Des juges mettent en garde contre le non respect des décisions de justice

Publié le Mardi 17 Décembre 2013 à 10:30
Vue de la tribune. «L’Etat démocratique auquel nous aspirons n’accepte pas le pouvoir absolu, mais ne croit qu’en un Etat de droit, c’est pour cela que nous devons garantir la suprématie de la loi…ce qui rend la tâche des magistrats encore plus  lourde », a dit Habib Jaballah, Président de la Cour de Cassation au tribunal administratif, ce matin lors d’une journée d’étude sous le thème « Le tribunal administratif et les pouvoirs publics », tenue hier lundi à Tunis.

Raoudha Laabidi, présidente du syndicat des magistrats, a ajouté pour sa part que la magistrature butait sur le manque de volonté de l’Assemblée Nationale constituante: « A chaque fois que nous parlions de l’indépendance de la magistrature à l'ANC, certains députés nous répondaient que nous cherchions à asseoir la dictature des magistrats…La vérité est qu’à chaque fois qu’une personne, un parti politique ou autre, se dresse contre l’indépendance de la magistrature c’est qu’en effet il a peur que sa propre dictature soit menacée », a-t-elle dit, déplorant que des politiciens appellent au non respect des décisions de justice, tout en faisant changer les lois.

Issam ben Hassan, Maitre assistant à la Faculté de Droit de Sousse, a parlé du rôle du tribunal administratif dans les libertés publiques : « Tous les humains doivent jouir de leur liberté, quelque soit leur origine, leur couleur, leur genre, ou leur croyance…même le coran a consacré la liberté de l’être humain. La Tunisie, en 1846 a été le premier pays à avoir aboli l’esclavage, avant les USA et la France, ce qui fait que le président américain avait demandé à la Tunisie d’apporter son expertise à l’Amérique …Aujourd’hui, les lois votées et les protocoles signés ne peuvent rien faire pour garantir la liberté des individus face à la persécution de l’Etat et de son pouvoir législatif et exécutif…Un des penseurs, a dit que les libertés n’avaient aucune valeur si elles ne sont pas appuyées par des garanties, ce qui exige l’existence d’un troisième pouvoir pour jouer le rôle de contrôleur et pour constituer une force de dissuasion et d’opposition contre toute atteinte aux droits », a-t-il dit.

Selon Issam Ben Hassan, le droit de porter plainte est l’un des fondements d’un Etat de droit. Il a comparé la justice administrative au système immunitaire d’une personne : « Si le rôle du système immunitaire est de combattre les maladies, le tribunal administratif combat l’usage exagéré du pouvoir et le dépassement des prérogatives…si le système immunitaire est affaibli, le corps est alors atteint de maladies, et si la magistrature administrative est affaiblie, ceci mènera au règne de l’injustice dans la société…c’est pourquoi instaurer un contrôle judiciaire sur le comportement de l’administration représente une des garanties des libertés des personnes et de leurs droits », a-t-il dit.

Le rôle du magistrat administratif, est d’après lui, d’exiger qu’il y ait adoption des règles minimales pour l’exercice des libertés, et de contrôler de manière stricte les dispositions liberticides.

«Le tribunal administratif veille sur les intérêts de l’Etat et en même temps sur ceux du citoyen. Parmi les règles minimales du ressort du tribunal, se trouve la liberté de déplacement, qui est une liberté qui devrait être accordée à tout le monde, avec l’intervention minime de l’Etat, comme pour accorder un passeport. Il y a aussi la liberté d’expression, qui exige l’impartialité du service public et de l’administration. Mais cette liberté d’expression doit en même temps être accompagnée par le devoir de réserve au sein de l’administration publique pour la bonne marche du service public…Le magistrat administratif a concédé que la liberté d’expression pour le fonctionnaire de l’Etat n’était pas absolue, et qu’il était possible de le poursuivre pour ses prises de position si cela portait atteinte à l’administration. Par ailleurs, la presse en Tunisie devait se plier à la nécessité d’obtenir une autorisation de diffusion de toute publication, conformément au code de la presse. Les autorités publiques ont profité du caractère répressif de ce code, pour interdire la diffusion de plusieurs journaux », a-t-il expliqué, en faisant l’état des lieux de la justice administrative en Tunisie.

Issam Ben Hssan a ajouté que le tribunal administratif s’est opposé à plusieurs reprises à des tentatives de répression orchestrées par l’Etat, dans des affaires en rapport avec la liberté de se réunir, de protester et la liberté d’association. « Dans plusieurs cas, les autorités ont revu leur position, ou, ont annulé certaines décisions dès qu’elles ont reçu des convocations de la part du tribunal administratif…Le juge administratif doit être au courant de la culture des droits de l’Homme et de l’essence des libertés de base pour pouvoir les appliquer… », a-t-il dit, en émettant des réserves au sujet de l’actuelle constitution.

«Si la constitution de 1959 portait une idéologie libérale, l’actuelle constitution est dénuée d’idéologie claire, et serait passible d’une recherche de paternité », a-t-il dit.  Il ajoutera, que cette relation tendue, qu’entretient le pouvoir exécutif avec le pouvoir judiciaire, ne doit en aucun cas faire du tribunal administratif « la Concubine du Sultan », mais en faire « un contrôleur du sultan », selon ses dires.

Il retiendra quatre « scènes », qui reflètent cette relation : Le retard enregistré dans la construction du siège du tribunal administratif, la centralisation du tribunal administratif qui, plus est, dans un état délabré qui serait voulu par les autorités,  un tribunal qui contrôle le pouvoir exécutif et l’oblige à se plier à la loi, et un tribunal qui émet des décisions révolutionnaires dans le cadre des droits de l’Homme.

Chiraz Kefi