Tunisie : Ghannouchi et son mouvement commencent-t-ils à lâcher Youssef Chahed ?

Publié le Jeudi 16 Août 2018 à 13:52
La complicité Béji Caïd Essebsi/ Rached Ghannouchi est partie pour durer. Pour rien au monde, Rached Ghannouchi ne semble être prêt à renoncer à son alliance avec Béji Caïd Essebsi et à leur bonne entente née  il y a cinq ans à Paris ; c’est ce que le président d’Ennahdha s’est efforcé à montrer dans sa longue tribune, publiée sur sa page officielle facebook, en réponse aux sollicitations à peine voilées que lui a adressées le chef de l’Etat, dans son discours du 13 août.

S’il est des politiques qui sont passés maîtres dans l’art des messages subliminaux, et du style allusif, c’est bien les deux cheikhs, comme on les appelle. Il y a trois jours, à l’occasion de la fête de la femme, après avoir décliné les principaux contours de son initiative législative en matière d’égalité successorale, BCE a longuement parlé d’Ennahdha et de son alliance avec Nidaa, ayant valu "une stabilité relative" à la Tunisie, en lançant, pour le paraphraser, s’ils ne veulent pas (ndlr : les nahdhaouis) continuer sur cette voie, ils sont libres, en allusion à la discorde ayant divisé les deux principales forces parlementaires autour du point 64, où l’une réclame le changement du gouvernement et le départ de son chef, et l’autre son maintien, ainsi que son chef, moyennant un remaniement.

Le chef de l’Etat a aussi évoqué lundi dernier l’importance du mouvement Ennahdha et son poids au parlement, chose qu’il a prouvé, a-t-il aussi souligné, lors de la plénière du 28 juillet 2018, à travers le vote de confiance au ministre de l’Intérieur. Histoire de dire qui si la nomination de Hichem Fourati a été entérinée par l’Assemblée, c’est bien grâce à Ennahdha ; tout en passant sous silence le vote de Nidaa qui est pourtant allé dans le même sens, dans une tentative manifeste de créditer la thèse selon laquelle, le gouvernement est désormais celui d’Ennahdha.

BCE a aussi abordé l’écrit qui lui est parvenu d’Ennahdha au sujet du rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité, et s’est dit quelque peu déçu que le mouvement émette des réserves sur la question de l’héritage.

A tous ces points, Rached Ghannouchi qui n’était pas présent à la cérémonie du 13 août pour avoir été en mission à l’étranger, a répondu minutieusement dans une tribune, où il réaffirme son attachement au dialogue et au consensus comme cadre pour régler les différends et parvenir aux solutions consensuelles dans le droit fil de l’engagement pris à Paris l’été 2013,  ainsi qu’à l’entente avec le président de la république, et lui promet une interaction positive à toutes ses suggestions.

Sur l’égalité dans héritage, un sujet qui divise profondément la société, le numéro un d’Ennahdha promet de faire évoluer le texte pour l’adapter au contexte, à travers al-Ijtihad, l’effort de réflexion. Son but serait certes de ne pas contrarier le locataire de Carthage, mais aussi de couper l’herbe sous les pieds des détracteurs du mouvement qui cherchent à le mettre en difficulté, en montrant qu’il n’est pas aussi engagé en faveur de l’Etat civil et de l’égalité Homme / Femme, comme il le prétend.

Sur le sort du gouvernement Chahed, un début de changement de la position d’Ennahdha se dégage clairement entre les lignes. Rached Ghannouchi s’ingénie dans sa tribune à justifier la position de son mouvement en faveur de la stabilité gouvernementale, et se défend de toute volonté de sortir du consensus ou de lui trouver un cadre alternatif (comme l’a laissé entendre le président lundi dernier), tout en affirmant, et c’est cela la nouveauté, que son mouvement "est ouvert sur toutes les solutions à travers le dialogue sérieux, en quête de compromis nécessaires, dans le cadre du respect total des institutions".

Autrement dit, si son soutien à Youssef Chahed et son gouvernement, va lui coûter une mésentente, voire une rupture avec le président, Ennadha pourrait y mettre un terme et lâcher ainsi Youssef Chahed.

A moins que le chef du gouvernement accepte de ne pas se présenter à la présidentielle de 2019, ce qui mettra un point final à son conflit avec les Caïd Essebsi, père et fils, et apaisera les rapports Ennahdha/ Nidaa, ne serait-ce que momentanément. Ce sera aussi en réponse à une injonction antérieure d’Ennahdha, lancée il y a une année, août 2017, par Rached Ghannouchi à Youssef Chahed sur Nesma de renoncer à toute ambition présidentielle, que ce dernier reprend en termes édulcorés dans sa présente tribune, en réitérant que les défis de l’étape requièrent que "le gouvernement se consacre au développement et à la guerre contre la corruption, loin des tiraillements électoraux et partisans".

Une non-candidature de Chahed semble être le seul moyen pour lui de pouvoir garder son fauteuil à la Kasbah, sauf s’il compte procéder autrement et activer son propre plan B.
Gnet

 

Commentaires 

 
#1 De toutes façons...
Ecrit par Agatacriztiz     16-08-2018 23:30
De toutes façon, Ennahda n'aura pas la partie facile, et devra continuer à "louvoyer" comme elle sait tant le faire :
- soit elle continue à soutenir Chahed et devra continuer à le soutenir jusqu'au élections, et même peut-être après...
- soit elle le désavoue, et, grâce à cette manoeuvre de vision limitée, elle regagne en impopularité et risque l'éclatement de son mouvement qui commence déjà à se fissurer et hypothéquer de ce fait son score aux prochaines élections...
 
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