Tunisie : Ghannouchi et Caïd Essebsi affichent leurs différences à Davos

Publié le Samedi 25 Janvier 2014 à 12:20
Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi devant le forum de Davos. Le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi, et le président de Nida Tounes, Béji Caïd Essebsi ont livré chacun son approche de l’expérience de transition démocratique en Egypte et en Tunisie, devant le forum mondial de Davos, lors d’une conférence à laquelle ont pris part, l’Egyptien Amr Moussa, et le Premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane.

Rached Ghannouchi a commencé par évoquer l’expérience égyptienne. "La principale leçon que l’on en tire est de ne pas suivre la voie du putsch militaire", a-t-il dit, ajoutant qu'"un Général ne peut s’arroger le droit de défier la volonté du peuple, en lui signifiant d’avoir suivi la mauvaise voie, et qu’il va lui imposer par la force la bonne voie".

"La démocratie n’est pas un régime d’anges, mais d’humains, et ces derniers peuvent se tromper. Mais la démocratie dispose d’un mécanisme de réparation des erreurs", a-t-il indiqué, précisant qu'il ne défend pas le dossier économique ou social des frères musulmans, mais défend un principe selon lequel, une personne ou un groupe ne peuvent s’arroger le droit de défier la volonté du peuple et de passer outre les élections. La voie du putsch est mauvaise, et ne peut mener qu’à des catastrophes".

Ghannouchi s’en est pris à Amr Moussa lorsqu’il l’a voulu le couper, en lui disant qu’il défend une cause indéfendable.

"Nous avons fait une révolution en Tunisie qui a eu des échos dans le monde arabe, notamment en Egypte du fait des similitudes entre la société tunisienne et égyptienne, étant toutes les deux des sociétés citadines", a-t-il estimé.

"En Tunisie, la révolution a été menée pour la démocratie, et la justice sociale et contre l’exclusion. Les islamistes étaient les plus grandes victimes des régimes de Bourguiba et de Ben Ali, le peuple leur a donné une chance", a-t-il dit.

"Malgré son homogénéité, la société tunisienne est diverse idéologiquement, c’est pour cela que nous avons parié sur une coalition entre islamistes modérés et laïcs". Il a signalé qu’"Ennahdha se considère comme un parti islamiste démocratique, qui ne monopolise pas l’Islam, mais qui donne une grande importance au référentiel religieux comme un référentiel des valeurs source de justice, de fraternité, de paix... "

Il a expliqué que son mouvement a quitté le pouvoir, tout en ayant une majorité relative au parlement et qu’il estime que la rue est toujours à ses côtés, car il a fait le choix de consolider la démocratie. "Entre se maintenir au pouvoir, et perdre la démocratie, et quitter le pouvoir et gagner la démocratie, nous avons choisi la deuxième option, pour mettre le train de la Tunisie sur les rails de la démocratie", a-t-il dit en substance.

Il a prédit que le modèle de coalition entre laïcs et islamistes va se poursuivre en Tunisie après les prochaines élections, car un pays en transition ne peut-être gouverné par une majorité de 50+1, mais il requiert une coalition où tous les courants de pensée sont représentés.

Béji Caïd Essebsi se dit fier d'avoird dialogué avec Ghannouchi
Béji Caïd Essebsi a marqué son désaccord avec Rached Ghannouchi, s’agissant de son analyse sur l’expérience égyptienne. Il a reconnu que le candidat aux élections égyptiennes (Mohamed Morsi) a obtenu une majorité des voix dans des élections transparentes, mais accorder une majorité à un candidat ne revient pas, selon ses dires,  "à lui donner un chèque en blanc, a fortiori lorsque le candidat mène une politique autre que celle pour laquelle il a été élu". Il a estimé que le candidat, sans le nommer, "a été élu par 13 millions, alors que 30 millions ont été contre lui dans la rue. On ne peut pas reprocher à des responsables à laisser leur pays dans un état de chaos, (d’effusion) de sang et d’affrontements on n’a pas le droit d’exprimer un avis différent de nos frères en Egypte", a-t-il estimé.

Au sujet de l’expérience tunisienne, Béji Caïd Essebsi a dit que "la révolution tunisienne a été menée par les jeunes, ni par les islamistes, ni par d'autres". "Les revendications principales des jeunes, sont outre l’effondrement du régime dictatorial, la liberté, la dignité, la bonne gouvernance et la démocratie".

Béji Caïd Essebsi estime qu’il y a un désaccord en Tunisie sur la compréhension de la démocratie.

"En Tunisie, nous avons organisé des élections constitutives. Les islamistes et Ennahdha ont obtenu une majorité proportionnelle", a-t-il dit. Ils ont montré d'emblée que leur volonté n’était pas de consacrer le temps nécessaire à la constitution mais au pouvoir, a-t-il souligné. "Ils se sont arrogés le droit de changer la formule des élections de celles d’une assemblée constituante à celles d’une assemblée législative, chose que la loi ne permet pas, ils étaient en dehors de la loi".  

Et d'ajouter : "Lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, leur priorité n’était pas de pousser le pays vers la progrès  et la démocratie, mais leur objectif principal était de changer la nature de la société tunisienne pour l'islamiser".

"Nous sommes musulmans, et personne ne peut surenchérir là-dessus. La Tunisie est passée par de nombreuses expériences depuis cinquante ans, et on pensait que cette question d’identité était tranchée", a-t-il affirmé, citant  l’article premier de la constitution du 1er juin 1959, qui prévoit que la langue de la Tunisie est l’arabe, sa religion est l’Islam et son régime est la République.

Caïd Essebsi a reconnu qu’"un pas positif a été franchi, après l’échec des tentatives d’affrontements, et  après l’échec du changement du mode sociétal par la force ou la contrainte on a choisi le dialogue". Il s’est dit fier d’avoir dialogué avec le cheikh Rached Ghannouchi, et de l’avoir convaincu que la meilleure méthode est le dialogue. "Lorsqu’on est allé au dialogue, on a commencé à sortir de la crise".

"Le gouvernement  nahdhaoui s’est engagé a démissionner et a honoré son engagement. On s’est mis d’accord pour la formation d’un gouvernement indépendant de compétences, qui sera annoncé demain (aujourd’hui samedi). On ne sait pas si le chef du gouvernement choisi va s’en tenir à la feuille de route ou non, mais on ne peut le juger à l’avance".

Il a ajouté qu’"Ennahdha n’a pas quitté le pouvoir, mais a quitté le gouvernement. Il est resté à l’ANC où il a une forte influence," espérant qu’il continuera à respecter ses engagements, car "il a fait un effort qu’on doit reconnaitre".

Le président de Nida Tounes s’est félicité que la Tunisie soit parvenue "à une constitution consensuelle, chose que l’on ne pouvait imaginer il y a une année". "Nous devons continuer à travailler ensemble sur cette voie", a-t-il prôné, estimant que "l’avenir des islamistes en Tunisie est à l’intérieur de l’unité nationale. En dehors de cette unité, il  n’y a pas d’avenir ni pour eux ni pour d’autres".
Gnet