le 1er paragraphe le nom de notre president, à savoir "marzouki au lieu de "marouki":Dans une interview au journal saoudien, Asharq al-Awsat, le président de la République, Moncef Marouki,
merci

NDLR :
C'est rectifié, avec toutes nos excuses pour cette malencontreuse coquille.
 
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