Tunisie : Destouriens et islamistes se proclament du legs de Thaâlbi

Publié le Lundi 14 Septembre 2015 à 17:31
Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi. Les destouriens et les islamistes sont en quête d’une nouvelle identité, histoire d’être en phase avec la réalité politique d’aujourd’hui, de pérenniser leur alliance et de consacrer leur ancrage dans l’héritage du mouvement national, et du mouvement réformiste du 19ème siècle où les marqueurs religieux et  identitaires évoluaient en parfaite synergie avec le politique.

Ces deux familles politiques et idéologiques qui étaient totalement en rupture au fil de l’histoire postcoloniale et récente de la Tunisie, pendant l’ère bourguibiste, et celle des 23 ans qui lui ont succédé, l’ont été également après la révolution.

Lourdement réprimés par les destouriens et les rcédeistes, de Bourguiba à Ben Ali, les islamistes ne voulaient pas en entendre parler après la révolution, et souhaitaient voir "al-Azlam", les résidus de l’ancien régime s’éclipser du paysage politique. La création de Nidaa Tounes en juin 2012 n’a fait qu’attiser l’affrontement, les mouvements de Rached Ghannouchi et de Béji Caïd Essebsi se sont longtemps étripés par médias interposés.

Cette bataille rangée s’est poursuivie jusqu’à l’été 2013, s’émoussant subitement à l’issue de la rencontre de Paris entre les deux ténors de la vie politique tunisienne, ayant marqué le dégel des relations entre les deux hommes et leurs formations politiques respectives.  

La politique de main tendue de part et d’autre a fait passer à la trappe la loi sur l’immunisation de la révolution, désamorçant encore plus la tension, mais ce n’était qu’une normalisation provisoire. Nidaa est revenu à la charge pendant la campagne électorale et a bâti sa stratégie électorale sur la bipolarisation et l’attaque du mouvement islamiste. Ce dernier s’est lui cramponné à l’appel au consensus et à l’unité nationale, la seule voie de salut pour la Tunisie, à ses yeux.  

Les urnes ont fini par livrer leurs secrets, Nidaa a raflé la mise, et Ennahda a été relégué en seconde position. Les deux partis ont fini par former une coalition gouvernementale, où le mouvement de Rached Ghannouchi était sous-représenté, nonobstant les réticences et la large opposition au sein de Nidaa Tounes.  

Ce court flash back est nécessaire pour comprendre ce qui se passe à l’heure qu’il est, et le Vœu exprimé d’un bord, comme de l’autre, pour plus rapprochement entre les deux mouvances, autour de dénominateurs communs.

C’est dans ce contexte que des figures de Nida Tounes dont le propriétaire de Nesma Nabil Karoui, l’ancien membre du comité central du RCD Raouf Khammassi, le transfuge d’al-Ittijah al-Islam (mouvement de la tendance islamique, MIT), aujourd’hui dirigeant de Nidaa, Khaled Chawket et d’autres nidaouis, ont lancé la semaine dernière le forum de la famille destourienne, une association de la société civile, dont la mission est d’évaluer l’expérience destourienne, d’en revenir aux origines notamment à l’œuvre des pères fondateurs à l’instar d’Abdalaziz Thaâlbi, (un islamiste réformateur, l’un des précurseurs du mouvement réformiste du 19ème siècle et fondateur du Destour), et de pousser vers plus de rapprochement entre destouriens et islamistes, autour de la vocation nationale et de l’Islam tunisien, pour les paraphraser.

Cette démarche trouve des échos favorables chez les islamistes qui se proclament, eux aussi, de l’héritage de Thaâlbi. Dans une interview à al-Arabi al-Jadid quasi-concomitante au lancement de l’initiative destourienne, le président d’Ennahdha a affirmé qu’islamistes et destouriens ont le même grand-père (ndlr : père spirituel), en l’occurrence Cheikh Thaâlbi, plaidant pour la mise en avant de dénominateurs communs entre familles politiques loin de toute exclusion et polarisation.

Les prochains jours nous diront le sérieux de cette initiative, on aura néanmoins remarqué que ceux qui ont œuvré à nourrir les divisions, la polarisation et les tiraillements idéologiques et à entretenir la fausse polémique sur l’identité, durant les premières années post-révolution, changent leur fusil d’épaule , et s’affichent comme vecteurs de rapprochement et d’unité.

Si ce cheminement venait à aboutir, et si la coalition entre Nidaa et Ennahdha se consolide, cela donnera du fil à retordre aux autres familles politiques, notamment les sociaux-démocrates, dont les tentatives de rassemblement tardent à voir le jour.

Un fonctionnement démocratique sain et durable avec un pouvoir fort et une opposition solide, et une réelle alternance au pouvoir ne peuvent se concevoir qu’avec l’avènement de grands ensembles politiques…mais il ne s’agit là que de conjectures, dont la fiabilité et la faisabilité seront tributaires des aléas et des humeurs politiques.
H.J.  


 

Commentaires 

 
#2 H.J toujours au top
Ecrit par Luciano     16-09-2015 07:03
Rien à dire, toujours des analyses claires, nettes et précis.
 
 
#1 angélisme journalistique
Ecrit par Royaliste     14-09-2015 19:24
1-l'auteur a 'omis' de mentionner pourquoi les islamistes ont etes reprimés.

je vous rappel, et c est un fait historique que les islamistes ont toujours eu recours a la violence et l'Etat a bien défendu les citoyens innocents (...)

2-pourquoi ghannouchi a changé de discours? Est-ce que c'est lié a la peur d un scénario a l'égyptienne ou par amour du consensus?

3- ce qui a rapproché les 2 ennemis c est d'une part le pragmatisme, l'un ne peu gouverner sans l'autre et d'autre part, un accord de reconciliation qui pousse nidaa a enterré les dossiers impliquant nahdha (lien avec le terrorisme, assasinats politiques, envoie de terroristes en Syrie,corruption, affaires de l'ex ministre des affaires étrangères, nominations partisanes, infiltration de la police...) et en contre partie nahdha va enterrer les dossiers de la corruption de nidaa....et qui est le perdant dans cet accord?
 
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